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mardi 30 novembre 2021

L'histoire de l'écriture, une fameuse aventure!

Les idéogrammes chinois. (c) Kilowatt.
 
Un sujet, deux documentaires jeunesse que ne devraient pas négliger les adultes et une application pratique.

De fort belle facture et de beau format, l'album "Écrire, quelle histoire!" de Loïc Le Gall et Karine Maincent (Kilowatt, 64 pages) est présenté comme une aventure virevoltante et colorée dont les épisodes se suivent de double page en double page. Apéritives, les formidables gardes reprennent une mappemonde apparaissant à la fin de l'ouvrage: les pays y sont dessinés par l'alphabet y utilisé! Cet excellent visuel montrant la répartition des alphabets dans le monde indique le ton choisi, compétence et originalité, pour découvrir de fond en comble l'acte d'écrire (et celui de lire).

Le documentaire est issu de la rencontre de Loïc Le Gall, un graphiste et scénographe passionné d'écritures et de typographie, et de Karine Maincent, une graphiste, illustratrice, animatrice d'ateliers pour enfants qui utilise son expérience pour rendre le sujet accessible aux enfants dès 8 ans.

On part d'avant l'écriture, les signes de l'époque préhistorique, pour se demander en finale si on écrira encore à la main demain. On va donc parcourir le temps et le monde. Les grandes lignes de l'écriture, cunéiforme, hiéroglyphes, idéogrammes chinois, alphabets grec, hébreu, romain, cyrillique et d'autres, sont expliquées d'un ton alerte et ponctuées d'anecdotes savoureuses. Les diverses évolutions de l'écriture sont remises dans le contexte de leur époque et justifiées par les besoins humains. Outil de connaissance, moyen de domination, symbole de résistance, l'écriture est multiple. Illustré avec vigueur et couleur, le livre séduit et enrichit grâce à son large spectre. Un documentaire à lire d'un seul tenant plutôt qu'à picorer car tout s'y tient.
Le Moyen-Âge. (c) Kilowatt.




Encore un peu plus grand et tout aussi bien façonné, l'album de l'illustrateur ukrainien  Vitali Konstantinov "La grande histoire de l'écriture" (traduit de l'allemand par Hélène Boisson, La joie de lire, 80 pages) opte pour la bande dessinée et le noir et blanc relevé de quelques touches de rouge et de bleu. Organisé en trois chapitres, "Parler-Dessiner-Ecrire", "Les premières écritures du mond"e et "Créateurs d'écriture", il surprend et séduit par son approche aussi pédagogique qu'amusante. L'humain et l'humour sont omniprésents dans ces pages extrêmement riches et détaillées, portées par une formidable créativité graphique. La vulgarisation scientifique à son meilleur.

L'auteur s'est appuyé sur de solides recherches bibliographiques, nous dit-on. On veut bien le croire tant son documentaire fourmille de données sur l'histoire de l'écriture et de précisions sur les concepts. Un pictogramme n'est pas un idéogramme, les signes du premier signifiant des images tandis que ceux du second s'attachent à des idées, tandis que les phonogrammes se basent, eux, sur les sons. Alors, syllabaire, abjad ou alphabet? Tout ce qui touche à l'écriture est lumineusement expliqué dans cette bande dessinée à l'excellent rapport texte-image et qui met chaque fois en évidence les hommes et les femmes en rapport.

La découverte de l'écriture et de ses multiples formes bénéficie de très nombreuses représentations dessinées qui permettent de saisir aussi bien l'écriture cunéiforme que les hiéroglyphes que les systèmes d'écriture en Asie de l'Est, en Amérique centrale ou en Europe. Chapeau également pour les explications graphiques de la naissance des alphabets qui mènent à celles des écritures! C'est aussi fourni, dense qu'accessible.

La dernière partie s'intéresse, toujours de cette agréable manière faussement décoiffée, aux créateurs d'écriture. C'est tout aussi dingue de richesse, passionnant dans le traitement et hautement addictif. On y parcourt le temps et le monde, faisant même halte auprès de Tolkien ou de Star Trek, le codage et les émojis ayant été rencontrés dans la première partie. 

En post-face, Vitali Konstantinov note: "La fascination des systèmes d'écriture inventés par l'humanité a quelque chose de fascinant. Comment ne pas s'étonner de l'infinie créativité avec laquelle on a cherché à transcrire la langue parlée, avec des résultats si différents, et de toutes ces histoires, de tous ces personnages auxquels sont associés ces mille et un systèmes d'écriture? Sans oublier la beauté des signes, capables de nous émerveiller même quand on ne les comprend pas... ou peut-être d'autant plus qu'on ne les comprend pas?" On ne peut mieux dire. Un documentaire magistral pour tous à partir de 9 ans qui, de plus, interroge l'avenir des écritures.

L'ouverture du documentaire. (c) La Joie de lire.

Les écritures du monde. (c) La Joie de lire.




Application pratique avec la biographie illustrée "Nellie Bly", écrite par Jean-Michel Billioud, illustrée par Gabrielle Berger (Gallimard Jeunesse, "Les grandes vies", 68 pages). Un agréable cartonné un peu plus grand qu'un livre de poche qui raconte la vie d'une Américaine méconnue qui n'a jamais laissé personne lui dicter sa conduite. Elizabeth Jane Cochran (1864-1922) fut la première journaliste d'investigation sous le pseudonyme de Nellie Bly. Peu portée sur les occupations dévolues aux jeunes filles à son époque, elle lit des livres et des journaux, notamment le "Pittsburgh Dispatch". Un article sexiste? Elle écrit au rédacteur en chef qui... l'engage! La rédaction ne va toutefois pas lui faire de cadeaux. On découvre dans cette passionnante biographie comment Nellie Bly a su inventer la condition d'une femme libre, en devenant journaliste, activiste féministe, aventurière, romancière, cheffe d'entreprise. Une femme qu'il faut faire connaître.


"Nellie Bly". (c) Gallimard Jeunesse.














La liberté, présente mais parfois cachée

LU & approuvé

Armé de sa longue vue, un petit marin scrute l'horizon en couverture de cet album jeunesse à la délicate portée philosophique. Que cherche-t-il? Un mot en sept lettres, dont Paul Eluard a écrit le nom à tant d'endroits dans son magnifique poème. Dans une démarche parallèle mais adaptée aux enfants, Chiara Pastorini au texte et Lucia Calfapietra aux illustrations signent l'album "Liberté, où es-tu?" (36 pages, L'Initiale).

"Liberté, où es-tu?/ Je te cherche partout et je ne te trouve pas." On suit la quête du narrateur à travers le monde en d'expressives images sur doubles pages, allant toujours de gauche à droite. Le texte repose la question du titre à plusieurs reprises et apporte plusieurs réponses négatives. La liberté ne serait ni dans l'océan, ni dans le désert, ni dans la savane, ni dans la montagne. 

Quand... "Rassure-toi, je suis là, partout où tu m'as cherchée. Mais tu ne m'as pas vue." Et les deux artistes d'évoquer alors toutes les possibilités d'être de la liberté dans les lieux déjà évoqués et de les compléter de situations proches des enfants. Car... "Où que tu sois, moi, Liberté, je suis là./ Et grâce à moi tu pourras toujours choisir." Une grande douceur émane de cet album dont l'approche bienveillante suscite de nécessaires questions et permet à chacun d'y répondre sereinement.

Voit-on la liberté là où elle est? (c) L'Initiale.


 

lundi 29 novembre 2021

La Partie, c'est très très bien parti!

"Adieu Blanche-Neige" de Beatrice Alemagna. (c) La Partie.

Il avait fallu attendre quatre mois entre l'annonce de la création des nouvelles éditions La Partie (lire ici) et sa première salve d'albums à la rentrée de septembre. Normal, disaient les pragmatiques. Long, disaient les passionnés. Aujourd'hui, avec les cinq albums parus en août-septembre et les cinq d'octobre-novembre, on a de quoi s'en mettre plein les yeux car ils sont excellents. Logique, l'équipe de La Partie n'est pas tombée de la dernière pluie. Elle est aguerrie, a ses auteurs, publie ce qu'elle aime et ce en quoi elle croit. Quel feu d'artifices que ces dix albums, chacun ayant sa particularité, son charme, son genre, son public.

"Adieu Blanche-Neige". (c) La Partie.


Un coup de chapeau particulier au dernier titre paru, le grand format à reliure cousue de Beatrice Alemagna "Adieu Blanche-Neige" (96 pages, La Partie). Un album qui reprend l'histoire de Blanche-Neige selon la version originale des frères Grimm mais du point de vue de la belle-mère, donné à la première personne. Soit la jalousie dévorante, la souffrance, la vengeance, la noirceur, portées par un graphisme extrêmement fort. Idem pour les scènes avec Blanche-Neige, le chasseur, les sept nains ou le prince! Le résultat est tout simplement époustouflant! Enthousiasmant! A mille lieues de la version édulcorée de Walt Disney, revu par Beatrice Alemagna, le conte original, terrible, reprend toute sa force narrative et y confronte le lecteur.

Le livre a une genèse particulière. Hantée par l'univers sombre du conte des frères Grimm, Beatrice Alemagna a d'abord peint une série de trente-quatre tableaux puissants, saisissants, d'une incroyable beauté, quasiment hypnotiques tant il y est à voir. Expressionnistes, proches de l'abstrait parfois, ils racontent la folie d'une jalousie aveuglante. Ce n'est qu'ensuite que l'auteure-illustratrice a écrit le texte. La confession tragique d'une femme folle de jalousie, d'une reine vengeresse, d'une belle-mère narcissique dont le destin sera aussi triste que terrifiant.
"Il y a 3 ans, j'ai commencé à peindre.
Ce travail n'était pas destiné à être vu. C'était mon projet secret, car il répondait juste à un besoin viscéral de trouver un autre espace que celui destiné à ma création de livres pour enfants. 
C'était une envie impérieuse de peindre, de ne plus me laisser porter par une narration précise, d’échapper à ma routine de dessinatrice, de me soustraire à ce monde parfois étriqué et contraignant du livre pour enfants. Peut-être même, a posteriori, une envie d'y retourner avec un nouveau bagage.
Pendant trois ans, j'ai peint à l'instinct d'un enfant qui aurait pillé son intérieur le plus noir. En m'arrachant les cheveux, en pleurant, en dansant même, par moments. Mais surtout en me demandant incessamment si je faisais de la peinture: si je ne fabriquais pas une illustration peinte ou plutôt une peinture illustrée. Et aussi, si ces images étaient pour adultes ou pour enfants. Je n'ai pas trouvé de réponse.
Mais à sa place, j'ai trouvé Béatrice Vincent, éditrice assez téméraire pour décider de publier ces 3 ans de travail. Mes peintures sont devenues les images du livre "Adieu Blancheneige" que j'ai aussi écrit et qui sortira le 23 novembre prochain. Ces mêmes peintures que j'expose et vends (pour la toute première fois de ma vie) dans la géniale galerie Arts Factory, à Paris. Aujourd'hui je vous invite à venir les découvrir en vrai.
Hardiment, résolument, intensément."
Le texte apparaît en double page entre des séquences de quatre images (cinq au centre du récit), elles aussi sur double page, à bords perdus, conférant encore davantage de force aux propos. Chance pour les Parisiens, les peintures originales d'"Adieu Blanche-Neige" sont exposées à la galerie Arts Factory jusqu'au 24 décembre (infos ici). Double chance pour les Parisiens, une autre exposition de 26 dessins originaux et d'une fresque murale de Beatrice Alemagna se tient jusqu'au 9 janvier à l'Institut Suédois, autour de l'album "On va au Parc", écrit par l'autrice suédoise Sara Stridsberg et à paraître en français à l'automne 2022 (traduction de Jean-Baptiste Coursaud, La Partie).

"Adieu Blanche-Neige" est un album exceptionnel. Un livre d'artiste pleinement accessible à tous les publics. Une merveille à ne pas manquer.

"Adieu Blanche-Neige". (c) La Partie.


Et les autres titres?

Bébé
Pauline Martin (lire ici)
La Partie
36 pages
dès la naissance

Qu'il est mignon ce bébé qu'on suit pendant une grosse année depuis ses premiers jours. Un imagier joyeux et sensible jouant agréablement sur des graphismes simples, où le héros fait ses premiers apprentissages. Il tête, il rêve, il nage, il écoute, il gazouille... Il pleure et il rit. Il mange tout seul et s'en met plein partout. Il découvre ses sens et le monde. Il fait ses expériences. Il apprend à marcher, quitte à tomber parfois. Un délicieux album plein de bienveillance qui plaide en filigrane pour l'autonomie des bébés. Les parents du héros sont là, mais pas tout le temps. Ils veillent. Ils le protègent mais ne l'étouffent pas. Ils l'aiment. Laissons donc vivre nos bébés. Pour les tout-petits et leurs parents.

"Bébé". (c) La Partie.

"Bébé". (c) La Partie.




Il faudra
Ramona Badescu
Loren Capelli
La Partie
96 pages
dès 4 ans

Une petite fille apprend de ses parents qu'elle va être grande sœur: "Bientôt, tu sais/ il faudra que tu partages…/ le chocolat… le temps/ et aussi nos bras./ Chacun aura toujours sa place/ ne t'inquiète pas/ mais il faudra…" Si, accompagnée de son chat, elle commence par rappeler ses droits du tac au tac, "il faudra que je garde mon lit, mon doudou chouette aussi et le tipi des Indiens", elle se projette immédiatement dans cette vie future. "Il faudra..." C'est désormais la jeune narratrice qui utilise l'expression, présentant au bébé à venir toute une liste de découvertes qu'il va faire, chaque fois entamées par ladite expression.

"Il faudra". (c) La Partie.

Une ritournelle où l'héroïne se dévoile comme enfant et comme grande sœur. Toute sa vie défile dans ces pages touchant à la poésie, les moments doux de l'enfance, ceux sérieux ou plus durs de l'école, ceux chaleureux en famille, les joyeuses découvertes des vacances... Comme le bébé à naître est déjà aimé! Un quotidien passionnant et apprécié défile en séquences aussi exquisément écrites que dessinées. Les mots de Ramona égrènent la vie avec une délicate gourmandise, les crayons de couleurs de Loren les complètent, scènes esquissées ou plus figuratives, pleines de détails ou estompées en motifs graphiques. "Il faudra" célèbre l'amour en gestation comme le bébé.

"Il faudra". (c) La Partie.

"Il faudra". (c) La Partie.




Le ver vert
Bruno Gibert
La Partie
40 pages
dès 3 ans

Un ver vert, d'accord. Mais un ver vert aux yeux vairons? Surtout s'il quitte Nevers pour Versailles? Et qu'il confond Roi Soleil et Vercingétorix? Auteur fécond tant en littérature générale qu'en jeunesse, créateur joueur, expérimentateur, illustrateur à la sobriété éloquente, Bruno Gibert utilise ici avec grand succès la contrainte oulipienne du son "ver" dans une histoire complètement loufoque. On suit, hilare, les trouvailles littéraires lors des différents épisodes pleins de surprises de son ver vert qui échappera aux soldats du roi mais pas au pivert! Les images en aplats colorés incitent le lecteur à retrouver le héros tandis que le texte déclinant le son "ver" à toutes les sauces et même encore plus l'invite à s'approprier lui aussi la langue française. Une lecture à partager entre générations.

Le ver vert rencontre le roi. (c) La Partie.




Le cauchemar du Thylacine
Davide Cali
Claudia Palmarucci
traduit de l'italien par Béatrice Didiot
La Partie
56 pages
dès 6 ans

Fiction? Documentaire? Les deux, parfaitement imbriqués dans ce fabuleux album dont la page de titre s'orne d'une arche de Noé contemporaine, le bateau en bois étant remplacé par un navire en acier moderne. Un petit goût d'Australie avec le héros, le docteur Wallaby, "spécialiste en mauvais rêves", et ses malades. En visite ou en consultation à son cabinet, il écoute les rêves répétitifs, ombres, menaces, persécutions, de ses patients, un échidné, un wombat, un émeu, un opossum, un diable de Tasmanie, un koala, une roussette... Autant d'espèces animales qu'on connaît.

"Le cauchemar du Thylacine". (c) La Partie.

Monté sur son fidèle dingo Sirius, le docteur Wallaby se fait aussi chasseur de cauchemars. Il est bien équipé! Un manuel dont il partage les pages et les conseils avec le lecteur. C'est alors que surgit le thylacine avec un rêve dont n'avait jamais entendu parler le praticien. Malgré ses recherches, il ne trouve rien. Et pour cause! Le thylacine appartient à une espèce éteinte. Il est un fantôme qui va rejoindre l'île des Ombres qui recueille les animaux disparus. Très construit, l'album s'achève sur les portraits de ces derniers, qu'on avait déjà aperçus en réduction en pages de garde.

Le Thylacine. (c) La Partie.


Les mauvais rêves. (c) La Partie.
Quelle claque visuelle que cet album qui nous fait comprendre combien les espèces animales sont menacées d'une manière particulièrement originale, à la fois dans la structure du livre et dans le graphisme d'une beauté sidérante. Entre carte à gratter pour les cauchemars, peinture à l'huile pour les panoramas et crayon pour le manuel, le tout se combinant dans une mise en page fort bien pensée. Un seul petit regret: si la liste des œuvres citées et des inspirations apparaît en fin d'ouvrage, il n'est pas fait mention des numéros de page et tout le monde n'est pas capable de reconnaître tous les tableaux.




Nous, les émotions
Tina Oziewicz
Aleksandra Zajac
traduit du polonais par Lydia Waleryszak
La Partie
72 pages
dès 4 ans

Rouge de colère, vert de rage, blanc de peur... On a l'habitude de lier émotions et couleurs. Rien de ça dans ce très bel album bien plus original et pertinent où se succèdent trente-et-une créatures représentant chacune une émotion. Elles composent une magnifique galerie de personnages, toute en rondeur, dans des gris bleutés parfois rehaussés de rose, l'un doté de bizarres oreilles, l'autre de tentacules, chevelus ou non. Tout en douceur même pour des sentiments violents. L'atout de cet album est que les trente-et-une saynètes présentent les émotions dans des mises en scène assorties de textes brefs, sans aucun jugement de valeur.

"Nous, les émotions". (c) La Partie.

"Nous, les émotions". (c) La Partie.

"Nous, les émotions". (c) La Partie.

Les idées des images sont à la fois simples et éloquentes: la curiosité perchée tout en haut d'une cheminée (atteinte par un bricolage d'échelles), la joie bondissant sur un trampoline, la crainte toute menue et cachée, la jalousie destructrice, la honte terrée... Comment n'y avait-on pas pensé plus tôt? On est immédiatement charmé et séduit par la finesse des mots et des images de cet album, le premier de l'illustratrice. On sourit, on se projette, on réfléchit, on est ému et on tourne les pages pour en découvrir toujours plus tant il est réussi sur le fond comme sur la forme.




Chats méchants
Delphine Chedru
La Partie
40 pages
dès 5 ans 

Images numériques pour une farce d'arroseur arrosé sur les préjugés. En l'occurrence, quatre chats qui ne sont ni doux ni gentils mais atrocement méchants et une souris qui n'est pas le menu et mignon animal escompté mais un monstre. Encore pire que les chats qu'elle déteste de surcroît. Les rôles vont s'inverser, et bien sûr, se réinverser car un chat méchant reste un chat méchant. Un album un peu lourd malgré son intention joyeuse.




La perle
Anne-Margot Ramstein
Matthias Arégui
La Partie
56 pages
dès 4 ans

Magnifique livre que celui-ci, dessiné à quatre mains, en boucle et muet, ce qui accentue l'impression d'images en hauteur. Bordées de blanc, en aplats,  agréablement fort colorées, elles se posent sur les doubles pages selon un rythme défini, plan rapproché en page de gauche, plan large en page de droite. Avec la contrainte que la perle soit toujours au centre de la page de gauche et de la même taille, expliquait Anne-Margot Ramstein au Salon de Montreuil. La perle du titre est celle dont on suit le voyage à travers le monde et le temps, le temps d'une vie humaine. La dernière illustration fermera avec douceur et éloquence la boucle entamée en couverture.

L'histoire débute simplement. Un jeune plongeur découvre une perle dans une huître au fond de l'océan. Il offre la bille précieuse insérée dans une fleur tout juste cueillie pour faire office de bague à son amoureuse. Quand elle se couche, elle dépose le bijou à côté de son lit. C'est la nuit que tout se corse et que le récit visuel s'emballe. Une pie vole la perle et la dépose dans son nid, à côté d'autres babioles. Un nid accroché au mât d'un bateau visité par le chat marin... On suit, éberlué et conquis, dans les images de deux tailles, les péripéties de la boule de nacre. Et elles sont nombreuses, une bijouterie, une exposition, le sac d'un voleur, les égouts, un cours d'eau, l'estomac d'un saumon et d'autres endroits inattendus jusqu'à la finale magistrale, célébration d'un couple amoureux tout au long du temps.

Au fil de l'album et du hasard, la perle change de statut et met en lumière divers sentiments humains. Divers comportements humains aussi quand on parcourt la nature à ses côtés. Elle nous montre en réalité l'humain et la nature dans ce qu'ils ont de pire et de meilleur. Admirablement composées, les superbes illustrations aux couleurs chatoyantes regorgent de scènes pleines de détails que chacun décryptera à sa guise, jusqu'à la finale aussi apaisée que réjouissante. 

La découverte de la perle. (c) La Partie.

La scène du vol. (c) La Partie.




Une vie de chatons
Fleur Van Der Weel
traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron
La Partie
96 pages dès 3 ans

Premier album traduit en français de l'auteure-illustratrice néerlandaise, cet épais petit format presque carré aux délicieuses illustrations toutes en douceur nous entraîne dans la folle vie quotidienne de deux chatons, le tigré Noyau et la noire Plume. Leurs aventures sont racontées par le menu et on comprend tout de suite que les chatons sont de sacrés chenapans, ce que confirme s'il en était encore besoin l'image finale.

Jeux, croquettes, rencontres, tout ce qui les concerne se présente au fil de la centaine de pages qui abordent aussi, en toute discrétion, les thèmes habituels des imagiers, les couleurs, les contraires, les chiffres, etc., et propose encore plein d'informations sur la nature par exemple, à hauteur de chaton et d'enfant. Tant de choses sont à regarder dans ces pages si joliment illustrées. En bonus, un lexique des miaulements! A vérifier, comme le fait de donner du lait aux deux héros, ce que ne recommandent pas les vétérinaires mais qui persiste dans l'imaginaire collectif. Ce n'est toutefois pas très grave tant les chatons aux expressives mimiques sont craquants.

 
"Une vie de chatons". (c) La Partie.

"Une vie de chatons". (c) La Partie.

"Une vie de chatons". (c) La Partie.


Dinosaures
Bastien Contraire
La Partie
64 pages
dès 3 ans

Pochoirs, découpages, couleurs vives, dessins stylisés, voilà Bastien Contraire (lire ici). Il nous propose un très plaisant documentaire pour les plus jeunes sur un sujet d'immense fascination des enfants, les dinosaures! Une approche pédagogique qui n'exclut ni l'amusement, ni la beauté. Ses pages où évoluent des dinos en pochoirs et peinture vaporisée sont des merveilles graphiques qui fourmillent d'informations sur les fossiles, l'évolution, les espèces... 

L'auteur-illustrateur a la très bonne idée d'évoquer son sujet par des comparaisons accessibles aux enfants, du compsognathus de la taille d'un poulet au diplodocus long comme deux autobus. Il traite aussi du mode de vie et de l'alimentation de ces animaux disparus, présentés de toutes les couleurs car personne ne sait quelle était leur couleur, des variétés vivant sur terre, dans les mers ou dans les airs...

Quant à la fin de l'ère des dinosaures, elle est abordée dans une page rendant graphiquement hommage à la graphiste allemande réfugiée en Angleterre pendant la guerre, Marie Neurath (1898–1986, plus d'infos ici): "J'y ai glissé", explique Bastien Contraire sur les réseaux sociaux, "un petit hommage à une série de livres documentaires que j'aime beaucoup, ceux de Marie Neurath et l’institut Isotype [qu'elle a fondé avec son mari Otto]. Les informations contenues dans ces livres des années 50 sont parfois obsolètes mais la clarté du graphisme ne l'est pas du tout.  S'il est difficile de s'en procurer, on peut voir pas mal d’images sur internet."

Avec sa reliure cousue, "Dinosaures" est un assez grand format qui enchante l'œil et l'esprit, un documentaire bien pensé et remarquablement original.

 
"Dinosaures". (c) La Partie.


"Dinosaures". (c) La Partie.

"Dinosaures". (c) La Partie.





dimanche 28 novembre 2021

Ne pas oublier les enfants de Syrie

LU & approuvé

En avril 2018, Nathalie Novi a commencé à peindre un enfant syrien par jour, contre la guerre, pour rappeler qu'ils sont enfants. Elle a publié ces portraits sur Facebook, reliés entre eux par un fil rouge, tellement émouvants, tellement prenants, assortis d'une brève légende et d'une phrase devenue un mantra: "Enfant de Syrie, je te peindrai chaque jour pour te dire que je ne t'oublie pas" (lire ici). Une bonne quarantaine de portraits d'enfants réalisés à partir de clichés de reporters de guerre ont ainsi été publiés durant l'année 2018, quotidiennement jusqu'en mai, moins régulièrement ensuite. Confirmation de sa déclaration: "Enfant, je voulais être peintre, aujourd'hui, je suis peintre habitée par l'enfance et la littérature."


Cette magnifique série de portraits intitulée "Enfant de Syrie, enfant de nos guerres, je ne t'oublie pas" s'est aujourd'hui dédoublée en un album de poésie illustrée, "Immenses sont leurs ailes" (Editions Bruno Doucey, collection "Poés'Histoires", 80 pages). Sur base des dessins de Nathalie Novi, Murielle Szac a composé des poèmes. Plutôt un long poème narratif autour de deux enfants syriens, Hala et Haïssam, entre rires, larmes et jasmin. Dans l'acrostiche initial, il invite le lecteur à attraper le fil rouge de l'imagination: "Ensemble nous tricoterons un nid/ pour l'oiseau de leur vie"

Sans gras, les poèmes disent l'avant, l'école, le pain, l'arrivée d'un bébé, les sorties du vendredi. Ils disent ensuite le présent, la guerre, les bombes, les explosions et le silence, le rationnement alimentaire, les coupures d'électricité, le bonbon d'avant les bombardements, le projet d'exil, les souvenirs à lister, la traversée sur la mer, la condition d'étranger. Beaucoup d'émotion mais aussi le rappel de l'enfance, avec ses émerveillements, ses rires et ses sourires et un fieffé espoir.



Les dernières pages d'"Immenses sont leurs ailes". (c) Ed. Bruno Doucey.


Nathalie Novi vient de créer un nouveau dessin à la mi-novembre, pour appeler aux dons pour la Syrie. Un enfant coiffé d'un bonnet, le premier sauf erreur, car l'hiver est là aussi.
"Enfant de Syrie, 
ce matin, je te dessine dans l'eau du ciel
À l'ombre du nénuphar se niche l'oiseau
Dans ton cœur pousse un coquelicot 
Sur ton épaule un pin parasol s'étire 
Le bleu, c'est le vent,  l'air dont tu as besoin.
Enfant de Syrie, enfant de nos guerres, je ne t'oublie pas.
L’UOSSM, l'association du docteur Raphaël Pitti, a besoin de nos dons. Le peuple syrien manque cruellement d'air, dans tous les sens du terme. MERCI."

jeudi 25 novembre 2021

Le Goncourt des lycéens va à Clara Dupont-Monod

Clara Dupont-Monod. (c) Marc Ollivier/Ouest-France.

Prix extrêmement prescripteur et au palmarès magnifique, le Goncourt des lycéens a été attribué ce jeudi 25 novembre à Clara Dupont-Monod pour son roman "S'adapter" (Stock). Au premier tour, par huit voix sur treize. Un livre qui avait déjà remporté le prix Femina (lire ici).
Le jury était composé de 2.000 lycéens issus d'une cinquantaine de classes dans toute la France. Rappelons que les lycéens lisent tous les livres de la première sélection du Goncourt, sauf ceux d'auteurs qu'ils ont déjà récompensés (lire ici).


Autres distinctions.
Le prix Jean Giono a été attribué le 15 décembre au premier tour de scrutin à Frédéric Verger pour "Sur les toits" (Gallimard) par six voix contre quatre à Michel Bernard pour "Les bourgeois de Calais" (Éditions de la Table Ronde) et une voix à Louis-Philippe d'Alembert pour "Milwaukee Blues" (Sabine Wespieser).
A été décerné le 16 décembre le 20e prix des Cinq Continents, attribué à Karim Kattan pour son roman "Le Palais des deux collines" (Editions Elyzad, 272 pages) tandis que Miguel Bonnefoy recevait une mention spéciale pour "Héritage" (Rivages).



Attributions

Prix Envoyé par la poste (26 août)
  • Julie Ruocco pour son premier roman "Furies" (Actes Sud)

Prix du Roman Fnac (6 septembre)
  • Jean-Baptiste del Amo pour "Le fils de l'homme" (Gallimard)

Prix Blù Jean-Marc Roberts (15 septembre)
  • Mathieu Palain pour "Ne t'arrête pas de courir" (L'Iconoclaste).

Prix Senghor (17 septembre)
  • Annie Lulu pour son premier roman, "La mer Noire dans les grands lacs" (Julliard)

Prix François Billetdoux (24 septembre)
  • Robert Bober pour "Par instants, la vie n'est pas sûre" (P.O.L.)

Prix Nobel de littérature (7 octobre)
  • Abdulrazak Gurnah, écrivain tanzanien dont trois livres ont été traduits en français mais sont actuellement indisponibles

Prix de la Fondation Prince Pierre de Monaco (12 octobre)
  • Annie Ernaux, pour l'ensemble de son œuvre (Gallimard principalement)
  • Abigail Assor, bourse de la Découverte pour "Aussi riche que le roi" (Gallimard)

Prix du Premier roman (18 octobre)
  • Maud Ventura pour "Mon mari" (L'Iconoclaste) en littérature française 
  • Daniel Loedel pour "Hadès, Argentine" ((traduit de l'anglais par David Fauquemberg, La Croisée) en littérature étrangère 
  • Mention spéciale à Gisèle Berkman pour "Madame" (Arléa)

Prix de la langue française (20 octobre)
  • Pierre Bergounioux, "dont l'œuvre contribue de façon importante à illustrer la qualité et la beauté de la langue française."

Prix Guez de Balzac (21 octobre)
  • Michel Deguy

Prix Femina (25 octobre)

Romans français
  • Clara Dupont-Monod pour "S'adapter" (Stock)
Romans étrangers
  • Ahmet Altan pour "Madame Hayat" (traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabane, Actes Sud)
Essais
  • Annie Cohen-Solal pour "Un étranger nommé Picasso" (Fayard),

Prix Médicis (26 octobre)

Romans francophones
  • Christine Angot pour "Le Voyage dans l'Est" (Flammarion)
Romans étrangers
  • Ahmet Altan pour "Madame Hayat" (traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, Actes Sud)
Essais
  • Jakuta Alikavazovic pour "Comme un ciel en nous" (Stock)

Prix Victor Rossel (27 octobre)
  • Philippe Marczewski pour "Un corps tropical" (Inculte)

Grand prix du roman de l'Académie française (28 octobre)
  • François-Henri Désérable pour "Mon maître et mon vainqueur" (Gallimard)

Prix Décembre (29 octobre)
  • Xavier Galmiche pour "Le poulailler métaphysique" (Le Pommier)

Prix Goncourt (3 novembre)
  • Mohamed Mbougar Sarr pour "La plus secrète mémoire des hommes" (Philippe Rey)

Prix Renaudot (3 novembre)

Romans
  • Amélie Nothomb pour "Premier sang" (Albin Michel, lire ici)
Essais
  • Anthony Palou pour "Dans ma rue y avait trois boutiques" (Presses de la Cité)

Prix de Flore (4 novembre)
  • Abel Quentin pour "Le voyant d'Etampes" (L'Observatoire)

Prix Wepler (8 novembre)
  • Antoine Wauters pour "Mahmoud ou la montée des eaux" (Verdier)

Grand prix de littérature américaine (9 novembre)
  • Joyce Maynard pour "Où vivaient les gens heureux" (traduit par Florence Lévy-Paolini, Philippe Rey)

Prix Albert-Londres du Livre (15 novembre)
  • Emilienne Malfatto pour "Les Serpents viendront pour toi" (Les Arènes Reporters)

Prix du livre européen (15 novembre)
  • Christos A. Chomenidis pour "Niki" (traduit du grec par Marie-Cécile Fauvin, Viviane Hamy).

Prix Interallié (17 novembre)
  • Mathieu Palain  pour "Ne t'arrête pas de courir" (L'Iconoclaste) 

Prix du Meilleur livre étranger (24 novembre)
noms des traducteurs ajoutés par mes soins

Fiction
  • Gouzel Iakhina pour "Les enfants de la Volga" (traduit du russe par Maud Mabillard, Noir sur Blanc) 
Non-fiction
  • Kapka Kasabova pour "L'écho du lac" (traduit de l'anglais par Morgane Saysana, Marchialy)

Sélections

Prix Goncourt des lycéens (25 novembre)
  • "Le Voyage dans l'Est", Christine Angot, (Flammarion)
  • "La carte postale", Anne Berest (Grasset)
  • "S'adapter", Clara Dupont-Monod (Stock)
  • "S'il n'en reste qu'une", Patrice Franceschi (Grasset)
  • "Soleil amer", Lilia Hassaine (Gallimard)

Prix des 5 continents de la francophonie (16 décembre)
  • "Ceux qui sont restés là-bas", de Jeanne Truong (Gallimard)
  • "Dans le ventre du Congo", de Blaise Ndala (Mémoire d'encrier )
  • "Héritage", de Miguel Bonnefoy (Rivages)
  • "Le Jardin du Lagerkommandant", d'Anton Stoltz (Maurice Nadeau)
  • "Les Lumières d'Oujda", de Marc Alexandre Oho Bambe (Calmann-Lévy)
  • "Les Orphelins", de Bessora (JC Lattès)
  • "Le Palais des deux collines", de Karim Kattan (Elyzad 
  • "Pas même le bruit d'un fleuve", d'Hélène Dorion (Alto)
  • "Soleil à coudre", de Jean d'Amérique (Actes Sud)
  • "Les villages de Dieu", d'Emmelie Prophète (Mémoire d'encrier)

Prix Jean Giono (15 décembre)
  • "Le fils de l'homme", de Jean-Baptiste Del Amo  (Gallimard)
  • "Les bourgeois de Calais", de Michel Bernard (La Table Ronde)
  • "Milwaukee blues", de Louis-Philippe Dalembert (Sabine Wespieser)
  • "S'adapter", de Clara Dupont-Monod (Stock)
  • "Mohican", d'Éric Fottorino (Gallimard)
  • "Le voyant d'Etampes", d'Abel Quentin (L'Observatoire)
  • "Pleine terre", de Corinne Royer (Actes Sud)
  • "La Plus Secrète Mémoire des hommes", de Mohamed Mbougar Sarr (Philippe Rey)
  • "Sur les toits", de Frédéric Verger (Gallimard)

Prix Mémorable (janvier 2022)
  • "Chant des plaines", de Wright Morris, traduit de l'anglais par Brice Matthieussent (Christian Bourgois)
  • "La vie seule", de Stella Benson, traduit de l'anglais (Angleterre) par Leslie de Bont (Cambourakis)
  • "Tea rooms", de Luisa Carnés, traduit de l'espagnol par Michelle Ortuno (La Contre Allée)