Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands #confinothèque25
A l'annonce du confinement, je faisais, au figuré, des bonds de joie. J'allais enfin avoir du temps pour lire, pour écrire, pour ranger mes livres chéris. J'allais faire fondre mes PAL. Rattraper mes retards. Je me voyais déjà remonter le temps. Six mois, un an, deux ans, peut-être davantage...
Le confinement décrété, rien de tout ça. Un vertige étourdissant devant cette immensité de temps sans balise de fin. Résultat: impossible de lire plus de trois lignes, l'esprit filait ailleurs. Le désir de lire était là mais pas sa mise en pratique, bousculée aussi par les incessantes nécros à écrire - le coronavirus a ravagé la littérature. Seule consolation, je n'étais pas la seule à vivre cette curieuse expérience.
Ce ni oui ni non a duré plusieurs semaines. Jusqu'au jour, ensoleillé, où je me suis dit que j'allais tenter une autre expérience. Biaiser avec ce blocage et choisir un livre d'un format inhabituel. Ce livre à l'italienne (= horizontal), c'est "L'Invité du miroir" d'Atiq Rahimi (P.O.L., 192 pages), sous-titré "un conte des nuits rwandaises".
Atypique par sa mise en page aérée, mêlant pages de carnets illustrés et texte conté, par sa typo habile comme cette double page disant le mot "génocide" en toutes les langues, le tout posé avec légèreté. Avec une délicatesse inverse à la force des propos écrits. "Il faut nommer l'horreur, sinon elle reviendra. Elle reviendra sous le nom qu'elle voudra, sous le masque qui l'enchantera." Des bouts de ligne, des interlignes, des alinéas, des paragraphes, des caractères italiques, surtout du blanc entre les mots forts, évocateurs, qui laissent de la place à celui ou celle qui lit.
S'ouvrant sur ces mots du poète et saint soufi Bîdèl (1646-1720), "L'invité du miroir/ demeure/ dehors", "L'Invité du miroir" m'a délivrée de mon sortilège, un auto-sortilège sans doute. Peut-être parce que son contenu était mille fois plus grand que mes petits tourments de confinée. Il m'a portée, transportée, rattachée à la lecture, ma passion égarée. Depuis, plus de souci, la PAL descend. Pas aussi vite que je ne le pensais, mais avec plaisir et intérêt.
Originaire d'Afghanistan, le pays des 1.001 montagnes, avant d'être reconnu réfugié politique par la France, Atiq Rahimi a choisi de se rendre au Rwanda, pays des 1.000 collines pour y tourner, en 2018, l'adaptation cinématographique libre du roman "Notre-Dame du Nil" de Scholastique Mukasonga (Gallimard, 2012). Porté par un élan, dit celui dont le pays natal a été détruit successivement par les Russes, les seigneurs de la guerre puis les talibans, un appel à nommer et filmer les désastres de l'Histoire.
Entamé aux abords du lac Kivu où travaillent des pêcheurs, il raconte une fille qui se baigne, une femme qui marche, un homme qui s'appuie sur son bâton. Derrière les humains, le soleil, la lumière, la nuit, le dieu Imana. Le dialogue et les pensées de deux hommes, un Noir et un Blanc, les questionnements, les destins, les légendes... Le cinéma et la littérature, le vol et les génocides, les souffrances et les silences éloquents. La mort et les esprits, les chants, les dieux, le sacré, les miroirs sans reflet.
C'est le monde entier, l'humanité dans toutes ses particularités dont les pires qu'Atiq Rahimi convoque et questionne dans ce conte de toute beauté, dont la musicalité attise les interrogations sur soi, sur l'autre, sur les autres. L'innocence, le chagrin, le bien et le mal, le désir de vengeance, les injustices, la désespérance, les rêves de paix et les ordres de tuer. Le dialogue entre les deux hommes se poursuit, le conte s'achève à la tombée de la nuit. On en sort troublé, ébloui par la langue, plus attentif aux questions du monde.
Allant de l'aube à la nuit, basé sur les contes rwandais "Le chagrin de la petite chèvre" et "La genèse du lac Kiu", "L'Invité du miroir" s'achève par un lexique des quelques mots rwandais utilisés dans le texte et leur résonance dans l'histoire personnelle de l'auteur. De fameuses coïncidences.
Pour lire en ligne le début de "L'Invité du miroir", c'est ici.
pour les petits et pour les grands #confinothèque25
Extrait d'un des carnets de tournage au Rwanda d'Atiq Rahimi. Une scène rêvée car impossible que cette femme se baignant nue. (c) P.O.L. |
A l'annonce du confinement, je faisais, au figuré, des bonds de joie. J'allais enfin avoir du temps pour lire, pour écrire, pour ranger mes livres chéris. J'allais faire fondre mes PAL. Rattraper mes retards. Je me voyais déjà remonter le temps. Six mois, un an, deux ans, peut-être davantage...
Le confinement décrété, rien de tout ça. Un vertige étourdissant devant cette immensité de temps sans balise de fin. Résultat: impossible de lire plus de trois lignes, l'esprit filait ailleurs. Le désir de lire était là mais pas sa mise en pratique, bousculée aussi par les incessantes nécros à écrire - le coronavirus a ravagé la littérature. Seule consolation, je n'étais pas la seule à vivre cette curieuse expérience.
Ce ni oui ni non a duré plusieurs semaines. Jusqu'au jour, ensoleillé, où je me suis dit que j'allais tenter une autre expérience. Biaiser avec ce blocage et choisir un livre d'un format inhabituel. Ce livre à l'italienne (= horizontal), c'est "L'Invité du miroir" d'Atiq Rahimi (P.O.L., 192 pages), sous-titré "un conte des nuits rwandaises".
Atypique par sa mise en page aérée, mêlant pages de carnets illustrés et texte conté, par sa typo habile comme cette double page disant le mot "génocide" en toutes les langues, le tout posé avec légèreté. Avec une délicatesse inverse à la force des propos écrits. "Il faut nommer l'horreur, sinon elle reviendra. Elle reviendra sous le nom qu'elle voudra, sous le masque qui l'enchantera." Des bouts de ligne, des interlignes, des alinéas, des paragraphes, des caractères italiques, surtout du blanc entre les mots forts, évocateurs, qui laissent de la place à celui ou celle qui lit.
S'ouvrant sur ces mots du poète et saint soufi Bîdèl (1646-1720), "L'invité du miroir/ demeure/ dehors", "L'Invité du miroir" m'a délivrée de mon sortilège, un auto-sortilège sans doute. Peut-être parce que son contenu était mille fois plus grand que mes petits tourments de confinée. Il m'a portée, transportée, rattachée à la lecture, ma passion égarée. Depuis, plus de souci, la PAL descend. Pas aussi vite que je ne le pensais, mais avec plaisir et intérêt.
Originaire d'Afghanistan, le pays des 1.001 montagnes, avant d'être reconnu réfugié politique par la France, Atiq Rahimi a choisi de se rendre au Rwanda, pays des 1.000 collines pour y tourner, en 2018, l'adaptation cinématographique libre du roman "Notre-Dame du Nil" de Scholastique Mukasonga (Gallimard, 2012). Porté par un élan, dit celui dont le pays natal a été détruit successivement par les Russes, les seigneurs de la guerre puis les talibans, un appel à nommer et filmer les désastres de l'Histoire.
"(...) Mon pays des mille et une montagnes est celui dont parlent toute ma vie et toutes mes œuvres.
Aujourd'hui, je m'oriente vers le Rwanda, pays des mille collines, longtemps ravagé par le colonialisme et ses corollaires comme l'esclavage, le racisme, la pauvreté, la haine perpétrant le génocide de 1994."Marqué à jamais par les horreurs vécues en Afghanistan, l'écrivain-cinéaste se penche sur le génocide rwandais, non d'un point de vue d'historien, mais en tant qu'artiste, éponge des rêves et des cauchemars qui lui ont été confiés par des Rwandais. Il écrit ce magnifique "conte des nuits rwandaises" qui jette sans cesse des ponts entre le pays des 1.001 montagnes et celui des 1.000 collines. La langue d'Atiq Rahimi, belle, précise, poétique ou dramatique, nous emmène dans ce voyage aux pays des horreurs entre rêves et souvenirs.
"L'Invité du miroir". (c) P.O.L. |
Entamé aux abords du lac Kivu où travaillent des pêcheurs, il raconte une fille qui se baigne, une femme qui marche, un homme qui s'appuie sur son bâton. Derrière les humains, le soleil, la lumière, la nuit, le dieu Imana. Le dialogue et les pensées de deux hommes, un Noir et un Blanc, les questionnements, les destins, les légendes... Le cinéma et la littérature, le vol et les génocides, les souffrances et les silences éloquents. La mort et les esprits, les chants, les dieux, le sacré, les miroirs sans reflet.
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C'est le monde entier, l'humanité dans toutes ses particularités dont les pires qu'Atiq Rahimi convoque et questionne dans ce conte de toute beauté, dont la musicalité attise les interrogations sur soi, sur l'autre, sur les autres. L'innocence, le chagrin, le bien et le mal, le désir de vengeance, les injustices, la désespérance, les rêves de paix et les ordres de tuer. Le dialogue entre les deux hommes se poursuit, le conte s'achève à la tombée de la nuit. On en sort troublé, ébloui par la langue, plus attentif aux questions du monde.
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Allant de l'aube à la nuit, basé sur les contes rwandais "Le chagrin de la petite chèvre" et "La genèse du lac Kiu", "L'Invité du miroir" s'achève par un lexique des quelques mots rwandais utilisés dans le texte et leur résonance dans l'histoire personnelle de l'auteur. De fameuses coïncidences.
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Pour lire en ligne le début de "L'Invité du miroir", c'est ici.