Mirjam Pressler en 1998, entre Norbert Vranckx (à sa gauche) et Gerold Anrich, éditeurs en Belgique et en Allemagne de l'album "Juul" primé à Essen.. |
C'est l'ancien éditeur belge néerlandophone Norbert Vranckx qui m'apprend le décès de Mirjam Pressler. "Grande dame de la littérature allemande", écrit-il, "elle a notamment traduit "Juul" de Gregie de Maeyer." Et il publie une photo de la remise du prix de la Paix Gustav Heinemann à cet album en octobre 1998. Gregie de Maeyer était alors déjà décédé - il est mort subitement en juillet 1998. Ce prix a été créé en 1982 et est décerné chaque année à Essen, la ville natale de l'ancien président ouest-allemand, à des auteurs de livres pour enfants qui traitent du thème de la paix.
"Juul" est signé de deux Belges néerlandophones, l'écrivain Gregie de Maeyer (1951-1998) et l'illustateur Koen Vanmechelen (Averbode, 1996). Cet album de photos de sculptures étonnant et étrange est devenu "Jules" en français (traduit du néerlandais par Christian Merveille, Mango, 1996, épuisé).
Jules est un impressionnant bonhomme, composé de pièces de bois brut. Un procédé qui confère une force terrible au personnage. On découvre l'histoire de ce pantin humanisé, tellement ridiculisé par ses pairs qu'il s'autodétruit. Il s'arrache les cheveux, les oreilles, les yeux... Cette lente dislocation s'assortit de la perte progressive des sens: ouïe, vue... Elle mène à l'anéantissement de Jules, réduit à quelques bouts de bois abandonnés sur un terrain vague. Arrive alors une petite fille. Elle repère Jules, ou ce qu'il en reste. Elle le prend, le câline. Elle l'aime. Pour elle, Jules reprend vie. Il raconte son histoire, celle d'un être sensible raillé et méprisé.
Mirjam Pressler est décédée le 16 janvier 2019 à Landshut, à 78 ans seulement, d'une longue maladie. Elle était née le 18 juin 1940 à Darmstadt.
Mirjam Pressler avec Amos Oz en 2015. |
"Ce que je veux", disait la romancière, "c'est prendre au sérieux le monde de l'enfance et ce qui appartient à la fois à son expérience extérieure et à son expérience intérieure, avec toutes ses difficultés."
Mirjam Pressler est enfin une spécialiste du journal d'Anne Frank dont elle a traduit l'édition critique et dont elle a publié une nouvelle édition en 1991, "Le Journal d'Anne Frank", direction scientifique de Mirjam Pressler, traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin et Philippe Noble (Le Livre de Poche).
"Je vais pouvoir, j'espère, te confier toutes sortes de choses, comme je n'ai encore pu le faire à personne, et j'espère que tu me seras d'un grand soutien." En 1942, la jeune Anne Frank a 13 ans. Elle vit heureuse à Amsterdam avec sa sœur Margot et ses parents, malgré la guerre. En juillet, ils s'installent clandestinement dans "l'Annexe" de l'immeuble du 263, Prinsenchracht. En 1944, ils sont arrêtés sur dénonciation.
Anne est déportée à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen, où elle meurt du typhus au début de 1945, peu après sa sœur. Son journal, qu'elle a tenu du 12 juin 1942 au 1er août 1944, est un des témoignages les plus bouleversants qui nous soient parvenus sur la vie quotidienne d'une famille juive sous le joug nazi. Depuis la première publication de ce journal aux Pays-Bas en 1947, la voix de cette jeune fille pleine d'espoir hante des millions de lecteurs dans le monde entier.
Mirjam Pressler dit avoir été terriblement influencée par le fait que, quand elle n'avait que trois ans, elle avait vu un photo de la grand-mère d'Anne Frank. Elle a consacré plusieurs livres de recherche à la jeune Amstellodamoise ainsi qu'à son entourage.
Enfant d'une mère juive célibataire, Mirjam Pressler a passé son enfance dans une famille d'accueil et en foyer avant de réaliser progressivement ses origines juives. Elle a confié un jour au journal "Die Welt" que l'écriture était devenue une forme de "traitement salutaire pour l'enfant sans voix que j'étais auparavant" et que lire était une passion, même en coupant du bois. "Mes livres étaient placés sur le banc de scie afin que je puisse lire tout en coupant en morceaux."
Elle a étudié la peinture et les langues à Francfort-sur-le-Main et à Munich avant de passer un an dans un kibboutz en Israël. De retour à Munich en 1966, elle s'y marie, divorce après trois ans, travaille comme chauffeuse de taxi et détaillante de jeans. Elle commence à écrire en 1979 quand, mère-célibataire de 39 ans, elle a besoin d'argent. En 1980, son premier roman, "Chocolat amer" ("Bitterschokolade", Beltz & Gelberg, 1980, traduit chez Pocket junior en 1998) sur une jeune fille boulimique remporte un grand succès. Elle reçoit le prix du livre de l'enfance et de la jeunesse d'Oldenbourg, le premier d'une longue série de prix en littérature jeunesse. Le livre se vendra à 400.000 exemplaires!
Mirjam Pressler est traduite en français dans les années 1980 et 1990, chez Messidor/La Farandole, l'école des loisirs, Actes Sud Junior, Pocket Junior, Le livre de poche jeunesse. Mais plus aucun de ses titres quasiment n'est encore disponible aujourd'hui.
En 1990, elle débute son activité d'éditrice et de traductrice de livres pour l'enfance et de la jeunesse israéliens sélectionnés. Elle est récompensée par le prix spécial du prix allemand de la littérature pour la jeunesse pour ce travail de traductrice en 1994.
Peu de temps avant Noël 2018, Mirjam Pressler avait reçu la grande croix du mérite dans sa ville natale de Landshut en reconnaissance de son engagement exceptionnel en faveur de la compréhension internationale, notamment entre Israël et l'Allemagne, ainsi que du souvenir de l'injustice nationale-socialiste.
Quelques titres de Mirjam Pressler.
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