Chouette, "mabrouk" même puisqu'il parle arabe! Mathias Enard obtient ce mardi 3 novembre le prix Goncourt 2015 pour "Boussole" (Actes Sud, 400 pages), son neuvième roman. Un tour aura suffi au jury pour le désigner par six voix contre deux à Tobie Nathan et deux à Hédi Kaddour, a annoncé le secrétaire général de l'Académie, Didier Decoin.
Mais j'aurais aussi dit "chouette" si un des trois autres finalistes avait été choisi, Nathalie Azoulai pour "Titus n'aimait pas Bérénice" (P.O.L.), Hédi Kaddour pour "Les prépondérants" (Gallimard) ou Tobie Nathan pour "Ce pays qui te ressemble" (Stock).
Consécration méritée pour cet auteur né en France en 1972 et vivant depuis longtemps à Barcelone entre quelques séjours au Moyen et au Proche-Orient. Ses livres précédents ont été distingués à plusieurs reprises: prix des Cinq Continents de la francophonie pour "La perfection du tir" (2003), prix Décembre et du Livre Inter pour "Zone" (2008), prix Goncourt des Lycéens pour "Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants" (2010) - d'où son absence dans le prix Goncourt des lycéens 2015.
"Endurance et détermination dans la lecture", reconnaît le jury en encourageant les futurs lecteurs de "Boussole", où Franz Ritter, un musicologue viennois, se remémore, au cours d'une seule nuit, ses souvenirs et son amour pour l'Orient, un thème très présent chez Mathias Enard.
De son roman, l'auteur en dit lui-même ceci:
"Interroger la frontière. Essayer de la comprendre, dans ses flux, ses reflux, sa mobilité. La suivre du doigt. Plonger la main dans le courant de la rivière ou la saignée du détroit. La parcourir avec ceux qui l'ont explorée, voyageurs, poètes, musiciens, scientifiques. En relever les traces, les cicatrices anciennes ou les interactions nouvelles. Entrevoir tour à tour sa violence et sa beauté. Exhumer des passions oubliées et des échanges enfouis, reprendre des dialogues parfois interrompus. Tenter humblement de recenser les marques de cette passion, de ce qui se joue entre soi et l'autre, entre "Les Mille et Une Nuits" et "À la Recherche du temps perdu", entre "L'Origine du monde" et un pasha ottoman, entre le chant du muezzin et des lieder de Szymanowski.Le début de "Boussole" est à lire ici.
J'ai été ce qu'on appelait autrefois un orientaliste. J'ai étudié l'arabe et le persan à l'Institut des langues orientales. Comme mes personnages, j'ai parcouru l'Egypte, la Syrie ou l'Iran. J'ai essayé de reconstruire cette longue histoire, celle de l'amour de l'Orient, de la passion de l'Orient, et des couples d'amoureux qui la représentent le mieux: Majnoun et Leyla, Vis et Ramin, Tristan et Iseult. Sans oublier ce qu'il peut y avoir de violent et de tragique dans ces récits, de rapports de force, d'intrigues politiques et d'échecs désespérés.
Ce long voyage commence à Vienne et nous amène jusqu'aux rivages de la mer de Chine; à travers les rêveries de Franz et les errances de Sarah, j'ai souhaité rendre hommage à tous ceux qui, vers le levant ou le ponant, ont été à tel point épris de la différence qu'ils se sont immergés dans les langues, les cultures ou les musiques qu'ils découvraient, parfois jusqu'à s'y perdre corps et âme."
C'est la troisième fois qu'Actes Sud obtient le prix Goncourt, qui est quand même la plus estimée des distinctions littéraires francophones et vaut entre 300 et 400.000 ventes. Laurent Gaudé le lui avait valu en 2004 avec "Le soleil des Scorta", puis Jérôme Ferrari en 2012 avec "Le sermon sur la chute de Rome" (lire ici et ici).
Année faste que 2015 pour l'éditeur d'Arles qui est aussi celui qui publie les traductions françaises du prix Nobel de littérature 2015, Svetlana Alexievitch (lire ici).
Les sélections et prix
Jean Giono (remis), ici, ici et ici
Grand Prix du roman de l'Académie française (remis), ici, ici et ici
Décembre (remis), ici, ici et ici
Goncourt et Goncourt des lycéens, ici, ici et ici
Wepler, ici
Renaudot, ici, ici et ici
Médicis, ici, ici et ici
Flore, ici et ici
Femina, ici, ici et ici
Interallié, ici et ici
Grand Prix de littérature américaine, ici et ici
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