Vincent Cuvellier vu par Robin. (c) Gallimard Jeunesse/Giboulées. |
C'est le 1er avril 2002, il y a quinze ans, que Vincent Cuvellier est devenu véritablement écrivain, dit-il. Quand il a trouvé chez lui, déposés par le facteur, ses exemplaires de "Kilomètre zéro", son premier roman pour préados publié au Rouergue Jeunesse - et réédité l'an dernier avec une nouvelle couverture de Max de Radiguès (lire dans les compléments).
Ecrivain, le Brestois l'était certes déjà depuis quinze ans. Mais si sa première publication, la nouvelle "La troisième vie" (Milan), écrite à 17 ans, fut lauréate du Prix du Jeune écrivain de langue française 1987, repérée par l'écrivain Christian Giudicelli qui l'a imposée au jury, elle ne l'a pas embarqué pour autant sur un long fleuve tranquille.
Bien au contraire! Vincent Cuvellier se remémore aujourd'hui son itinéraire d'écrivain peu gâté pendant ses quinze premières années d'écriture dans "Je ne suis pas un auteur jeunesse" (dessins de Robin, Gallimard Jeunesse/Giboulées, 128 pages). Il y confie aussi les quinze suivantes, bien plus gratifiantes. Un mélange d'autobiographie et d'essai littéraire dont le ton est donné dès le titre, pique au livre de Christian Grenier, "Je suis un auteur jeunesse" (lire dans les compléments). Car Vincent Cuvellier se revendique écrivain, écrivain tout court, même s'il admet que son public est celui des enfants et des adolescents. C'est même un de ses sujets de discussion préférés, comme l'autonomie grâce aux droits d'auteur et pas aux prestations scolaires, les obligations morales de l'auteur ou non, la liberté de créer. Autant de thèmes qu'il aborde de face ou de biais dans son livre "bilan et perspectives". Sans "oui-ouin" mais avec la liberté de pensée et le brin de provoc' qui le caractérise. Et qui fait qu'on l'aime.
La vocation d'être écrivain, Vincent Cuvellier l'a depuis qu'il a 8 ou 9 ans. Il le raconte dans "Le pouvoir magique", un livret illustré par Robin et offert par Gallimard Jeunesse/Giboulées à l'occasion des 30 ans d'écriture de l'auteur. Ecrire est la grande affaire de sa vie, comme être autonome et indépendant, ambition qui lui a valu déboires et expérience.
Aujourd'hui, à 47 ans, dont 30 d'écriture et 71 livres publiés, l'auteur du roman pour ados "Ma tronche en slip" (Rouergue, 2014, nouvel épisode autour de son héros Benjamin) entame une nouvelle tranche de quinze ans. Avec des livres qui sortent en chapelet ces mois-ci, d'autres à écrire bien sûr, mais aussi un magasin de livres d'occasion, Les gros mots, qu'il vient d'ouvrir à Bruxelles.
Fameuse année que 2017 pour le Français installé à Bruxelles depuis 2012! Il y vit avec son fils Joseph, dix ans, mieux connu sous le nom de Jojo. Hercule avait douze travaux, Cuvellier en a sept!
- Première sortie en janvier: "La cire moderne" (Casterman), la première bande dessinée de Vincent Cuvellier avec Max de Radiguès, l'auteur du logo de sa boutique, sur l'improbable héritage qu'est une fabrique de cierges.
- En parallèle, une bande dessinée mensuelle dans "Astrapi" (Bayard), "Les nouveaux" (à l'école) avec Benoit Audé.
- Février: ouverture de la bouquinerie Les gros mots (67 rue Lesbroussart, 1050 Bruxelles), près de la place Flagey (lire dans les compléments).
- Fin mars, sorties au cube: "Emile fait l'enterrement", avec Ronan Badel (Gallimard Jeunesse/Giboulées, 32 pages), le quatorzième album de la série, le quinzième, "Emile rêve" sortira en septembre, en parallèle au hors-série "Les mots d'Emile", voir dans les compléments); l'album "Mon fils", avec Delphine Perret (Gallimard Jeunesse/Giboulées, 96 pages, lire dans les compléments); l'essai sur la littérature jeunesse "Je ne suis pas auteur jeunesse" illustré par Robin (Gallimard Jeunesse/Giboulées, 140 pages, lire dans les compléments).
- A la rentrée de septembre, sortie de "Histoires pour les jours pairs", avec Thomas Baas (Hélium), un titre à prendre au premier degré car il rassemble 183 nouvelles, une tous les deux jours!
Compléments
Kilomètre zéro
Vincent Cuvellier
Rouergue, 2002
réédition 2016
Partir marcher avec son père sur un chemin de grande randonnée, Benjamin n'en avait franchement pas rêvé. Pourtant, il le fera et découvrira quel homme est son père. Pas de morale mais un compte-rendu précis des kilomètres avalés à deux, comme les boîtes de conserve mal réchauffées et les pains au fromage fondu. Avec les moments horribles, ceux qui le sont moins et aussi ceux qui sont carrément réussis. On y croise furtivement une demoiselle qui a deux points de beauté sous l'œil droit.
Je suis un auteur jeunesse
Christian Grenier
Rageot, 2004
Auteur jeunesse confirmé, Christian Grenier a 25 ans quand, finalement, il accepte l'idée de ce métier. "Il m'a fallu des années pour devenir jeune", confesse-t-il en avant-propos de son émouvant bilan-confession qui pose mille questions sans toujours y apporter de réponses, réflexion d'un auteur défendant une littérature de jeunesse de qualité.
Grenier nous raconte son destin peu habituel d'enfant tardif et solitaire d'un couple de comédiens. Son enfance gavée de théâtre, cette "machine à fabriquer de l'illusion" dont il observe les mécanismes, avant que le roman ne prenne place dans sa vie. Son amour d'ado, puissant et inébranlable, pour Annette, de plusieurs années son aînée. Sa vie d'enseignant et d'écrivain jeunesse, revendiquée haut la main par une comparaison comique avec la notion d'écrivain "vieillesse". Se perçoit surtout une immense passion partagée entre l'écriture, les centaines de mots assemblés chaque jour, et la lecture, des dizaines de livres lus chaque semaine, et ce, depuis toujours.
Je ne suis pas un auteur jeunesse
Vincent Cuvellier
Robin
Gallimard Jeunesse/Giboulées
2017, 140 pages
Papier mat blanc sur lequel claquent les mots bleus de la couverture et une silhouette aussi fière que nonchalante, tranche du même bleu fort, ni clair, ni foncé, le livre risque de surprendre. Par son ton et par ses invités, des "fantômes" convoqués tour à tour, le Général de Gaulle, Claude François et Lino Ventura! "Chacun des fantômes correspond à un de mes traits", explique l'auteur. "Ce sont mes amis imaginaires. J'ai pas mal galéré. Claude François, c'est "je vais y arriver", Charles de Gaulle m'aide à prendre de la hauteur, il est le mec qui a sauvé la France, Lino Ventura est celui qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Au début, je m'en suis pris plein la gueule. Avec Guillaume Guéraud, on était les rebelles." Et l'aval du père, en finale.
Vincent Cuvellier y raconte son itinéraire d'auteur qui "aime bien écrire vite et court", ses galères et ses bonheurs d'homme et d'écrivain. Ses rencontres avec deux éditrices, Sylvie Gracia au Rouergue qui le lance, et Colline Faure-Poirée (Gallimard Jeunesse/Giboulées) qui lui ouvre d'autres chemins et ressemble à Maria Pacôme. Il parle de lui, de ses livres réussis, de ses livres ratés, ceux qu'il a fait parce qu'il faut gagner sa vie. Il cause aussi de littérature jeunesse, évidemment. Ce n'est pas pour rien qu'il a lancé une page sur Facebook à ce sujet (12.000 membres) , l'a barrée pendant cinq ans avant d'en passer le gouvernail à Francesco Pittau en février. Vincent Cuvellier n'est pas tendre, on le sait. Il ne mâche pas ses mots. Balance ses roquettes contre les livres-médicaments et ceux qui les écrivent. En même temps, il défend son métier et l'idéal qu'il voit à son métier. Il est là pour écrire, pas pour rencontrer des enfants dans les classes à longueur d'année. Pas que le principe lui déplaise mais il veut vivre de ses droits d'auteur, pas des rémunérations liées aux rencontres scolaires.
Voilà donc une analyse autobiographique du secteur qui décoiffe et où on retrouve trop bien le Cuvellier de la vraie vie. "J'avais l'idée du livre depuis longtemps mais ma pensée n'était alors pas structurée. J'en avais fait une première version, trop en colère. J'en avais marre du milieu, des auteurs pédagos, des instits auteurs." La seconde version risque de les secouer aussi. Mais la réflexion n'est-elle pas salutaire?
Un seul regret, que la bibliographie finale ne mentionne que les livres publiés chez Gallimard.
Mon fils
Vincent Cuvellier
Delphine Perret
Gallimard Jeunesse/Giboulées
2017, 96 pages
"Cet album est la suite de "La première fois que je suis née"", sait Vincent Cuvellier qui y raconte son fils par petites touches. Sa vie avec lui, sa vie avant lui un peu. Des petits brins de quotidien, la naissance, la rencontre, le grand-père, les histoires, les sorties, la plage, Bruxelles, les projets.., posés là et éclairés par les dessins très simples de Delphine Perret. Des silhouettes au trait noir, relevées d'aplats de couleurs vives, en accord avec la lettrine du texte auxquelles elles se rapportent. "Jojo, mon fils, ne voulait pas que je fasse ce livre au début. Puis il l'a regardé un jour. Il l'aimait bien, et l'a amené à l'école à sa maîtresse."
Illustration de Delphine Perret. (c) Gallimard Jeun./Giboulées. |
Un extrait de "Mon fils". (c) Gallimard Jeun./Giboulées. |
Un livre qui est venu par petites tranches, se souvient l'auteur. Ce qui lui donne sa fluidité. "Je voulais éviter le côté formule philosophique. Désamorcer le sujet par des trucs très quotidiens. Ma technique est basée sur la spontanéité travaillée. Je réserve, je pense le moins possible à ce que je vais écrire, puis, devant la feuille, j'écris."
"Mon fils" est le portrait d'un fils par son père comme "Kilomètre zéro" était le portrait d'un père par son fils. Mais ça, c'est mon avis...
Vincent Cuvellier
Charles Dutertre
Gallimard Jeunesse/Giboulées
2006, 108 pages
Ce très joli album en boucle commence à la naissance d'une petite fille, une noiraude avec un point de beauté sous l'œil droit. Il se poursuit par l'évocation de quarante-neuf autres "premières fois": rencontre du papa, annonce du nom, bisou, bain, pipi... Chaque fois, un court texte détaille la situation que traduit à sa manière le dessin. Au fil de ces cinquante arrêts sur images, moments de bonheur ou plus difficiles, le bébé grandit: petite fille, adolescente, jeune femme, future mère avec en projection dans l'avenir le rappel de "premières fois" à elle, et, finalement, nouvelle maman qui tient dans ses bras un bébé fille, une noiraude avec deux points de beauté sous l'œil droit et naît une deuxième fois!
La fois où je suis devenu écrivain
Vincent Cuvellier
Rouergue, 2012
Vingt-cinq ans après ses débuts d'écrivain, l'auteur se souvient de l'adolescent qu'il a été. Viré de l'école avant la fin du cursus, intéressé par les filles, enchaînant les petits boulots pas toujours enchanteurs mais adorant écrire et rêvant d'être écrivain. Ce qu'il est devenu.
La série des Emile
Emile est né en 2012. C'est un petit garçon qui vit sa vie de petit garçon, a ses émotions et ses interrogations de petit garçon. Avec une bouille qui n'est pas sans rappeler celle de Jojo petit. La série comptera quinze volumes et quatre hors-série à la fin de l'année!
Plein d'autres livres évidemment, des romans et des albums dont "Tony Tiny Boy" avec Dorothée de Monfreid (Hélium, 2013, lire ici), "Ils ont grandi pendant la guerre " (illustré par Baron Brumaire, Gallimard Jeunesse/Giboulées, 2015), un documentaire sur des vieilles personnes qui racontent aux enfants d'aujourd'hui comment s'est passée leur enfance pendant la guerre.
Sur la porte |
Magasin de livres d'occasion
67 rue Lesbroussart
1050 Bruxelles
du mercredi au vendredi
de 14 heures à 18h30
le samedi de midi à 18h30
La vitrine. |
On peut dessiner sur les murs (sous conditions). |
Il est frappant de voir combien cette bouquinerie semble la déclinaison de la page Facebook "Actualité de la littérature jeunesse". Page qui remplaçait un projet de revue culturelle pour enfants qui a capoté faute de moyens.
"Pour le magasin, il ne faut pas spécialement avoir la folie des grandeurs", affirme le patron. "Je veux faire quelque chose à ma taille, comme mes livres, ni trop grands, ni trop petits. C’est important de savoir se situer. Il y a environ 2.000 livres en stock dont un tiers provient de ma collection personnelle. Les autres ont été achetés depuis septembre en perspective de la boutique."
L'écrivain bouquiniste Vincent Cuvellier. |
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