Si les albums sur le coucher des enfants sont nombreux, plus rares sont ceux qui parlent de l'insomnie nocturne. La pleine lune qui vient de passer ce week-end me l'a aimablement rappelé.
Komako Sakaï, née en 1966. |
Elle et le chat descendent les escaliers, font un rigolo arrêt pipi en stéréo. Les images sont très réussies, expressives et paisibles. On suit la petite fille et Shiro dans les différentes pièces de la maison. Cuisine de nuit, jeu devant la lune, chapardages à l'aînée endormie, nouveaux jeux sous la couverture...
On perçoit l'amusement intense, la jubilation que suscite chez la cadette cette petite tranche de vie en solo, en secret de toute la famille... Et puis viennent le pigeon qui chante, le jour qui s'est levé incognito et Anna qui sent ses paupières peser. La lumière a blanchi. La petite fille et son chat se sont rendormis. Le lecteur a participé à cette aventure nocturne secrète, sobrement racontée et portée par un graphisme somptueux dans sa simplicité.
Anna et Shiro descendent l'escalier. (c) Komako Sakaï/L'école des loisirs. |
Ces qualificatifs de joie, de sobriété et d'excellence tant graphique que scénaristique, on peut les poser sur tous les albums de Komako Sakaï, qu'elle travaille en solo ou en tant qu'illustratrice du texte d'autres personnes. "Réveillés les premiers!" est son onzième album. Tous sont publiés à L'école des loisirs, sauf un, "Moi, ma maman...", publié à La Joie de lire.
Revue chronologique de ses titres
2005
"Un amour de ballon"
adaptation française de Florence Seyvos
L'école des loisirs
Il est difficile de ne pas rapprocher ce premier titre tellement touchant et réussi des albums d'une autre illustratrice japonaise, Akiko Hayashi ("Le premier camping de Nahotchan", "Aya et sa petite sœur", "Ken et le renard d'Aki", tous à L'école des loisirs). On y trouve la même atmosphère de vie pleine mais sereine, la même ambiance intime et poétique, le même prolongement artistique d'une situation quotidienne. Ici, un marchand a donné un ballon de baudruche à Akiko, haute comme trois fois son cadeau. Ficelle nouée au doigt, elle ramène son trésor chez elle. Là, elle lâche le lien et le ballon monte au plafond. Maman le récupère, l'attache à une cuiller, lest qui le maintient à hauteur d'enfant. Une même douceur dans les scènes de jardin où Akiko joue avec sa baudruche, amie qu'elle choie avec l'imagination d'une vraie enfant. Elle lui tresse une couronne de feuilles, lui offre thé et gâteau...
L'album a le ton juste, même lorsqu'un drame pointe: un coup de vent a emmené le ballon dans un arbre. Trop haut pour les bras de Maman-secours. L'épilogue reste dans la tendresse avec un vrai respect de l'imaginaire enfantin. Quelle beauté! Les teintes pastel des aquarelles expressives s'éclairent de touches de couleur: le jaune du ballon, le rouge d'une surpiqûre de pantalon... Peu de mots mais des images narratives qui font avancer l'histoire: l'une révèle pourquoi le marchand attache le ballon au doigt d'Akiko, une autre raconte les chaussures qui quittent les pieds de l'enfant. Un superbe rapport texte-images pour un album dont le classicisme surpasse avec force les graphismes à la mode pour toucher à l'intime du lecteur et le nourrir.
2005
"Moi, ma maman..."
traduction de Corinne Quentin
La joie de lire
Maîtrise graphique et amour maternel dans cet album où un petit lapin parle à la première personne de sa maman, "Moi, ma maman...". Il en a des soucis avec elle, ce pauvre petit lapin! Elle se réveille tard le dimanche, elle prend son temps, elle oublie de faire la lessive.
Et, le pire de tout, elle refuse de se marier avec lui!
Petit Lapin décide de quitter la maison. Il s'en va mais, pas de chance, il a oublié son ballon et est donc obligé de revenir. Humour et tendresse pour cette histoire à hauteur d'enfant, fort élégamment illustrée.
2005
"La fée des renards"
texte de Kimiko Aman
adaptation française de Florence Seyvos
L'école des loisirs
Un album merveilleux où Lio et son petit frère Ken sautent à la corde avec dix renards. Pile à hauteur d'enfant tant est juste et exquis le mélange de réel et d'imaginaire, dans la veine du délicieux "Pousse-Poussette" de Michel Gay (L'école des loisirs, 1983). Graphiquement réussi avec ses illustrations délicates et ses teintes sourdes (vert, gris, noir) que relèvent le rose d'un ruban pour les cheveux, le beige des renards ou l'ocre orangé du soleil couchant.
A la première personne, l'histoire est simple, toute simple: une corde à sauter a été oubliée au parc. En retournant la chercher, Lio et son petit frère Ken entendent des voix, découvrent un sentier inconnu. Ils s'y aventurent et aperçoivent dix renards qui jouent avec la corde gravée au nom de Lio. Qui sautent assez mal, note la fillette: leurs queues s’emmêlent comiquement dans le fil à chaque bond. Le rire des enfants les signale aux acrobates. Après une seconde d'hésitation, les présentations et les jeux à la corde reprennent. Lio donne des conseils, les renards les suivent, tous s'amusent follement, chantent et conversent jusqu'à ce que le soleil couchant renvoie les enfants chez eux. Lio ne serait-elle pas une fée? Teintée de magie, l'atmosphère née du rapport texte-images dans cet album est exceptionnelle.
2006
"Ne bouge pas!"
texte de Nakawaki Hatsue
adaptation française de Florence Seyvos
L'école des loisirs
Une adorable séance d'observation des animaux à sa hauteur par un bébé en vadrouille aussi curieux que mignon. "Bonjour, joli papillon jaune." "Mais où vas-tu?" "Ne t'en va pas!" "Viens pigeon!" "Viens jouer avec moi..." "Attends! Ne bouge pas..." Le tout jeune enfant de l'album veut dire bonjour au papillon, au lézard, au pigeon, au chat, mais tous prennent la poudre d'escampette à son arrivée.
Komako Sakaï montre avec une grande simplicité les situations de la vie des tout-petits et laisse affleurer l'émotion qu'elles contiennent pour eux. Son dessin intimiste, totalement juste, saisit l'instant: l'élan du désir et le pincement de la déception aussitôt chassé par un nouveau désir.
Ses traits légers sur fond blanc dans un décor épuré nous montre le petit passant d’une curiosité à l’autre à la découverte de son environnement. Un album doux et réaliste, plein d'un charme contagieux.
2006
"Jour de neige"
adaptation française de Florence Seyvos
L'école des loisirs
Maman prévient le jeune narrateur encore dans son lit: il n'aura pas école aujourd'hui, le bus est bloqué par la neige. La neige? Le dormeur bondit, attiré par les flocons qui dansent devant les fenêtres. Il veut jouer dehors, absolument. Mais Maman refuse: "Pas tant qu'il neige."
C'est une journée un peu étrange qui est contée dans cet autre bijou d'album. Les repères habituels se sont effacés: pas d'école pour le petit, pas de courses pour Maman, pas d'avion de retour pour Papa, en voyage d'affaires. A la place, le bruit du silence, le vide dans les rues et les parties de cartes à l'intérieur.
Une impression d'être seuls sur la terre. Presque une journée hors du temps. Sauf qu'à la nuit tombée, il ne neige plus. Vite, mère et fils s'habillent et filent dehors pour une extraordinaire séance de jeux d'hiver.
Un album enchanteur qui confirme encore le talent de Komako Sakaï: en quelques traits de pinceau, elle est capable de saisir une atmosphère, en quelques phrases, de célébrer le quotidien des enfants et de rappeler aux adultes qu'ils ont été petits.
2008
"Le lapin en peluche"
texte de Margery Williams
traduction d'Adolphe Chagot
L'école des loisirs
C’est une histoire magnifique, teintée d’un brin de fantastique et écrite en 1922, qu’illustre la tendre et talentueuse Japonaise, née en 1966. Celle d’un amour d’enfant tellement fort qu’il donne la vie à un lapin en peluche – même si le jouet ne deviendra réellement vivant que plus tard, grâce à l’intervention d’une fée. L'album procure, jusqu’à sa conclusion, charmante, des frissons tant il est fort et prenant. Les illustrations de toute beauté confèrent une superbe présence au lien qui se tisse entre le petit garçon et son lapin en peluche, que ce soit pendant les moments de jeu ou quand le gamin est malade. Si les enfants grandissent et ont moins besoin au quotidien de leur peluche aimée, ce n’est pas pour cela qu’ils l’oublient.
2009
"L'ours et le chat sauvage"
texte de Kazumi Yumoto
adaptation française de Florence Seyvos
L'école des loisirs
"Ce matin-là, l’ours pleurait. Son ami le petit oiseau était mort." La première phrase de l’album plante le décor. Mais on n’imagine pas encore la puissance évocatrice de ce format à l’italienne. Rarement des choses sur la mort, le manque, le deuil et la vie ont été dites de manière aussi fine, avec autant d’attention et de délicatesse.
Les images en noir et blanc, d’une immense douceur, proches de la gravure, se posent sur un papier structuré dans les tons gris. Elles sont éblouissantes tant elles caressent leurs personnages, tous des animaux. Elles racontent, prolongent et enrichissent les propos de l’auteur.
L’ours est inconsolable de la mort soudaine de son ami l’oiseau. Il lui fabrique un minuscule cercueil, le décore, le tapisse de fleurs, y pose le petit corps et l’emporte partout avec lui. Quelle souffrance pour lui de se rappeler leur conversation de la veille sur la joie d’être chaque jour ensemble! Quelle tristesse pour lui que d’entendre ses copains lui dire de ne plus penser à l’oiseau!
L’ours ne trouve d’autre solution que de s’enfermer dans sa maison, volets clos, dans le noir. Les journées se suivent jusqu’à ce qu’une brise de printemps porte à l’intérieur le parfum de l’herbe nouvelle. L’ours sort, avec sa boîte. Il rencontre un chat sauvage qui dort à côté de son étui à violon. Devant l’oiseau mort, embaumé, le nouvel arrivant a les mots justes: "Ce petit oiseau a dû compter beaucoup pour toi."
A partir de ce moment, où l’ours s’est senti reconnu dans son chagrin, il va pouvoir reprendre contact avec lui-même et avec la vie. Se rappeler ses souvenirs. Garder cette amitié dans son cœur. Enterrer son ami. Et entamer une nouvelle relation amicale. Tant de choses fortes sont dites ici avec une infinie délicatesse, et dans le texte, et dans les images aux atmosphères particulièrement touchantes.
"Une sirène chez les hommes"
texte de Mimei Ogawa
traduit du japonais par Kimiko
L'école des loisirs
Superbe récit que celui de ce bébé sirène élevé chez les hommes parce que sa maman pensait que c’était ce qui pouvait lui arriver de mieux. Elle fut chérie par sa famille d’adoption pour laquelle elle fabriquait des bougies magiques, jusqu’au jour où elle fut vendue par des parents devenus cupides. Mais de ce jour-là, la vie des humains ne fut plus jamais pareille. Un conte poignant et prenant, aussi bien raconté qu’illustré. Un petit format d’exception.
2010
"Ecoute-moi!"
traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier
L'école des loisirs
Fillette énumère toutes les choses qu'elle aime: les locomotives à vapeur, les nuages de fumée, les sifflements stridents, les passerelles métalliques, et... avoir peur. Les autres petites filles aussi (de deux à six ans), les animaux en peluche, être maîtresse d’école. Le silence des bibliothèques, le silence de la neige, le silence du matin. Arriver la première au jardin d’enfants, ne pas être grondée par sa maman, avoir la paix. Regarder les fleurs de l’étang, sucer son pouce, pleurer, rêver peut-être… Née sur le papier, Fillette est une petite fille bien réelle qui nous confie ses rêves et ses peurs, ses jeux et ses désirs.Délicatesse, tendresse et poésie et quelques dialogues qui ramènent à la vraie vie. Du grand art.
2011
"Dans l'herbe"
texte de Yukiko Kato
traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier
L'école des loisirs
Il est un de ces petits livres qui comblent d’allégresse. On y suit Yû-chan, haute comme trois pommes, dans la journée qu’elle passe à la rivière avec papa, maman et son frère.
En short, blouse, chapeau de soleil et sandales blanches, la fillette écoute l’eau chantonner. Son papa l’appelle. Elle n’y va pas, distraite par un papillon aux ailes orange mouchetées de noir qui se pose près d’elle. Puis s’envole. Curieuse, elle se lance à la poursuite de l’insecte voletant, entre des herbes presque aussi hautes qu’elle mais qui "sentent bon et frais, comme du dentifrice". Les images suivent la jeune narratrice dans son exploration du monde, de dos, de face, en plan rapproché. Une bulle d’enfance tendre et confiante. Un chapeau blanc qui dépasse d’un océan d’herbe.
Cernée par les plantes, Yû-chan s’enchante pour une sauterelle avant de se sentir un peu seule. Son inquiétude sera brève: sa maman est là, qui lui sourit!
Cet album plein de tendresse et d’imagination invite à s’ouvrir au monde, avec l’adhésion de l’adulte, protecteur discret et attentif. Un livre dont l’atmosphère rappelle celle des anciens "Coin-Coin" de Frédéric Stehr (L'école des loisirs) ou "Pousse-Poussette", déjà cité de Michel Gay.
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