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dimanche 28 février 2016

Le décès de l'immense poétesse Liliane Wouters

Liliane Wouters.

Tristesse d'apprendre au réveil, par un post de Jean Jauniaux, le décès de l'immense poétesse belge qu'est Liliane Wouters, à l'âge de 86 ans. Elle était aussi romancière et dramatuge. Voilà quelqu'un qui va cruellement manquer au paysage des lettres françaises. La dernière fois que je l'avais croisée, c'est il y a un peu plus d'un an, à l'anniversaire des trente ans du Taillis Pré, un de ses éditeurs  de poésie. Elle était fidèle à elle-même.

Je m'aperçois que sur ce blog, j'ai parlé d'elle à deux reprises, un désespérée et un joyeux, preuve que la poésie peut toujours nous accompagner. Au lendemain du massacre chez "Charlie-Hebdo" et des autres horreurs qui ont suivi, début janvier 2015, elle était à l'affiche des Midis de la poésie (lire ici). Au quatrième anniversaire de mon blog, un délicieux jour d'été (lire ici).

Pour la biographie et la bibliographie de Liliane Wouters, il est bon de se reporter au site de l'Académie de langue et de littérature françaises de Belgique dont elle était membre depuis 1985 (lire ici)! Il faut compléter la liste de ses livres des titres suivants: "Vie-Poésie" (Lansman, 2011) et, surtout, "Derniers feux sur Terre" (Le Taillis Pré, 2015). A noter la reprise en poche de ses livres chez Espace Nord: "La salle des profs" et "Paysage flamand avec nonnes" sont sortis, "Trois visages de l'écrit" est à paraître dans une semaine (lire ici).

Sans oublier les deux articles de Jacques De Decker qui lui sont consacrés dans son recueil de chroniques parues dans la presse dans "Littérature belge d'aujourd'hui, La Brosse à relire" (Espace Nord, 2015, 336 pages). L'un concerne "Changer d'écorce", l'autre "Paysage flamand avec nonnes".

Chère Liliane Wouters, merci pour tout ce que vous nous avez donné.





mardi 23 février 2016

Pour ses 10 ans, le prix Prem1ère se dédouble


Le lauréat du prix Prem1ère 2016 (5.000 €) est le Français d'origine arménienne Pascal Manoukian, qui signe le livre "Les échoués" (Don Quichotte, 298 pages), sorti en août 2015. Il a été choisi par les dix auditeurs de La Première (une des radios de la RTBF) qui composent chaque année ce jury tournant. Et préféré aux neuf autres premiers romans en sélection finale. Quoiqu'un de ceux-ci, "Superflus", du Belge Hugo Poliart (Academia), ait reçu une "mention spéciale du jury".

"Les échoués" met en scène d'innombrables migrants aux prises avec leurs négriers, à Villeneuve-le-Roi, pas loin de Paris, il y a une bonne vingtaine d'années d'ici. Plus particulièrement trois d'entre eux dont on va d'abord découvrir les terrifiants chemins d'exil. Virgil le Moldave fuit la misère du communisme dans l'espoir de mieux faire vivre en France sa femme et ses trois fils. Assan embarque sa fille de dix-sept ans, Iman, loin de la Somalie, de sa guerre et de son intégrisme religieux. Chanchal, le Bengladais, a été désigné par sa famille comme l'enfant qui allait lui venir en aide. Ensuite, on suivra leurs quotidiens, tout aussi éprouvants. Crainte de la police, logements précaires, boulots aléatoires mais épuisants, sans oublier le racket, les trahisons, les blessures et les bagarres. Et toujours le besoin impérieux d'argent. Les pages se lisent avec douleur tant les faits décrits sont réalistes et atroces. Plusieurs viennent des notes que l'auteur, né en 1955, a prises durant ses vingt-cinq ans de journalisme, souvent de guerre.

Pascal Manoukian lors de la remise du prix. (c) Pierre Havrenne/RTBF.

Pascal Manoukian fait en sorte que les routes de ses trois échoués se croisent et que les damnés de la Terre, abondamment exploités, souvent par d'autres étrangers à la solde d'entreprises gérées par des autochtones, soient forcés de s'entraider. "Je suis parti de ce que je savais", avance le lauréat, par ailleurs fondateur et directeur tout juste retraité de l'agence Capa. "Notamment qu'il n’y a pas de solidarité entre les différentes communautés de migrants. Et j'ai voulu les forcer à être solidaires. Ainsi, Virgil qui ne veut s'embarrasser de rien s'embarrasse d'Assan." Chanchal n'est jamais loin.

Le livre se déroule en 1992. Par choix de l'auteur, sensible aux drames d'aujourd'hui: "Je voulais raconter des routes qui existent depuis vingt ans. L'immigration, c'est d'abord des pionniers: ils tentent un chemin qui est imité par des centaines de milliers de personnes après eux. Le premier bateau est arrivé à Lampedusa en 1991. C'était alors aussi le début de l'intégrisme en Afghanistan, en Somalie. Ailleurs, le communisme avait déçu. 1992, c'est le début de Schengen. J'ai choisi cette date pour raconter comment se sont mises en place toutes les structures et aussi tous les trafics. Je voulais dire comment on est arrivé à la situation d'aujourd’hui. L'immigration clandestine est un immense marché à tous les stades. Quel cynisme!"

Dans "Les échoués", on est avec les migrants, aux prises avec les trafiquants, sans autre ressource souvent que leur communauté parfois et eux-mêmes toujours. Les scènes dures se succèdent. C'est la vie des clandestins et il faut la raconter telle qu'elle est. Violente, craintive, méfiante, bassement matérielle tant l'argent est au cœur de tout (voyage depuis là-bas, survie ici, remboursements divers).  Il y a parfois une petite lumière ici ou là, comme cette famille française attentive et bienveillante ou ce délégué syndical qui fait de son mieux. Le livre aurait sans doute fait un impressionnant récit de vies, mais l'auteur a choisi d'en faire un roman, son premier, et c'est justement de romanesque que le livre manque. Si on tremble devant la cruauté des uns et des autres, si on frémit devant les atrocités évoquées, si on s'indigne devant les abus incessants, si on pleure lors du sacrifice final, l'intention fait de l'intrigue autant de pièces rapportées. Parfois lourdement. Dommage. L'enfer est pavé de bonnes intentions et on a connu le jury du prix Prem1ère plus inspiré. "J'ai voulu faire ce livre parce que je pense qu'il ne faut pas oublier qu'on peut tous devenir des échoués", plaide l'auteur. "Quel est l’avenir des Grecs aujourd'hui? La Deuxième Guerre mondiale n'est pas si loin. Je ne veux pas regarder ces situations comme un drame extérieur." Il a raison d'éclairer le public mais cela ne suffit pas à faire un roman.


Les précédents lauréats du prix Prem1ère

2015 Océane Madelaine "D'argile et de feu" (Editions des Busclats, lire ici)
2014 Antoine Wauters, "Nos mères" (Verdier, lire ici)
2013 Hoai Huong Nguyen, "L'ombre douce" (Viviane Hamy)
2012 Virginie Deloffre, "Lena" (Albin Michel)
2011 Nicole Roland, "Kosaburo, 1945" (Actes Sud, lire ici)
2010 Liliana Hazar, "Terre des affranchis" (Gaïa)
2009 Nicolas Marchal, "Les Conquêtes véritables" (Les Éditions namuroises)
2008 Marc Lepape, "Vasilsca" (Galaade)
2007 Houda Rouane, "Pieds-blancs" (Philippe Rey)


dimanche 21 février 2016

La création française honorée à Bologne

Le jury 2016.













La Foire du livre pour enfants de Bologne vient de rendre public son palmarès 2016, les célèbres BolognaRagazzi Awards. Le jury était composé de Claude Combet (critique), Dolores Prades (éditrice), Emiliano Ponzi (graphiste), Silvana Amato (enseignante) et Wally De Doncker (président de l'IBBY).
La création française, ou francophone selon le lieu où on se trouve, remporte la timbale en catégorie fiction: le prix pour deux Suisses, la mention pour un Français installé à Montréal! Et elle décroche d'autres lauriers en d'autres catégories.


Catégorie Fiction


Prix


"Mon tout petit"
Germano Zullo et Albertine
La joie de lire

(lire ici)

L'avis du jury:
"J’ai tellement de choses à te dire. Tant et tant de choses. Il faut que je te raconte tout." Voilà un livre sur l'amour, le temps qui passe et le cycle de nos vies. Sur les relations aussi. Lentement, page après page, les illustrations clairsemées, au crayon noir sur papier blanc laiteux, racontent avec une éloquence poétique une histoire universelle sobre.


Mentions spéciales


"Enfantillages"
Gérard DuBois
Rouergue

L'avis du jury:
Ce petit livre est un décompte ironique des petites cruautés dont les enfants sont capables. Chaque image sur double page est accompagnée d'un court texte qui laisse au lecteur le soin de réfléchir plus loin. Les couleurs douces et les pages blanches donnent au récit une légèreté de ton, faisant ressembler la collecte à un cahier illustré d'un autre temps.


"Walking home through the night"
Akiko Miyakoshi
Kaisei-sha Publishing

L'avis du jury sur cet album japonais:
Avec son histoire de petit lapin, l'auteur tente de répondre à la question que tous les enfants posent: que se passe-t-il quand nous allons dormir? Les illustrations alternent entre l'obscurité un peu effrayante de la nuit, les maisons agréablement éclairées et le câlin rassurant d'une mère. L'auteur a conçu une histoire réchauffant le cœur, magnifiquement illustrée pour de très jeunes enfants qui apprennent progressivement à accepter la nuit.

"Att vara Jag" 
Anna Höglund
Lilla Piratförlaget

L'avis du jury sur cet album suédois:
Les dilemmes et des choix qui attendent la jeune fille à sa majorité sont racontés avec des images fortement évocatrices. Le passage de l'adolescence à l'âge adulte est considéré du point de vue d'une femme contemporaine. Raconté avec une grande humanité, il ne tombe jamais dans le piège des stéréotypes.


Mention spéciale pour l'ensemble de son œuvre

"When the sun rises" 
Katsumi Komagata
One Stroke

L'avis du jury sur cet album japonais (ce sont les Trois Ourses à Paris qui doivent être contentes):
Une fois de plus, le magistral Komagata démontre que l'application sans faille et la persévérance sont la voie d'exquises réalisations, esthétiquement superbes. Formes emblématiques, espaces négatifs, détail pointu et légèreté de touche sont les ingrédients qui donnent à ce volume sa poétique universelle. Les images demeurent imprimées dans les plis de la mémoire comme un coucher de soleil vu pour la première fois.

Catégorie Documentaire


Prix

"Las mujeres y los hombres"
Equipo Plantel et Luci Gutiérrez
Media Vaca

L'avis du jury sur cet album espagnol:
La réédition d'un livre des années 1970 met au jour un large éventail de thèmes politiques et sociaux importants dans le but d'ouvrir l'esprit des jeunes lecteurs. Texte et images encouragent la réflexion sur les événements.

Mentions spéciales

"Génération robots"
Natacha Scheidhauer et Séverine Assous
Actes Sud Junior

L'avis du jury sur cet album français:
Le style minimaliste des illustrations expressives couplé à un texte aussi informatif qu'humoristique permet aux auteurs de raconter combien les robots sont près d'être humains et combien ils sont utiles dans nos vies quotidiennes. Il va y avoir une "robolution". 


"Shackleton's Journey" 
William Grill
Flying Eye Books
"Le voyage extraordinaire"
traduit de l'anglais par Valentine Palfrey
Casterman, lire ici

L'avis du jury sur cet album britannique:
Les tonalités évocatrices de ces images soigneusement campées avec leurs étendues de glace blanche accompagnent un décompte terriblement évocateur de l'expédition fatale de Shackleton.


"Alle Wetter"
Britta Teckentrup
Verlagshaus Jacoby & Stuart GmbH

L'avis du jury sur cet album allemand: 
Un livre élégant sur les phénomènes météo. Les illustrations exquises sont aussi des entrées intrigantes vers des paysages intérieurs évocateurs.



"This is Prague"
Olga Černá et Michaela Kukovičová
Baobab

L'avis du jury sur cet album tchèque:
Dans ce livre sur Prague, les auteurs emmènent le lecteur dans une promenade fascinante à travers les ponts, la circulation, les parcs et les rues bondées de la ville. Leur travail est un hommage artistique à Šašek, qui utilise le collage, le dessin et le papier découpé. Très probablement, d'autres villes suivront.


Catégorie Nouveaux horizons


Prix

"Tongue Twists" (Lisanak Hisanak)
Fatima Sharafeddine et Hanane Kai
Kalimat, Sharjah, United Arab Emirates, 2016

L'avis du jury sur cet album d'Arabie saoudite:
La composition modulaire inventive de ce livre animé allie une série répétée de formes géométriques simples en couleurs primaires. Ce n'est pas un exercice de peinture abstraite mais une tentative originale de donner une forme visuelle aux virelangues et à la difficulté de prononcer certains mots très rapidement. La  juxtaposition intelligemment conçue des images cache les mots, qui, s'ils sont mal prononcés, conduisent à un amusant fouillis.

Mentions spéciales

"Tres Portugueses Bajo un Paraguas (sin contar el muerto)"
Rodolfo Walsh et Inés Calveiro
Calibroscopio Ediciones

L'avis du jury sur cet album d'Argentine:
Ce livre aborde un sujet difficile - la dictature et de la mort. Conçu comme un roman policier, ce classique d'Amérique latine est ici accompagné par des illustrations très efficaces. La seule exception aux différents tons de gris est le rouge du parapluie et de quelques autres détails. Cette utilisation singulière de la couleur montre l'absurdité et la nature arbitraire de tout régime.


"No des Puntada sin Hilo"
Manuel Peña Muñoz et Maureen Chadwick
Editorial Amanuta

L'avis du jury sur cet album chilien:
La publication d'un livre sur les proverbes pour enfants demande du courage. Il en faut encore plus pour les illustrer avec des images venues de la broderie traditionnelle. Pourtant, ce livre est là, son ton mesuré évoquant l'artisanat séculaire et créant ce qu'on pourrait appeler un vade-mecum des formules magiques.

"Conquistadores en el Nuevo Mundo"
Grassa Toro et Pep Carrió
Tragaluz editores S.A.S.

L'avis du jury sur cet album de Colombie:
Le texte, les images et le livre lui-même constituent un ensemble élégant qui raconte quelques-uns des épisodes les plus dramatiques de l'histoire de la conquête de l'Amérique du Sud.



Catégorie Premières œuvres

Prix

"Pacho Rada, la légende!"
Johanna Benz
Éditions Magnani

L'avis du jury sur cet album français:
L'exubérance des illustrations donne une irrévérence espiègle à ce livre qui parle directement au lecteur. L'utilisation décisive de la couleur prend ici une signification symbolique. Des espaces vides et apparemment inachevés, des lignes flottantes sont soigneusement travaillées. Ce livre combine à la perfection art graphique et illustration.


Mentions spéciales

"Beautiful Birds"
Jean Roussen et Emmanuelle Walker
Flying Eye Books
"Beaux oiseaux"
adapté de l'anglais par Aurélie Desfour
Gautier-Languereau


L'avis du jury sur cet album britannique:
Cet alphabet des oiseaux est habité par un troupeau d'animaux à plumes aux extraordinaires couleurs vives. Un grand format magnifiquement dessiné, une typographie sobre et très élégante. Le résultat est une image dynamique d'un monde naturel et imaginaire.


"La Mégalopole"
Cléa Dieudonné
L’Agrume

L'avis du jury sur cet album français:
Dans ce livre accordéon inhabituel, le lecteur découvre une grande ville petit à petit, plan après plan, à partir d'en haut et se déplaçant progressivement vers le bas. Expérience de lecture verticale haute de 3 mètres, l'histoire commence dans les nuages et se termine sous terre, en passant par une multitude d'événements et de détails joyeux, chacun étant une histoire en soi.

"Le Case degli altri Bambini"
Luca Tortolini et Claudia Palmarucci
Orecchio Acerbo Editore
"La maison des autres enfants"
traduit de l'italien par Muriel Morelli
Cambourakis

L'avis du jury sur cet album italien:
Il existe autant de styles de vie qu'il y a de coutumes. Ce livre invite le lecteur à en apprendre davantage sur les différents mondes, tous vus depuis l'environnement domestique. La différence n'est pas seulement expliquée par le texte, mais également représentée par les images qui s'appuient sur une foule de références artistiques et d'illustrations. Plutôt que d'expliquer objectivement les différentes familles dans le monde, elles sont décrites par leurs relations humaines, leurs caractéristiques, leurs atmosphères et les histoires derrière les gens.






vendredi 19 février 2016

S'il ne fallait qu'une raison d'aller à la FLB



Regardez ces petites maisons en carton.

Ne vous rappellent-elles pas l'univers graphique d'une artiste majeure en Belgique?
Avez-vous trouvé?


Oui, elles sont bien de la main d'Anne Brouillard.

S'il n'était besoin que d'une raison pour visiter la Foire du livre de Bruxelles (entrée gratuite, lire ici), ce serait celle-là: visiter l'exposition "Le pays de Killiok (A quoi rêve Anne Brouillard)" qui est de toute beauté. Quel bonheur de contempler ses originaux (42 cadres d'œuvres). Quel plaisir de découvrir quelques-uns de ses carnets de dessin sous vitrine. Quelle joie de voir les compléments de choix qu'elle a créés pour l'occasion. De visionner le diaporama. De même jouer avec Killiok! On se régale, on s'en met plein les yeux.




L'exposition se promène dans l'œuvre d'Anne Brouillard (lire ici et ici), de ses débuts en 1990 au somptueux album à paraître à l'automne 2016, "La grande forêt - Le livre des Chintiens" (L'école des loisirs, Pastel).


Une page de "La grande forêt", à paraître à l'automne.


Courez, courez, c'est au magasin 2 du bâtiment que la Foire occupe à Tour & Taxis.

Et après le 22 février?

Joie d'apprendre que l'exposition pourra circuler durant trois ans.
Les deux premières étapes sont déjà fixées.
A la bibliothèque Bruegel (Bruxelles), du 14 au 26 mars 2016.
A la bibliothèque de Waremme, du 5 au 29 avril 2016.



mercredi 17 février 2016

Le portrait d'un père à travers le journal d'un fils

Etre fils de victime, ce n'est pas souhaitable, mais c'est portable. Mais fils de bourreau? C'est autour de cette question lancinante, mortifère, avec son corollaire, qui était ce bourreau?, qu'est bâti le premier roman du belge Jacques Richard, "Le Carré des Allemands" (Editions de la Différence, 141 pages). Un livre qui se distingue par sa densité et sa construction elliptique. Ce n'est pas pour rien qu'il est sous-titré "Journal d'un autre". S'il est toujours écrit "je", ce "je" n'est pas toujours la même personne.

Un jeu sur le "je" et une écriture prenante, brouillant les repères d'espace et de temps du lecteur. Malgré le sujet sombre, à cause du sujet, on se fait happer par cette prose peu courante, les paragraphes se répondant souvent les uns aux autres, comme une pensée sautille, rebondit, d'une idée à l'autre. Peu importe si on se perd parfois un peu, cela fait partie du livre.  En finale, on aura construit le portrait d'un homme à travers le journal d'un autre. "On" car l'auteur, également peintre et amateur de musique, nouvelliste à ses heures, demande du travail à son lecteur.

Cinq carnets successifs composent "Le Carré des Allemands", titre qui ne trouvera son explication qu'en toute fin du roman, aboutissement brutal de cette lancinante quête filiale. Derrière les barreaux de la fenêtre de sa cuisine-cave, tout en se testant lui-même, le fils tente de déterminer quel homme a été jadis son père. A-t-il tué? A-t-il torturé? A-t-il été volontaire, entraîné, obligé? Il avait 17 ans quand il s'est engagé... Avoir un père qui a fait la guerre avec les Allemands sur le front russe, qui est revenu prisonnier car criminel de guerre, qui a été jugé, quel fardeau pour le fils. Quelle barrière sur sa route. Surtout quand le passé est opaque, glauque, puant. Se réconcilier avec un raciste? Quarante ans d'attente ont déjà passé. Voici venu le temps du jugement, de la libération, le temps de vivre. Un sursaut.

Toutes ces questions, et d'autres, Jacques Richard aborde de sa façon personnelle et attachante, à travers les témoignages de ses personnages, à travers leurs silences, leurs réflexions, leurs rêves, les extravagances de leurs pensées. L'enquête du fils est difficile mais d'une impérieuse nécessité. Comme l'est la lecture de ce très beau premier roman à l'écriture dense, sèche, dont aucune phrase n'est prévisible. Un livre de filiation sombre ("tu lui ressembles tant"), superbement composé entre mort et vie, cave et ciel, petits riens du quotidien et cours de l'histoire, silences et mensonges, fatigue morale et épuisement physique, douleur et espoir, marqué par l'horreur constante, et qui renvoie chacun à lui-même.

Jacques Richard sera à la Foire du livre de Bruxelles ces samedi 20 et dimanche 21 février.

Pour lire le début du "Carré des Allemands", c'est ici.














Changements de programme à la FLB

La 46e Foire du livre de Bruxelles, c'est donc demain (et jusqu'à lundi). Avec comme thème "le bonheur est à la page" J'en avais largement parlé ici.
Changement de programme pour Grégoire Delacourt et Jacques Higelin que j'avais annoncés: ils ne seront pas à Bruxelles. Par contre, le programme officiel annonce maintenant la présence de Cécile Ladjali, Philippe Delerm, et Christelle Dabos pour les ados. Pour le reste, se référer au site.

Pour rappel, l'entrée est gratuite cette année mais il est prudent de l'imprimer lors de l'inscription sur le site et de se munir du papier lors de sa visite.

mardi 16 février 2016

Histoire américaine et fantastique mêlés dans un magnifique roman jeunesse de Delia Sherman

Delia Sherman n'est sans doute pas la plus connue des auteures américaines. Et pour cause! Elle qui écrit depuis trente ans dans son pays pour les adultes comme pour les jeunes (romans, nouvelles, essais, fantasy, SF...), n'a qu'UN SEUL roman pour pré-ados traduit en français, et ce en mars 2014! Mais "Le labyrinthe vers la liberté" ("The Freedom Maze", 2011, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michelle Nikly, Hélium, 2014, 274 pages) est un livre à lire absolument.

Ce roman auréolé de prix aux Etats-Unis réunit de manière extrêmement convaincante les deux grands centres d'intérêt de Delia Sherman, l'histoire et le fantastique. Un défi? Oui, et drôlement réussi dans cette histoire sur laquelle l'auteure avoue avoir travaillé durant dix-huit ans. L'esclavage n'est pas un thème qu'elle traite à la légère. On le découvre dès ses premiers mots: "Je dédie ce livre à ces hommes et à ces femmes réduits en esclavage, dont les noms figurent sur des registres, dans des annonces de journaux, dans les récits et les mémoires des esclaves. Ce sont eux qui l'ont inspiré."

On découvre l'héroïne Sophie Martineau, presque 14 ans en 1960, pas d'excellente humeur. Ses parents divorcent, la mère de sa meilleure copine la boude, elle change d'école après les vacances et elle est obligée de passer l'été en Louisiane. Dans la belle maison coloniale de la famille Fairchild qu'est Oak Cottage, et en compagnie de sa tante Enid et de sa grand-mère, sa mère devant rester à la Nouvelle-Orléans pour travailler. En plus, il pleut! Un été au bayou sans son amie Diana, pas ce dont Sophie rêve.

Immédiatement, on lui donne les règles de vie: ne pas parler à un Noir qu'elle ne connaît pas. Chez les Fairchild, la ségrégation est toujours de mise, même si l'époque n'est plus celle de la plantation immense où travaillaient jadis deux cents esclaves. Sophie passe d'un étonnement à un autre devant le racisme affiché et affirmé de sa famille. Découvre un mode de vie familial suranné même pour les années 60. Et brûle d'explorer les environs de la maison, la cabane, le mystérieux labyrinthe établi par le grand-père, et peut-être les restes de la Grande Maison.

Lors de son exploration, la jeune fille va rencontrer une créature fantastique, aux yeux luminescents. Ce qui pimente un peu la vie en compagnie de la gentille tante Enid, amatrice de lecture et de jardinage, et de l'aïeule collet monté. Elle va confier à la créature son rêve: vivre une aventure dans un autre temps et un autre lieu. Et sera exaucée! Sophie se retrouve dans la plantation quelques mois avant la guerre de Sécession, cent ans avant son époque. Elle est prise pour une esclave et se retrouve au service de ses propres ancêtres. L'héroïne découvre un nouveau quotidien, fait de labeur, de soumission et de mauvais traitements. Elle découvre aussi ses véritables origines... Pourra-t-elle un jour rentrer chez elle?

"Le labyrinthe vers la liberté" est un magnifique roman d'apprentissage sur l'esclavage, doublé d'un subtil portrait d'adolescente qui sort transformée par son voyage dans le passé, aux côtés de ses ancêtres. Delia Sherman raconte formidablement et son texte est fort bien traduit. Quelle claque à propos de l'esclavage! Son roman est destiné aux enfants à partir de 11 ans mais peut être lu par des enfants plus âgés et même des adultes. C'est un excellent moment de lecture, qui mêle deux genres littéraires très différents et marque longtemps.

Delia Sherman.
A recommander, surtout que Delia Sherman sera présente à la Foire du livre de Bruxelles ces jeudi 18 et vendredi 19 février. Accompagnée comme toujours de son épouse, l'écrivaine Ellen Kushner, elle est arrivée à Bruxelles ce mardi soir.

Et qui est Delia Sherman, cette romancière qu'on ne traduit pas assez en français?
Sur sa page Twitter, elle se définit en tant que "Writer (for adults and pre-teens), traveler (anywhere, just ask), reader (almost anything), cook (enthusiastic), knitter (still finding my feet)" (écrivain, pour adultes et enfants, voyageuse, partout, il suffit de demander, cuisinière enthousiaste, tricoteuse cherchant encore ses pieds).

Plus sérieusement, Delia Sherman est née le 22 juin1951 à Tokyo, au Japon, et a grandi à New York où elle habite toujours. Elle est spécialiste de littérature fantastique (dont on trouve quelques touches dans son roman "Le Labyrinthe vers la liberté". Elle a étudié la Renaissance et enseigné, avant de se mettre à écrire en parallèle des nouvelles de fantasy, des romans historiques ou considérés comme interstitiels. Ses ouvrages appartiennent au genre "fantasy of manners", un mélange de fantasy et de comédie de mœurs. Elle enseigne toujours l'écriture de fantasy et de science-fiction, à divers endroits du monde, Cape Cod, le New Hampshire ou encore à Amsterdam.





lundi 15 février 2016

Philippe Claudel entre à l'Académie de Belgique


Scoop! L'écrivain français Philippe Claudel entre à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (ARLLFB) au titre de membre étranger littéraire. Il s'assiéra au fauteuil 40, précédemment occupé par Assia Djebar, décédée il y un an, le 6 février 2015.

Fauteuil 40, l'ultime, car, comme sa consœur de France, l'Académie de Belgique est composée de 40 membres: 26 écrivains et 14 philologues, ces derniers étant des spécialistes de la langue et de la littérature ou des érudits étudiant la langue ou la littérature moderne, voire contemporaine. L'ARLLFB comprend 30 membres appartenant à la communauté française de Belgique et 10 membres étrangers (écrivains dont l'œuvre est en français ou philologues qui ont consacré leurs travaux au français ou à sa littérature).

Au contraire du Quai Conti où tout le monde peut se présenter afin de siéger sous la Coupole, nul ne peut faire acte de candidature à l'ARLLFB qui élit ses membres au scrutin secret en séance plénière au Palais des Académies.

Les autres membres étrangers littéraires de l'ARLLFB sont actuellement Marie-Claire Blais, Gérard de Cortanze, Michel del Castillo, Sylvie Germain et Eric-Emmanuel Schmitt.

Philippe Claudel.
Ecrivain et réalisateur de cinéma, Philippe Claudel est aussi membre de l'Académie Goncourt depuis 2012. Sa carrière littéraire est impressionnante, cumulant succès critique et public. Il suffit de se rappeler de la foule qu'il rassemble à chacun de ses passages en Belgique, dont de nombreux néerlandophones qui le lisent dans le texte original. Après le prix Renaudot 2003 pour "Les âmes grises" (Stock) qui sera adapté au cinéma, il publie en 2005 "La Petite Fille de Monsieur Linh" (Stock), suivi deux ans plus tard par "Le Rapport de Brodeck" (Stock), prix Goncourt des lycéens 2007. En 2010, il publie "L'Enquête" (Stock).

Six ans et quatre films plus tard, le voici de retour sur les tables des nouveautés en librairie, avec "L'arbre du pays Toraja" (Stock, 212 pages), un nouveau roman qui célèbre résolument la vie même s'il est le tombeau d'Eugène, meilleur ami du narrateur, un cinéaste qui se trouve à la moitié de sa vie.

Et comme un plaisir n'arrive jamais seul: Philippe Claudel sera à la Foire du livre de Bruxelles le dimanche 21 février.



dimanche 14 février 2016

En attendant Mathias Enard à Bruxelles

Mathias Enard. (c) Marc Malki.
Mathias Enard a reçu, on le sait, le prix Goncourt 2015 pour "Boussole", un roman épais, dense, superbe mais qui demande de la place au lecteur. Comprenez qu'on ne le lit pas en tournant un risotto ou entre deux stations de métro.

On attend l'écrivain français à la Foire du livre de Bruxelles les samedi 20 et dimanche 21 février et à Passa Porta le samedi soir.

Plus faciles d'accès sans doute, deux de ses romans précédents, "Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants " (Actes Sud, 154 pages, 2010, Babel, 2014) et "Rue des voleurs" (Actes Sud, 255 pages, 2012, Babel, 2014).


Dans "Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants" (Actes Sud, 2010, Babel, 2013), Mathias Enard propose au lecteur de reculer de cinq siècles dans le temps. On se retrouve à Florence en compagnie de Michel-Ange, lui-même en bisbille avec Jules II, le pape qui, à Rome, lui a commandé un tombeau et rechigne à le payer. On embarque à destination de la Turquie et on arrive à Constantinople, le 13 mai 1506, en compagnie de l'artiste italien, invité à créer un pont sur la Corne d'Or, le sultan ayant refusé le projet précédent, signé Léonard de Vinci. On assiste à la rencontre de l'homme de la Renaissance avec la beauté du monde ottoman, avec l'étrangeté byzantine. On observe le processus de création de celui qui a déjà donné son David à sa ville. On guette les jeux de pouvoir entre les personnes qui se connaissent ou se découvrent, aussi éternels qu'universels. On l'a compris, ce livre bref est un festin littéraire.

Ce magnifique roman de Mathias Enard s'avère très différent de son précédent, le superbe "Zone" (Actes Sud, 2008, Babel, 2010), dont les phrases se passaient de point, qui se déroulait dans un train et dépassait les 500 pages. Ici, le volume est court, 154 pages, et se découpe en de multiples chapitres à haut pouvoir magnétique.

L'écrivain est parti d'un fait historique peu connu, à propos duquel il fournit des notes solides. Mais il s'octroie aussi dans "Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants" la liberté que permet la fiction. Sa chronique romancée d'un temps révolu se lit avec avidité et passion tant la narration ciselée est évocatrice de scènes et de sensations, tant elle s'approche au plus près de l'humain, qu'il soit artiste, homme de pouvoir ou agent double. On est véritablement aux côtés de Michel-Ange, artiste déboussolé dans un pays inconnu, en panne d'idées. A qui se fier? Comment créer? Qui aimer? De qui se laisser aimer? Où loger? Comment manger? Le temps presse-t-il autant que l'indique le sultan? Les interrogations créatrices côtoient les questions matérielles, délicatement entrelacées avec les rencontres impromptues ou organisées: un poète local, une danseuse andalouse...

Fin connaisseur du Moyen-Orient, Mathias Enard plonge avec délicatesse le lecteur dans l'Istambul d'hier. Comme Michel-Ange veut relier les deux parties de la ville par un ouvrage d'art, l'écrivain jette un pont entre l'Orient et l'Occident, entre la politique et l'esthétique, entre la subsistance et la création, entre le passé et le présent.

Pour lire un extrait de "Parle-leur de rois, de batailles et d'éléphants", c'est ici.

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Avec "Rue des voleurs" (Actes Sud, 2012, Babel, 2014), allant de Tanger à Barcelone en passant par Algésiras, Mathias Enard a donné son idée du printemps arabe. Dans ce très beau roman engagé, il démontre clairement la montée du salafisme dans les pays arabes.

En 2012, écouter les informations venant des pays où se déroulaient les révolutions arabes et lire "Rue des voleurs" de Mathias Enard, c'était un peu se retrouver en stéréo. Car le roman met en scène Lakhdar, 18 ans au début, un Marocain de Tanger sans histoires, plein de vie et d'envies, qui se retrouve à la porte de chez lui et est embrigadé comme libraire dans le Groupe pour la Diffusion de la Pensée coranique. Lui, le musulman modéré, le fils obéissant, l'amateur de romans policiers. Lui qui rêve d'Europe atteindra l'Espagne après des aventures pénibles et y trouvera d'autres réalités, aussi pénibles. Mathias Enard a écrit un très beau roman, prenant et audacieux, sur la montée du salafisme, doublé d'un remarquable parallèle avec le voyage de l'explorateur marocain Ibn Batouta au XIVe siècle. "Rue des voleurs" dit la vie, l'amour, l'amitié et leurs contraires, les rêves et l'aspiration à un monde meilleur, en dehors des dogmes religieux et des diktats familiaux.

L'écrivain était alors passé par Bruxelles pour parler de ce livre.

Quel a été le point de départ de ce roman?
J'avais envie de puis longtemps d'un roman d'aventures qui soit un hommage au roman policier et l'initiation du passage à l'âge adulte. J'ai suivi de près les révolutions dans les pays arabes. J'ai imaginé comment lier les révoltes arabes et la crise en Espagne.
"Rue des voleurs" comporte de nombreux éléments d'actualité (révoltes arabes, attentats au Maroc, noyade de clandestins, etc.) mais reflète un genre littéraire différent de vos autres livres.
Chaque projet amène une façon d'être écrit. Pour chaque livre, ce qui compte, c'est trouver un ton, une voix qui lui convienne. Le style et la langue doivent faire partie du livre. Pour moi, le roman doit se servir de l'actualité pour fabriquer des objets différents de ce que ferait un reporter ou un journaliste. Je relie les faits les uns aux autres. Cela me permet d'ancrer les personnages dans une réalité concrète, de faire de leurs existences des exemples emblématiques de leur modernité.
Vous parlez vous-même arabe?
Oui, j'ai fait des études d'arabe. J'ai longtemps habité en Syrie, au Liban, en Egypte et à Tanger. Aujourd'hui je vis toujours à Barcelone où j'enseigne l'arabe. Judit, un de mes personnages, pourrait être une de mes étudiantes.
Vos personnages principaux sont jeunes. Vous avez confiance en la jeunesse?
Oui, on peut avoir confiance en ce type de jeunesse, comme mon narrateur. Il est très désireux de liberté et d'amélioration économique mais il a du mal à participer au débat public et à la politique qui sont nouveaux pour lui.
Votre roman se découpe en trois parties: Tanger, le ferry et Algésiras, Barcelone.
Les trois parties ont été décidées tout de suite. Le voyage commence à Tanger, s'arrête à Barcelone. Entre les deux, il y a l'intermédiaire du bateau et l'épisode avec Cruz à Algésiras.
Vous faites le parallèle entre le voyage de Lakhdar et celui d'Ibn Batouta au XIVe siècle.
Ibn Batouta est un voyageur qui a eu la chance de pouvoir profiter de la paix mongole. Il est allé jusqu'en Chine. Il a voyagé pendant 25-30 ans. Il est un héros au Maroc. Un lycée porte son nom, une mosquée, un bateau, celui que j'utilise dans le livre. Pas besoin d'inventer, le réel est assez généreux. Ibn Batouta est comme un fil rouge du début à la fin du livre, comme un sous-texte.
La fin, "Faites de moi ce que vous voudrez", est terrible.
Lakhdar est arrivé au bout du voyage. Il est à son procès. Il n'a plus de prise sur les choses. Petit à petit, il a été fabriqué par son destin. Il se confie au tribunal comme on se confie au destin. Je suis très content de cette fin.

Pour lire un extrait de "Rue des voleurs", c'est ici.












mercredi 10 février 2016

Attention, un caillou peut en cacher un autre

Le petit monde du livre s'est rappelé, et à raison, du magnifique premier roman de Sigolène Vinson paru au Tripode l'an dernier, "Le Caillou"(lire ici).  Il est en effet le lauréat en catégorie littérature francophone du prix Libr'à Nous 2016. Un prix à multiples catégories, neuf cette fois, créé en 2013, et auquel ont participé cette année plus de 200 libraires de France, Belgique, Suisse, Maroc, Nouvelle Calédonie, Québec, contre 160 l'an dernier.

Il s'autodécrit ainsi: "Le Prix Libr'à Nous est un mouvement spontané et libre de libraires voulant mettre en avant dans différentes catégories leurs coups de cœur. C'est un prix où tous les libraires francophones du monde entier en poste (ayant exercé au moins 4 mois durant l'année) en librairies indépendantes, grandes surfaces, chaînes, peuvent voter à tous les tours via notre groupe internet."

En pratique, tout passe par la page Facebook du prix. Les votes portent sur les livres parus l'an dernier.

Palmarès
  • Album jeunesse: "Je suis un lion", d’Antonin Louchard (Seuil jeunesse)
  • Histoire: "Histoire de la douleur: XVIe-XXe siècle", de Javier Moscoso (Les Prairies ordinaires)
  • Philo/Socio/Psycho: "10 jours dans un asile", de Nellie Bly (Editions du Sous-Sol)
  • Littérature étrangère: "La neige noire", de Paul Lynch (Albin Michel)
  • Littérature francophone: "Le Caillou", de Sigolène Vinson (Le Tripode)
  • Bande dessinée adulte: "Zaï Zaï Zaï Zaï", de Fabcaro (6 Pieds Sous Terre)
  • Imaginaire: "Futu.re", de Dmitry Glukhovsky (Atalante)
  • Polar: "Pukhtu", de D.O.A (Gallimard)
  • Roman ado: "Les petites reines", de Clémentine Beauvais (Sarbacane)

Je plussoie aux choix en littératures francophone et étrangère. J'ai des doutes sur les choix en jeunesse, non que les choix soient mauvais, mais je pense qu'il y avait mieux. Je me tais par rapport aux autres catégories que je connais mal.

A noter que la soirée de remise des prix aura lieu ce mercredi 10 février (20 heures) au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris.

Mais comme je l'écrivais, un caillou peut en cacher un autre.


Et cet autre "Caillou", c'est l'album jeunesse que Thierry Dedieu vient de publier (Seuil Jeunesse, 40 pages). Un grand format en trois couleurs, noir, blanc et rouge, sous-titré "Les hommes sans mémoire n'ont pas d'avenir". Un conte inspiré par les destructions récentes d'œuvres d'art majeures. La quatrième de couverture les rappelle sobrement.

La quatrième de couverture. (c) Seuil Jeunesse.


L'attaque des Khomènes. (c) Seuil Jeunesse.
En des images sobres mais éloquentes, Thierry Dedieu raconte la guerre, la conquête, le massacre des uns par les autres. Nouvelles lois, nouvelles valeurs. "Désormais", écrit-il, "le Karabastan est aux mains des Khomènes, porteurs d'une nouvelle culture." Khomènes comme Khomeini?

Le caillou est la montagne sacrée des nomades. (c) Seuil Jeunesse.
Leur territoire est un désert au milieu duquel se trouve "le caillou", un rocher haut de 300 mètres. Ses parois sont recouvertes d'inscrip-
tions millénaires. Quel "caillou dans la chaussure des Khomènes", note l'auteur. Leur chef tyrannique veut au plus vite détruire ce caillou qui témoigne du passé et en évacuer les décombres au-delà des frontières.

Tout roule sauf qu'un élément étrange intervient: le pays se soulève, au sens premier. Une vingtaine de centimètres d'abord. Le guide suprême est fier "d'avoir un pays au-dessus des autres". Les choses se compliquent quand la marche fait d'abord 5 mètres et ensuite 820, isolant totalement le Karabastan. Et le savant annonciateur du pire connaîtra un sort funeste.

"Le caillou" dénonce à sa façon imagée la tyrannie et ses ravages. Thierry Dedieu dénonce crûment l'obscurantisme et la violence. Et propose aux enfants lecteurs de réfléchir à la marche du monde, à grande ou à petite échelle. A partir de 6 ans.


Sur son blog, Thierry Dedieu réfléchit sur son travail.

Thierry Dedieu.
"Les attentats du début d'année dernière m'ont bouleversé, la tuerie elle-même, la réaction des Français mais plus encore le fait que certains proclamaient haut et fort qu'ils  "n'étaient pas Charlie". Comment ne pas être Charlie?
Ce fut pour moi une stupéfaction. Je me suis beaucoup interrogé sur ce qui pour moi était une évidence et qui ne l'était pas pour d'autres.
J'ai pris alors conscience d'un manque d'éducation au sens large. Alors j'ai décidé de m'engager. J'ai pris conscience que nous, auteurs, éditeurs, instituteurs, bibliothécaires, libraires… mais aussi parents, nous avions un rôle à tenir. Jusque-là, il m'était arrivé de consacrer certains de mes livres à des réflexions sur la guerre ("Le pacificateur", "Aagun", "Va-t-en-guerre", "14-18", "Le Baron bleu"), ces "engagements" de ma part étaient plus intuitifs qu'intentionnels. Hormis le livre "Dieux" (L'Édune), je n'avais pas réellement pris parti et surtout je n'avais pas cherché délibérément à "agir".  Le livre "Le cailloue marque un changement. Désormais, quand je le jugerai nécessaire, quand j'en aurai la possibilité: je m'engagerai.
"Le caillou" est un conte. Il a été inspiré par les exactions perpétrées par les talibans, entre autres, qui ont détruit certains monuments et qui veulent effacer "une culture" et donc la culture.
Dans ce livre, une phrase est mise en exergue, cousine de celle attribuée à Foch: "Les hommes sans mémoire n'ont pas d'avenir".



Dans "Le sourire de la montagne" (Gallimard Jeunesse, 2013, lire ici), album au titre énigmatique,  François Place avait aussi conçu un album en écho à la destruction par les talibans, en février 2001, des deux Bouddhas géants de Bamyan, en Afghanistan. Mais il en avait fait une histoire de construction.