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samedi 4 avril 2020

Le décès de Marcel Moreau, l'enragé d'écrire

Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands #confinothèque12

Marcel Moreau.

Quand on évoque Marcel Moreau, on a tout de suite en tête son visage fort masqué par des volutes de fumée. Poète et écrivain belge, auteur d'une œuvre majeure, forte d'une soixantaine de titres, Marcel Moreau s'est éteint cette nuit du 4 avril, emporté par le coronavirus. A l'aube de ses 87 ans. Il était né le 16 avril 1933 à Boussu mais vivait avec sa famille à Paris depuis 1968.


Marcel Moreau.

Stefan Thibeau et Morgane Vanschepdael lui avaient dédié en 2018 le film qui est visible ici.
Cette dernière écrit:
"Marcel Moreau est décédé cette nuit, à l'âge de 86 ans. Un immense écrivain s'en est allé, il nous reste ses mots. Il nous reste son écriture, personnage intense et central de son œuvre gigantesque, composée de plus de soixante livres.
Transféré à l’hôpital en septembre 2018, puis placé dans un Ehpad parisien, il y a attrapé le Covid-19 à quelques jours de son anniversaire. Il aura fallu un terrible virus pour venir à bout de ce colosse.

L'écrivain Marcel Moreau est né à Boussu en 1933. C'est de son Borinage natal qu'il tire son envie d'écrire, sa rage d'écrire. Car le vide culturel de sa région l'a toujours révolté. Cet écrivain à la colère saine ne se sera servi que de ses mots pour s'arracher à son milieu. Il a souvent répété que le mineur battant le charbon était pour lui une parfaite allégorie de l'écrivain au travail.
Il quitte l'école à 15 ans et devient correcteur au journal "Le Soir" en 1955. Il commence alors l'écriture de son premier roman, "Quintes", qui paraîtra en 1963. D'emblée salué par Jean Paulhan, Simone de Beauvoir et Alain Jouffroy, il sera même en lice pour le Goncourt et le Renaudot. En 1968, Marcel Moreau s'installe à Paris, où il restera toute sa vie, écrivant chaque matin aux aurores. "Ce sont les mots qui me réveillent", dit-il.

Lire un livre de Marcel Moreau, c'est vivre en soi des aventures innommables. C'est se lever de sa chaise en hurlant des cris de joie, de révolte, des "eurêka", c'est éprouver au plus profond de son être cette gratitude, d'avoir compris, d'être compris. S'il y a trop peu d’articles à son sujet, s'il est resté beaucoup trop méconnu dans sa Belgique natale, peut-être est-ce parce qu'il n’y a pas de mots existants pour retranscrire ce qui sourdre de son œuvre.
En observant ce petit homme sombre, qu'il n'a bien sûr pas toujours été, on ne peut s'empêcher d'imaginer les mots qui tournoient en lui, si puissants qu'ils l'entourent presque physiquement.
Un jour que je lui rendais visite à son Ehpad pour l'emmener manger un bon steak saignant, il m'a dit: "J'ai encore perdu des mots dans cette histoire…" 
Et son quotidien semblait voué à chercher les mots disparus. Je crois que les mots le maintenaient littéralement en vie. Et si Marcel nous a quittés parce que les mots sont partis, il nous reste ceux qu'il a laissés pour nous. Plus que jamais en ces temps étranges et difficiles, lisons Marcel Moreau."


La revue littéraire "Le Sabot" indique que "Marcel Moreau, grand saboteur littéraire, père d'une soixantaine de livres corrosifs, est décédé du covid19 aujourd'hui à Bobigny. Il avait préparé son épitaphe de longue date: "Je suis heureux pour la première fois de ma mort"."


Il y a un an, l'écrivaine belge Véronique Bergen avait publié dans la revue "Le carnet et les instants" un grand article sur Marcel Moreau, "L'écriture comme paroxysme".
Elle écrivait:
"Écorché du verbe, écorché de la vie, Marcel Moreau mène depuis le début des années 1960 l'écriture dans la contrée des spasmes. Les nerfs de son écriture au sens d'un principe actif qui la féconde ont pour noms le rythme ­­— le rythme en tant que grondement de vie, de lave, de bave —, la rupture avec les instances de l'ordre et de la raison, leur subversion par les humeurs de la langue et du corps, l'invention d’une langue matérielle qui ne mime pas les intensités pulsionnelles mais s'y coule.
Depuis son entrée fracassante en littérature avec "Quintes" (1962), Marcel Moreau fait de l'espace de la littérature l'arme d'une contestation de la domination du pôle apollinien sur la pensée, le langage et les corps. Le jaillissement de chants dionysiaques orchestre le reflux de la mesure sous la houle de la démesure.
Des scansions marquent l'évolution de son œuvre composée d'une soixantaine d’ouvrages. Défendu par Raymond Queneau, salué par Simone de Beauvoir, Jean Paulhan, Dominique Aury, Alain Jouffroy, "Quintes" ouvre une aventure créatrice inouïe placée sous le signe de la possession par le verbe. Récit d'un employé d'imprimerie nommé Quinte, "Quintes" construit une fiction-opéra qui ne laisse aucune structure sociale ou langagière en place. Pris dans l'enfer d'une bureaucratie déshumanisante, Quinte se retrouve impuissant à mettre à bas un système qui brise l'homme. Hideur de l'espace urbain, de la domestication sociale, assassinat d'existences engluées dans un conformisme stérile… la révolte de Quinte avorte dans un attentisme passif, entre Kafka et Beckett. "Quintes", lui, est né de ma naissance à l'écriture, laquelle elle-même a un ventre, dont l'utérus serait la Langue", écrit Moreau dans sa préface."

Pour lire la suite, c'est ici.

Une silhouette reconnaissable entre mille.


Bibliographie

  • "Quintes", Buchet-Chastel, 1962
  • "Bannière de bave", Gallimard, 1966
  • "La Terre infestée d'hommes," Buchet-Chastel, 1966
  • "Le Chant des paroxysmes", Buchet-Chastel, 1967
  • "Écrits du fonds de l'amour", Buchet-Chastel, 1968
  • "Julie ou la dissolution," Christian Bourgois, 1971
  • "La Pensée mongole", Christian Bourgois, 1972; L'Éther Vague, 1991
  • "L'Ivre livre," Christian Bourgois, 1973
  • "Le Bord de mort", Christian Bourgois, 1974; Les Amis de L'Éther Vague, 2002
  • "Les Arts viscéraux", Christian Bourgois, 1975; L'Éther Vague, 1994
  • "Sacre de la femme", Christian Bourgois, 1977; édition revue et corrigée, L'Éther Vague, 1991
  • "Discours contre les entraves", Christian  Bourgois, 1979
  • "A dos de Dieu ou l'ordure lyrique," Luneau Ascot, 1980 - Rééd. Quidam, 2018
  • "Orgambide scènes de la vie perdante", Luneau Ascot, 1980
  • "Moreaumachie", Buchet-Chastel, 1982
  • "Cahier caniculaires, Lettres Vives, 1982
  • "Kamalalam", L'Age d'homme, 1982
  • "Saulitude", photos de Christian Calméjane, Accent, 1982
  • "Incandescence et Egobiographie tordue Labor, 1984
  • "Monstre", Luneau Ascot, 1986
  • "Issue sans issue", L'Éther Vague, 1986
  • "Le Grouilloucouillou", en collaboration Roland Topor, Atelier Clot, Bramsen et Georges, 1987
  • "Treize portraits", en collaboration avec Antonio Saura, Atelier Clot, Bramsen, et Georges, 1987
  • "Amours à en mourir", Lettres Vives, 1988
  • "Opéra gouffre", La Pierre d'Alun, 1988
  • "Mille voix rauques", Buchet-Chastel, 1989
  • "Neung", conscience fiction, L'Éther Vague, 1990
  • "Grimoires et moires", illustrations de Michel Liénard, 1991
  • "L'Œuvre Gravé", Didier Devillez, 1992
  • "Chants de la tombée des jours", Éditions Cadex, 1992
  • "Le Charme et l'Epouvante", La Différence, 1992
  • "Noces de mort," Lettres Vives, 1993
  • "Stéphane Mandelbaum", Didier Devillez, 1992
  • "Tombeau pour les enténébrés" (en collaboration avec Jean-David Moreau), L'Éther Vague, 1993
  • "Bal dans la tête", La Différence, 1995
  • "La Compagnie des femmes", Lettres Vives, 1996
  • "Insensément ton corps", Éditions Cadex, 1997
  • "La Jeune Fille et son fou", Lettres vives, 1998
  • "Extase pour une infante roumaine", Lettres Vives, 1998
  • "La Vie de Jéju", Actes Sud, 1998
  • "Féminaire", Lettres Vives, 2000
  • "Lecture irrationnelle de la vie", Complexe, 2001
  • "Corpus Scripti," Denöel, 2002
  • "Tectonique des corps", Les Amis de L'Éther Vague, 2003
  • "Morale des épicentres", Denöel, 2004
  • "Adoration de Nona", Lettres Vives, 2004
  • "Nous, amants au bonheur ne croyant...," Denoël, 2005
  • "Le Chant des paroxysmes", suivi de "La Nukaï", réédition, VLB Éditeur, Québec, 2005
  • "Quintes", "L'Ivre livre", "Sacre de la femme", "Discours contre les entraves", réédition, Denoël, collection « Des heures durant... », 2005
  • "Tectonique des femmes", Éditions Cadex, 2006
  • "Souvenirs d'immensité avec troubles de la vision", Éditions Arfuyen, 2007, publié à l'occasion de la remise du Prix de littérature francophone Jean Arp 2006
  • "Insolation de nuit", avec Pierre Alechinsky, La Pierre d'Alun, 2007
  • "Une philosophie à coups de rein", Denoël, 2008
  • "Des hallalis dans les alléluias", Denoël, 2009
  • "La Violencelliste", Denoël, 2011
  • "Un Cratère à cordes," Les évadés du Poème 2, 2013
  • "De l'Art Brut aux Beaux-Arts convulsifs", correspondance Jean Dubuffet/Marcel Moreau, L'Atelier contemporain, 2014
  • "Un Cratère à cordes", Lettres Vives, 2016

Davantages d'informations sur ces livres sur le portail Objectif Plumes (ici).


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