Hier (lire ici), l'écrivain français Charles Dantzig, par ailleurs poète et éditeur, me parlait du sujet de son nouveau roman, le formidable "Histoire de l'amour et de la haine" (Grasset, 477 pages). Poursuite aujourd'hui de l'entretien exclusif qu'il m'a accordé à l'occasion de la sortie de ce livre, il y a quelques jours à peine.
Un roman de son temps, qui le scrute et le raconte en mots choisis.
D'où est venu ce roman?
Et les autres personnages ?
Et puis il y a Anne, la délicieuse Anne…
On sent dans votre roman, par moments d'une grande drôlerie, une forme de tristesse et d'indignation.
Ce qui est frappant est que le député Furnesse est sympathique aussi.
La vulgarité vous blesse?
C'est aussi un roman très critique sur l'idéologie de la virilité?
Parmi toutes ces vulgarités et ces souffrances, le ton du roman est pourtant très positif.
Un roman de son temps, qui le scrute et le raconte en mots choisis.
D'où est venu ce roman?
Il est né de l'assassinat de trois autres livres. Un manuscrit très avancé, de huit cents pages, qui se composait de théories, sur l'amour, le sexe, les baisers, les cheveux, les taxis, etc., que, le relisant, j'ai trouvé décharné et sec; une pièce de théâtre sur un jeune gay prénommé Ferdinand que je n'ai pas achevée non plus, mais dont j'ai gardé le personnage; un pamphlet contre un député homophobe existant en France, qui s'était déchaîné au moment du projet de loi et auquel j'ai renoncé, parce que ce n'était pas un livre littéraire et que je ne voulais pas me retrouver sur des plateaux de télévision avec des alligators politiques qui auraient été de bien meilleurs débatteurs que moi et m'auraient dévoré. Le renoncement à ces trois livres a produit l'"Histoire de l'amour et de la haine" où j'ai adapté la structure du premier, conservé le personnage de Ferdinand et transformé celui du député.
Charles Dantzig. (c) Zazzo.
Et les autres personnages ?
Il y a Pierre, un écrivain qui n'écrit plus, et qui est la projection de ce que je ne voudrais pas devenir. Il est l'auteur de grands livres, si grands qu'il hésite à en écrire d'autres et perd courage. De plus, il essaie de ne pas tomber amoureux de Ginevra, un Italienne d'une cinquantaine d'années, belle, intelligente, solide, car ses mariages ne se sont pas très bien passés. Il y a Armand et Aaron, un banquier et un employé au rayon bricolage du Bazar de l'Hôtel de Ville, qui vivent ensemble depuis plusieurs années, très tranquillement, de façon neutre, ce qui devrait être le cas de tout couple qui s'aime, homo ou hétéro.
Et puis il y a Anne, la délicieuse Anne…
Anne est la plus fortunée et la plus infortunée du roman. Elle est d'une beauté magnifique. Et la beauté peut être un fardeau. La beauté crée une sidération et toute sidération amène une séparation. Les gens très beaux sont séparés du monde, ils le savent, ils le sentent. Ils sont l'objet d'admiration ou de concupiscence, mais jamais de rapports "normaux", et c'est ce qui arrive à Anne, qui a infiniment de mal, toute belle qu'elle est, parce qu'elle est très belle, à trouver l'amour. J'ai eu un personnage approchant dans "Je m'appelle François", où François qui est très beau est très gêné par sa beauté. Dans l'"Histoire de l'amour et de la haine", Ferdinand est très beau aussi, et il est dit que depuis l'âge de quatorze ans, sa vie a consisté à repousser les nombreuses personnes, hommes ou femmes, qui ont cherché à coucher avec lui.
On sent dans votre roman, par moments d'une grande drôlerie, une forme de tristesse et d'indignation.
Il reflète sans doute ma désolation de la façon dont la société traite l'amour. Elle a beaucoup changé au cours de ces dix dernières années. Elle est devenue réactionnaire, amère, agressive. Toute souplesse a disparu. La société est devenue raide en tout. Un populisme dégoûtant cherche des boucs émissaires. Mon député Furnesse, un incapable politique, devient un star des médias parce que nous sommes arrivés en un temps où on peut faire carrière dans l'homophobie, comme, toute proportions gardées, on pouvait faire carrière dans l'antisémitisme dans les années 30. Tout cela prospérant sur la crise économique.
Ce qui est frappant est que le député Furnesse est sympathique aussi.
Et cela ne prouve rien d'autre que: il est sympathique. Mao, qui a tué des millions de personnes, était très sympathique, Staline était très sympathique. Furnesse est sympathique, il fait des blagues, c'est un humoriste. Je me méfie des humoristes, vous savez. L'humour peut être un forme habile de la haine. Nous avons en France des "humoristes" douteux. La façon dont pendant des années ils ont fait des blagues épaisses sur les Belges était d'une bassesse arrogante qui devrait entraîner des excuses publiques. Furnesse, lui, fait en permanence des blagues sur les gays.
La vulgarité vous blesse?
Une grande partie de la vulgarité du monde vient de ce qu'il oublie sa part d'enfance, et voilà pourquoi mon roman contient de nombreuses pages sur l'enfance et la façon dont on la traite.
C'est aussi un roman très critique sur l'idéologie de la virilité?
On célèbre la virilité alors qu'elle rend tout le monde malheureux: les enfants, que cela force à des comédies, les femmes, que ça habitue à l'idée qu'elles ne sont pas tout à fait bien, et les hommes eux-mêmes, qu'elle panique.
Parmi toutes ces vulgarités et ces souffrances, le ton du roman est pourtant très positif.
Je n'ai aucune admiration pour le malheur. Je n'ai aucune croyance en la fatalité. Je voulais dépasser une certaine complaisance du malheur qui peut exister au sujet de l'homosexualité. On nous l'a imposé, c'est vrai, mais le procès d'Oscar Wilde, l'assassinat de Pasolini ou le sida d'Hervé Guibert, c'est un temps que nous devons enterrer. Le malheur, c'est jadis.