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mercredi 13 novembre 2019

Sylvain Prudhomme lance un hymne à la liberté

Par Sarah Trillet, invitée de LU cie & co


Sylvain Prudhomme. (c) Christophe Archambault/AFP

Avec son huitième roman en douze ans, le somptueux "Par les routes" (Gallimard, L'Arbalète, 304 pages), qui vient de recevoir le prix Femina 2019 (lire ici),  Sylvain Prudhomme,  nous embarque dans un périple aux mille escales à travers l'Hexagone.



Le narrateur, Sacha, a la quarantaine – Sylvain Prudhomme est né en 1979. L'écrivain lassé de l'effervescence parisienne aspire à un changement de rythme et à vivre sa vie de manière plus attentive et profonde. Il déménage dans un petit appartement dans le sud-est de la France, dépouillé de tout superflu, à la recherche d'inspiration, de calme et de sérénité.
"(...) J'ai pensé: on voit mieux dans le peu. On vit mieux. On se déplace mieux, on conçoit mieux, on décide mieux. J'ai savouré la pensée que ma vie était là désormais. Le fatras de mes quarante années d'existence réduit à cette somme d'objets sur une étagère."
Par le jeu d'un hasard qui a l'allure prophétique des mythes où le destin rattrape ses personnages, il recroise "l'autostoppeur", avec qui il a, dans sa jeunesse, partagé un bout de vie tumultueuse et parcouru toute la France en stop. L'autostoppeur vit en couple dans le même village et a un jeune enfant.

Ce surgissement remet l'un et l'autre en face de ses aspirations et désirs, cette part de soi si puissamment agissante. Ils s'enchantent de l'intelligence qui se rétablit immédiatement entre eux. Mais Sacha, assagi, se trouble de retrouver l'autostoppeur toujours animé par cette urgence, intacte, à fuir et explorer les possibles. Un nomadisme qui le conduit  inlassablement vers de nouvelles rencontres, à rechercher cette proximité exclusive, presque érotique, avec des inconnus le temps d'un trajet entre deux points sur une carte routière.
"(...) tout à l'heure, dans quelques minutes à peine, nous serons assis côte à côte dans le même habitacle, nous nous parlerons, nous nous raconterons mutuellement nos journées, échangerons nos vues sur la vie, en saurons plus l'un sur l'autre que n'en savent certains de nos amis les plus proches."
L'autostoppeur s'absente de plus en plus souvent. Les disparitions s'étirent et autorisent peu à peu Sacha à se rapprocher et reprendre les rôles de conjoint et de père auprès de Marie et Agustin. Chacun finit ainsi par investir la vie de l'autre par une sorte de procuration.

Ce très beau roman introspectif traite d'attachement, de couple, d'amitié et d'amour, sur fond de quête de liberté, de place à trouver. Il soulève la question du choix face à nos mille vies possibles et amène inévitablement celle du renoncement.  Sylvain Prudhomme nous parle du refus de choisir et explore la possibilité de maintenir le lien dans un mouvement où il s'agit à la fois de rester et de partir. Une gageure.

Chaque personnage traverse l'épreuve - suprême et sublime - de l'acceptation de la liberté de l'être aimé: l'ami, l'amant, le père. Grandir, c'est parfois accepter de partir et de laisser partir, se confronter à cette part de l'autre qui nous échappe et renouveler la survivance du lien et du don de soi.

Evoquant les paroles d'une chanson de Leonard Cohen: "(...) et il lui fait cette déclaration dont je ne pense pas que beaucoup de longs poèmes l'égalent en beauté, en justesse, en conscience de l'impermanence des choses en ce bas monde: ‘Je suis heureux que tu te sois trouvé sur ma route.’ Parole de voyageur. Parole d'habitué des routes, des carrefours, des rencontres. Parole de vrai amoureux de la vie, reconnaissant aux surprises qu'elle réserve."

D'une écriture sobre et efficace, Sylvain Prudhomme dépeint l'intime avec brio et justesse. L'absence de ponctuation expressive offre au lecteur une dimension participative, il est libre de choisir le ton des dialogues et dès lors d'y mettre une part de lui. Le romancier nous fait entrer au plus près de l'intimité du narrateur, on ressent avec lui les émotions qui le traversent, on contemple avec lui le vert tendre de la nature qui s'éveille, on respire avec lui la fraîcheur humide des matins engourdis et on reconnaît le plaisir et le goût du premier café de la journée, une journée gorgée de lumière et pleine de la promesse de tous les possibles.

Pour lire le début de "Sur les routes", c'est ici.




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