Julia Kerninon. (c) Ph. Matsas/Opale/Rouergue. |
Lundi matin, la romancière jeunesse Marie-Aude Murail disait à Augustin Trapenard dans "Boomerang" (France Inter) que, pour elle, "lecture et écriture sont comme inspiration et expiration. Une respiration. Un mouvement." Cela m'a immédiatement rappelé le superbe nouveau roman de Julia Kerninon que j'ai adoré et pas encore eu le temps de présenter.
Est-la machine à écrire ancienne en couverture qui m'avait attirée? Le titre, énigmatique, presque provocateur? La faible épaisseur, je me connais? Toujours est-il que "Une activité respectable" de Julia Kerninon (Rouergue, "La Brune", 60 pages), a émergé de ma pile de livres. Bonne pioche. Une sacrée bonne pioche même qui réjouira tous les fondus de lecture. Un livre sacrément dense, qui se lit d'une traite à l'image de son texte quasiment sans paragraphe sans que cela nuise au plaisir.
Il y en a qui naissent dans les choux. Il y en a qui naissent dans les roses. Il y en a qui naissent dans les livres. Julia Kerninon par exemple. Du haut de ses trente ans, elle nous raconte sa vie dans les livres dès son enfance. Fille d'immenses lecteurs, fous d'Amérique, elle va à cinq ans et demi visiter la librairie parisienne Shakespeare and Company. Une révélation! La sensation la plus forte de ses premières années de vie, en dit-elle.
La narratrice a de qui de tenir dans son appétit de livres. Les chiens ne font pas des chats. Ses parents sont des affamés de lecture, comme ils le lui montrent au quotidien ou le lui racontent à propos du passé où elle n'était pas encore là. Par exemple, leurs huit mois de Cancún à Vancouver en auto-stop, sans livre dans leurs sacs à dos pour ne pas les alourdir. Un manque douloureux que comblait la découverte d'un bouquin abandonné ici ou là.
Les escapades parentales se sont arrêtées avec la naissance de leurs deux filles. Ils se sont sédentarisés dans une maison de province au bout d'un cul-de-sac, dont le jardin arborait un pêcher. Un endroit à eux, avec des livres et du sirop d'érable. Au début, ils étaient comme les Trois Ours, ensuite s'est ajoutée la petite sœur. Partout, des livres, des monuments de livres. Et une machine à écrire qui permet à l'enfant d'écrire des poèmes et des histoires.
On avance avec émotion dans cette enfance dont tant de souvenirs sont présents. Puis dans l'adolescence et l'âge adulte. Lire, et écrire, puisque la narratrice souhaite être écrivain. Se lever à pas d'heure pour aligner des mots avant d'aller au cours. Se coucher tard, après avoir récité des poèmes dans des cafés. Après sa maison et sa famille, c'est le monde qui va éduquer Julia Kerninon. Le premier livre publié, sous pseudonyme, une année à Budapest, pour faire un break. Réétudier, et toujours lire et écrire. S'installer à Nantes. Repartir à Budapest. Et toujours lire et écrire. Jusqu'au moment où retentit le téléphone qui dit que le livre est accepté.
Du haut de ses trente ans, Julia Kerninon rend un formidable hommage à la littérature et à la vie. De ses longues phrases qui coulent et font l'imaginer, elle nous partage sa vie, sa famille, ses souvenirs, ses impressions, ses envies, ses espoirs, ses certitudes. Et bien sûr, ses livres, ceux qu'elle lit et ceux qu'elle écrit. "Ma vie", lit-on dans "Une activité respectable", "je la passe à lire des livres pour remettre les choses en place, pour me déplier, et c'est comme chanter tout bas à ma propre oreille pour me réveiller." Un mélange de considérations inattendu et très réussi.
Enchantée de découvrir son écriture, sa sincérité, sa fraîcheur, sa générosité, j'ai vu avec plaisir que ce roman-ci était son troisième. Les deux précédents, "Buvard" et "Le dernier amour d'Attila Kiss", parus chez le même éditeur, me tendent les bras.
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