De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.
Derrière ce titre intrigant, "N'essuie jamais de larmes sans gants" de l'écrivain star en Suède Jonas Gardell ("Torka aldrig tårar utan handskar", traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud et Lena Grumbach, Gaïa, 592 pages, 2016, Gaïa Kayak, 848 pages, 2018), dont l'explication est fournie dès les premières pages, se cache un roman exceptionnel qui vient de paraître en format semi-poche. Prodigieux par son format, son sujet, sa force, son atmosphère, sa manière et son style.
C'est une brique magnifique et puissante qu'on ne lâche pas une minute mais qui nécessite un long temps de lecture tant elle est dense et bouleversante. On ne saurait résumer le roman en disant que c'est l'histoire de Rasmus et Benjamin, l'un fils unique, l'autre témoin de Jéhovah, qui savent très tôt qu'ils ne sont pas comme les autres garçons. Mais nous sommes à la fin des années 70 et l'homosexualité n'est pas appréciée dans les campagnes de Suède et carrément interdite chez les Témoins. Ils feront tous les deux, comme plein d'autres jeunes hommes gays, le choix de quitter leur milieu et leur famille et de déménager à Stockholm pour pouvoir être eux-mêmes. Rasmus et Benjamin finiront par se rencontrer et connaître un très grand amour. "Je veux dans ma vie pouvoir aimer quelqu'un qui m'aime" est leur souhait. A ce moment, on est au début des années 80 et une maladie inconnue, une épidémie mortelle, ravage les homos. On ne sait pas encore que c'est le sida, on ignore comment s'en prémunir et comment la soigner et les réactions sont terrifiantes.
"N'essuie pas de larmes sans gants" est bien plus qu'un roman sur le sida et l'homosexualité en Suède il y a quarante ans. C'est une écriture souvent syncopée qui va et vient entre les époques et les personnages et nous hypnotise - chapeau aux traducteurs pour leur excellent travail - tout en ménageant une grande place à des dialogues remarquables ou à une poésie opportune. Ce sont des phrases qui saisissent au plus près de leur corps et de leur âme tous ceux et toutes celles qu'on va croiser. Ce sont des moments d'émotion par exemple quand on suit les garçons petits, avec cet élan aussi blanc que rare qui intervient régulièrement dans l'histoire jusqu'aux terribles dernières pages. De rage quand on voit le sort réservé à ceux qui sont atteints de LA maladie, d'admiration pour le rare personnel médical qui les accompagne. D'incompréhension devant cette société fermée qui n'accepte pas les évidences, et pas seulement chez les témoins de Jéhovah. On oublie vite ce qui a précédé.
Partagé en trois parties, "L'amour", "La maladie" et "La mort", le livre nous fait connaître de l'intérieur une foule d'homosexuels extrêmement attachants, dont un groupe qu'on suit de près, chacun passant à son tour à un moment du roman sous les feux du projecteur de l'auteur. Ils sont comme ils sont, mais jamais caricaturés. On les voit s'aimer, se perdre, se trahir, avoir peur, être en rage et aussi lutter pour leurs droits, et se défendre les uns les autres. Souvent avec humour, parfois avec sarcasme.
Jonas Gardell signe un livre de désespoir, de mémoire et d'amour, une tragédie où il glisse sans cesse du romanesque aux éléments sociologiques, politiques ou médicaux. Il nous emmène dans une lecture prodigieuse, dont on sort bouleversé et qu'on quitte à regret tant il a été bon d'être en compagnie de Rasmus, Benjamin, Paul, Lars-Ake, Reine, Bengt, Seppo, ces gays qui ont changé l'Histoire, l'ont payé cher et à qui il offre un extraordinaire tombeau.
Pour lire le début de "N'essuie jamais de larmes sans gants", c'est ici.
Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.
Jonas Gardell. |
2018. |
2016. |
C'est une brique magnifique et puissante qu'on ne lâche pas une minute mais qui nécessite un long temps de lecture tant elle est dense et bouleversante. On ne saurait résumer le roman en disant que c'est l'histoire de Rasmus et Benjamin, l'un fils unique, l'autre témoin de Jéhovah, qui savent très tôt qu'ils ne sont pas comme les autres garçons. Mais nous sommes à la fin des années 70 et l'homosexualité n'est pas appréciée dans les campagnes de Suède et carrément interdite chez les Témoins. Ils feront tous les deux, comme plein d'autres jeunes hommes gays, le choix de quitter leur milieu et leur famille et de déménager à Stockholm pour pouvoir être eux-mêmes. Rasmus et Benjamin finiront par se rencontrer et connaître un très grand amour. "Je veux dans ma vie pouvoir aimer quelqu'un qui m'aime" est leur souhait. A ce moment, on est au début des années 80 et une maladie inconnue, une épidémie mortelle, ravage les homos. On ne sait pas encore que c'est le sida, on ignore comment s'en prémunir et comment la soigner et les réactions sont terrifiantes.
"N'essuie pas de larmes sans gants" est bien plus qu'un roman sur le sida et l'homosexualité en Suède il y a quarante ans. C'est une écriture souvent syncopée qui va et vient entre les époques et les personnages et nous hypnotise - chapeau aux traducteurs pour leur excellent travail - tout en ménageant une grande place à des dialogues remarquables ou à une poésie opportune. Ce sont des phrases qui saisissent au plus près de leur corps et de leur âme tous ceux et toutes celles qu'on va croiser. Ce sont des moments d'émotion par exemple quand on suit les garçons petits, avec cet élan aussi blanc que rare qui intervient régulièrement dans l'histoire jusqu'aux terribles dernières pages. De rage quand on voit le sort réservé à ceux qui sont atteints de LA maladie, d'admiration pour le rare personnel médical qui les accompagne. D'incompréhension devant cette société fermée qui n'accepte pas les évidences, et pas seulement chez les témoins de Jéhovah. On oublie vite ce qui a précédé.
Partagé en trois parties, "L'amour", "La maladie" et "La mort", le livre nous fait connaître de l'intérieur une foule d'homosexuels extrêmement attachants, dont un groupe qu'on suit de près, chacun passant à son tour à un moment du roman sous les feux du projecteur de l'auteur. Ils sont comme ils sont, mais jamais caricaturés. On les voit s'aimer, se perdre, se trahir, avoir peur, être en rage et aussi lutter pour leurs droits, et se défendre les uns les autres. Souvent avec humour, parfois avec sarcasme.
Jonas Gardell signe un livre de désespoir, de mémoire et d'amour, une tragédie où il glisse sans cesse du romanesque aux éléments sociologiques, politiques ou médicaux. Il nous emmène dans une lecture prodigieuse, dont on sort bouleversé et qu'on quitte à regret tant il a été bon d'être en compagnie de Rasmus, Benjamin, Paul, Lars-Ake, Reine, Bengt, Seppo, ces gays qui ont changé l'Histoire, l'ont payé cher et à qui il offre un extraordinaire tombeau.
Pour lire le début de "N'essuie jamais de larmes sans gants", c'est ici.
Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 8: "Christian Bérard clochard magnifique" de Jean Pierre Pastori (biographie, Séguier)
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