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mardi 23 février 2016

Pour ses 10 ans, le prix Prem1ère se dédouble


Le lauréat du prix Prem1ère 2016 (5.000 €) est le Français d'origine arménienne Pascal Manoukian, qui signe le livre "Les échoués" (Don Quichotte, 298 pages), sorti en août 2015. Il a été choisi par les dix auditeurs de La Première (une des radios de la RTBF) qui composent chaque année ce jury tournant. Et préféré aux neuf autres premiers romans en sélection finale. Quoiqu'un de ceux-ci, "Superflus", du Belge Hugo Poliart (Academia), ait reçu une "mention spéciale du jury".

"Les échoués" met en scène d'innombrables migrants aux prises avec leurs négriers, à Villeneuve-le-Roi, pas loin de Paris, il y a une bonne vingtaine d'années d'ici. Plus particulièrement trois d'entre eux dont on va d'abord découvrir les terrifiants chemins d'exil. Virgil le Moldave fuit la misère du communisme dans l'espoir de mieux faire vivre en France sa femme et ses trois fils. Assan embarque sa fille de dix-sept ans, Iman, loin de la Somalie, de sa guerre et de son intégrisme religieux. Chanchal, le Bengladais, a été désigné par sa famille comme l'enfant qui allait lui venir en aide. Ensuite, on suivra leurs quotidiens, tout aussi éprouvants. Crainte de la police, logements précaires, boulots aléatoires mais épuisants, sans oublier le racket, les trahisons, les blessures et les bagarres. Et toujours le besoin impérieux d'argent. Les pages se lisent avec douleur tant les faits décrits sont réalistes et atroces. Plusieurs viennent des notes que l'auteur, né en 1955, a prises durant ses vingt-cinq ans de journalisme, souvent de guerre.

Pascal Manoukian lors de la remise du prix. (c) Pierre Havrenne/RTBF.

Pascal Manoukian fait en sorte que les routes de ses trois échoués se croisent et que les damnés de la Terre, abondamment exploités, souvent par d'autres étrangers à la solde d'entreprises gérées par des autochtones, soient forcés de s'entraider. "Je suis parti de ce que je savais", avance le lauréat, par ailleurs fondateur et directeur tout juste retraité de l'agence Capa. "Notamment qu'il n’y a pas de solidarité entre les différentes communautés de migrants. Et j'ai voulu les forcer à être solidaires. Ainsi, Virgil qui ne veut s'embarrasser de rien s'embarrasse d'Assan." Chanchal n'est jamais loin.

Le livre se déroule en 1992. Par choix de l'auteur, sensible aux drames d'aujourd'hui: "Je voulais raconter des routes qui existent depuis vingt ans. L'immigration, c'est d'abord des pionniers: ils tentent un chemin qui est imité par des centaines de milliers de personnes après eux. Le premier bateau est arrivé à Lampedusa en 1991. C'était alors aussi le début de l'intégrisme en Afghanistan, en Somalie. Ailleurs, le communisme avait déçu. 1992, c'est le début de Schengen. J'ai choisi cette date pour raconter comment se sont mises en place toutes les structures et aussi tous les trafics. Je voulais dire comment on est arrivé à la situation d'aujourd’hui. L'immigration clandestine est un immense marché à tous les stades. Quel cynisme!"

Dans "Les échoués", on est avec les migrants, aux prises avec les trafiquants, sans autre ressource souvent que leur communauté parfois et eux-mêmes toujours. Les scènes dures se succèdent. C'est la vie des clandestins et il faut la raconter telle qu'elle est. Violente, craintive, méfiante, bassement matérielle tant l'argent est au cœur de tout (voyage depuis là-bas, survie ici, remboursements divers).  Il y a parfois une petite lumière ici ou là, comme cette famille française attentive et bienveillante ou ce délégué syndical qui fait de son mieux. Le livre aurait sans doute fait un impressionnant récit de vies, mais l'auteur a choisi d'en faire un roman, son premier, et c'est justement de romanesque que le livre manque. Si on tremble devant la cruauté des uns et des autres, si on frémit devant les atrocités évoquées, si on s'indigne devant les abus incessants, si on pleure lors du sacrifice final, l'intention fait de l'intrigue autant de pièces rapportées. Parfois lourdement. Dommage. L'enfer est pavé de bonnes intentions et on a connu le jury du prix Prem1ère plus inspiré. "J'ai voulu faire ce livre parce que je pense qu'il ne faut pas oublier qu'on peut tous devenir des échoués", plaide l'auteur. "Quel est l’avenir des Grecs aujourd'hui? La Deuxième Guerre mondiale n'est pas si loin. Je ne veux pas regarder ces situations comme un drame extérieur." Il a raison d'éclairer le public mais cela ne suffit pas à faire un roman.


Les précédents lauréats du prix Prem1ère

2015 Océane Madelaine "D'argile et de feu" (Editions des Busclats, lire ici)
2014 Antoine Wauters, "Nos mères" (Verdier, lire ici)
2013 Hoai Huong Nguyen, "L'ombre douce" (Viviane Hamy)
2012 Virginie Deloffre, "Lena" (Albin Michel)
2011 Nicole Roland, "Kosaburo, 1945" (Actes Sud, lire ici)
2010 Liliana Hazar, "Terre des affranchis" (Gaïa)
2009 Nicolas Marchal, "Les Conquêtes véritables" (Les Éditions namuroises)
2008 Marc Lepape, "Vasilsca" (Galaade)
2007 Houda Rouane, "Pieds-blancs" (Philippe Rey)


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