pour enfants,
celui tout neuf,
d'André Bouchard,
"L'abominable
sac à main"
"L'abominable
sac à main"
(Seuil Jeunesse).
Jean-Claude Kaufmann,
"Le sac, un petit monde d'amour"
(JC Lattès, 2011,
Le Livre de poche, 2012).
Marie Desplechin,
"Le sac à main"
(illustré par Eric Lambé, Estuaire, 2005, Points, 2006)
Revue en détail
"Maman est inconsciente du danger, le sac est une créature sournoise et féroce", avance André Bouchard. (c) Seuil Jeunesse. |
"L'abominable sac à main" d'André Bouchard le montre dès la couverture: il est une créature sournoise et dangereuse. N'a-t-il pas plein de dents? Car il en faut beaucoup pour avaler les clés de maman. Et tout le reste, dont le détail nous est donné et par une liste aussi interminable que cocasse et par un dessin éloquent.
Un sac si vilain que la narratrice dont on devine le jeune âge, ne peut que s'inquiéter pour sa pauvre maman. Surtout quand cette dernière est obligée de vider tout le contenu dudit sac autour d'elle pour récupérer les fameuses clés de la maison. Une scène qui a la force de la vérité et du vécu. Qui n'en a pas été témoin? Mais pourquoi s'en offusquer?
L'auteur-illustrateur a su prolonger par l'humour et l'exagération des situations quotidiennes qui peuvent paraître mystérieuses ou inquiétantes aux enfants. Le sac maternel n'est-il pas souvent d'accès interdit? Que cache-t-il donc?
La petite fille de l'album livre un portrait négatif à 90 % du sac de sa maman. Elle trouve aussi bien des raisons d'exister à cette bizarre créature à pattes que des idées pour l'anéantir, ou la dompter, ou la gaver préventivement, tout cela dans de très plaisants dessins. Et elle en remet une couche et une autre couche. Et on rit, de plus en plus fort, devant ces scènes quotidiennes réinterprétées et piquetées de vrais-faux malentendus.
André Bouchard en rajoute et c'est justement ce qu'on aime chez lui. Même qu'on relirait bien ses précédents albums "Les lions ne mangent pas de croquettes" et "Beurk!" (Seuil Jeunesse tous les deux). Et qu'on ne regardera jamais plus un sac à main comme avant.
L'essai de Jean-Claude Kaufmann, "Le sac, un petit monde d'amour", est né d'une demande faite dans "Psychologie magazine", toute bête, "Avez-vous envie de parler de votre sac ?", question qui a reçu plein de réponses. De quoi permettre au sociologue de rédiger un essai à sa mode, c'est-à-dire un livre attachant, à mille lieues du traité théorique, bien plus subtil que l’analyse du contenu d’un sac. "C’est très intrusif d’ouvrir le sac des femmes pour le commenter, nous disait en 2011 le sociologue français, de passage à Bruxelles. Le sac est certes révélateur de la personne, mais on ne peut pas le décrypter en trois secondes."
Dans les témoignages, beaucoup de souvenirs d'enfance : les femmes lui ont raconté leur vie par leur sac. « Dans ce livre, je m'éloigne encore un peu plus de la sociologie. Je raconte le roman du sac avec des témoignages bourrés d'émotions. Les femmes ont utilisé des images qui parlent. Quelle trouvaille d'écriture que “le sac sentait maman” ».
Ce qui a le plus frappé l'auteur dans les témoignages recueillis? Les objets insolites trouvés dans les sacs. Il les appelle les "cailloux", ses témoins disent "petite pierre" ou "petit coquillage". "Ils expliquent bien l'âme du sac. Ces cailloux sont là pour prolonger un moment de beauté, de bien-être, pour en rappeler le souvenir. Le caillou pèse vingt grammes mais on ne le pèse pas, pas plus que l'amour ou l'affection."
Nombreuses aussi, les photos papier "alors que les téléphones sont pleins de photos électroniques". Pour le sociologue, "dans le sac, on est au cœur de la petite fabrique de soi. On y trouve les papiers d'identité, mais aussi beaucoup d'écritures, de listes (des courses aux résolutions)".
Son analyse est d'autant plus intéressante qu'elle va au-delà des apparences: sac en désordre ne signifie pas personnalité désordonnée, pas plus qu'une collectionneuse de sacs n'aligne nécessairement les hommes. Elle met aussi en lumière le sentiment amoureux posé sur le sac, tendresse ou passion.
Le sac est un objet assez nouveau finalement. "Le sac est un phénomène récent qu'on a du mal à comprendre. Avant, il n'y avait pas vraiment de sac à main. Le sac était plutôt masculin. Les hommes, nomades, y mettaient leur casse-croûte, leurs outils, quelques pièces de monnaie. Le sac à main apparaît à la Renaissance: c'est l'aumônière, qui devient vite un accessoire de mode. Plus près de nous, il y a un demi-siècle environ, la société était rurale. Les paysannes n'avaient pas de sac à main, sauf le dimanche pour aller à la messe. Depuis l'après-guerre, les sacs se sont généralisés. Ils se sont collés au corps de la femme quand elle part de chez elle. Ce qui arrive souvent puisque désormais la femme travaille. Son sac devient de plus en plus grand, de plus en plus lourd. Ce que ne démentent pas les trouvailles récentes de l'électronique et leur miniaturisation."
Dans "Le sac à main", œuvre de fiction de Marie Desplechin, l'héroïne vide son sac. Au sens propre comme au sens figuré: trousseau de clés, bâton de rouge à lèvres, bon de commande, liste de courses, peigne en écaille, téléphone portable, paquet de Kleenex, pierre lisse qui rappelle l'été au bord de l'eau... "Il faut que tu m'écoutes, et que tu n'oublies pas de m'aimer. Je commence. Un bâton de rouge à lèvres…", écrit-elle.
Chaque objet du sac à main révèle un morceau de vie de la narratrice. Les petites histoires se recoupent et deviennent un roman. On comprend à la fin pourquoi il fallait les raconter. Un roman en fragments qui ne doivent rien au hasard et auquel les illustrations d'Eric Lambé offrent encore une autre dimension.
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