Mathias Enard. (c) Marc Malki. |
On attend l'écrivain français à la Foire du livre de Bruxelles les samedi 20 et dimanche 21 février et à Passa Porta le samedi soir.
Plus faciles d'accès sans doute, deux de ses romans précédents, "Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants " (Actes Sud, 154 pages, 2010, Babel, 2014) et "Rue des voleurs" (Actes Sud, 255 pages, 2012, Babel, 2014).
Ce magnifique roman de Mathias Enard s'avère très différent de son précédent, le superbe "Zone" (Actes Sud, 2008, Babel, 2010), dont les phrases se passaient de point, qui se déroulait dans un train et dépassait les 500 pages. Ici, le volume est court, 154 pages, et se découpe en de multiples chapitres à haut pouvoir magnétique.
L'écrivain est parti d'un fait historique peu connu, à propos duquel il fournit des notes solides. Mais il s'octroie aussi dans "Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants" la liberté que permet la fiction. Sa chronique romancée d'un temps révolu se lit avec avidité et passion tant la narration ciselée est évocatrice de scènes et de sensations, tant elle s'approche au plus près de l'humain, qu'il soit artiste, homme de pouvoir ou agent double. On est véritablement aux côtés de Michel-Ange, artiste déboussolé dans un pays inconnu, en panne d'idées. A qui se fier? Comment créer? Qui aimer? De qui se laisser aimer? Où loger? Comment manger? Le temps presse-t-il autant que l'indique le sultan? Les interrogations créatrices côtoient les questions matérielles, délicatement entrelacées avec les rencontres impromptues ou organisées: un poète local, une danseuse andalouse...
Fin connaisseur du Moyen-Orient, Mathias Enard plonge avec délicatesse le lecteur dans l'Istambul d'hier. Comme Michel-Ange veut relier les deux parties de la ville par un ouvrage d'art, l'écrivain jette un pont entre l'Orient et l'Occident, entre la politique et l'esthétique, entre la subsistance et la création, entre le passé et le présent.
Pour lire un extrait de "Parle-leur de rois, de batailles et d'éléphants", c'est ici.
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Avec "Rue des voleurs" (Actes Sud, 2012, Babel, 2014), allant de Tanger à Barcelone en passant par Algésiras, Mathias Enard a donné son idée du printemps arabe. Dans ce très beau roman engagé, il démontre clairement la montée du salafisme dans les pays arabes.
En 2012, écouter les informations venant des pays où se déroulaient les révolutions arabes et lire "Rue des voleurs" de Mathias Enard, c'était un peu se retrouver en stéréo. Car le roman met en scène Lakhdar, 18 ans au début, un Marocain de Tanger sans histoires, plein de vie et d'envies, qui se retrouve à la porte de chez lui et est embrigadé comme libraire dans le Groupe pour la Diffusion de la Pensée coranique. Lui, le musulman modéré, le fils obéissant, l'amateur de romans policiers. Lui qui rêve d'Europe atteindra l'Espagne après des aventures pénibles et y trouvera d'autres réalités, aussi pénibles. Mathias Enard a écrit un très beau roman, prenant et audacieux, sur la montée du salafisme, doublé d'un remarquable parallèle avec le voyage de l'explorateur marocain Ibn Batouta au XIVe siècle. "Rue des voleurs" dit la vie, l'amour, l'amitié et leurs contraires, les rêves et l'aspiration à un monde meilleur, en dehors des dogmes religieux et des diktats familiaux.
L'écrivain était alors passé par Bruxelles pour parler de ce livre.
Quel a été le point de départ de ce roman?
J'avais envie de puis longtemps d'un roman d'aventures qui soit un hommage au roman policier et l'initiation du passage à l'âge adulte. J'ai suivi de près les révolutions dans les pays arabes. J'ai imaginé comment lier les révoltes arabes et la crise en Espagne."Rue des voleurs" comporte de nombreux éléments d'actualité (révoltes arabes, attentats au Maroc, noyade de clandestins, etc.) mais reflète un genre littéraire différent de vos autres livres.
Chaque projet amène une façon d'être écrit. Pour chaque livre, ce qui compte, c'est trouver un ton, une voix qui lui convienne. Le style et la langue doivent faire partie du livre. Pour moi, le roman doit se servir de l'actualité pour fabriquer des objets différents de ce que ferait un reporter ou un journaliste. Je relie les faits les uns aux autres. Cela me permet d'ancrer les personnages dans une réalité concrète, de faire de leurs existences des exemples emblématiques de leur modernité.Vous parlez vous-même arabe?
Oui, j'ai fait des études d'arabe. J'ai longtemps habité en Syrie, au Liban, en Egypte et à Tanger. Aujourd'hui je vis toujours à Barcelone où j'enseigne l'arabe. Judit, un de mes personnages, pourrait être une de mes étudiantes.Vos personnages principaux sont jeunes. Vous avez confiance en la jeunesse?
Oui, on peut avoir confiance en ce type de jeunesse, comme mon narrateur. Il est très désireux de liberté et d'amélioration économique mais il a du mal à participer au débat public et à la politique qui sont nouveaux pour lui.Votre roman se découpe en trois parties: Tanger, le ferry et Algésiras, Barcelone.
Les trois parties ont été décidées tout de suite. Le voyage commence à Tanger, s'arrête à Barcelone. Entre les deux, il y a l'intermédiaire du bateau et l'épisode avec Cruz à Algésiras.Vous faites le parallèle entre le voyage de Lakhdar et celui d'Ibn Batouta au XIVe siècle.
Ibn Batouta est un voyageur qui a eu la chance de pouvoir profiter de la paix mongole. Il est allé jusqu'en Chine. Il a voyagé pendant 25-30 ans. Il est un héros au Maroc. Un lycée porte son nom, une mosquée, un bateau, celui que j'utilise dans le livre. Pas besoin d'inventer, le réel est assez généreux. Ibn Batouta est comme un fil rouge du début à la fin du livre, comme un sous-texte.La fin, "Faites de moi ce que vous voudrez", est terrible.
Lakhdar est arrivé au bout du voyage. Il est à son procès. Il n'a plus de prise sur les choses. Petit à petit, il a été fabriqué par son destin. Il se confie au tribunal comme on se confie au destin. Je suis très content de cette fin.
Pour lire un extrait de "Rue des voleurs", c'est ici.
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