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mardi 15 mai 2018

Le prix triennal jeunesse à Thomas Lavachery

Thomas Lavachery. (c) Nathalie Eloy.

Chic chic chic! Thomas Lavachery reçoit une deuxième couronne en quelques mois avec l'attribution, ce lundi 14 mai 2018, du Grand prix triennal de littérature de jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles (15.000 €). Il en est le cinquième lauréat.
Ce prix récompense tous les trois ans un(e) auteur(e) ou un(e) illustrateur(trice) issu(e) de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont l'ensemble des publications constitue déjà une œuvre. Il ne fait l'objet d'aucun acte de candidature. Sa dotation est de 15.000 euros.
Remise du prix.
(c) FW-B - Jean Poucet.
Le Grand Prix lui a été décerné par Madame la ministre de la Culture Alda Greoli, sur proposition d'un jury composé de Laurence Bertels, Laurence Leffebvre, Françoise Lison-Leroy, Anne-Françoise Rasseaux, Brigitte Van Den Bossche,  Joseph Macquoi et Philippe Marczewski.

Thomas Lavachery avait déjà reçu le 15 décembre 2017 le prix Scam de Littérature Jeunesse pour l'ensemble de son œuvre (lire ici).


Une illustration du prochain tome des aventures de Tor, "Tor et le prisonnier".
(c) Th. Lavachery.

Qu'ajouter depuis les trois parutions de l'automne dernier, un album, un bref roman illustré et la fin de la saga de Bjorn le Morphir (lire ici)? Que l'auteur a terminé une nouvelle aventure de Tor, "Tor et le prisonnier", à paraître, ainsi qu'un roman pour les grands ados (Médium +), également à paraître, une histoire amazonienne provisoirement intitulée "Rumeur".

Une illustration du roman à paraître, intitulé pour le moment "Rumeur".
(c) Thomas Lavachery.


Deux couronnes en très peu de temps, une double occasion d'interroger cet auteur prolifique et polyforme.

Huit questions à Thomas Lavachery

Quel lecteur es-tu?
Un lecteur boulimique, bien sûr! Adolescent, les romans constituaient l'essentiel de mes lectures: 80 à 90 %, à vue de nez. Au fil des années, le nombre des essais a augmenté sensiblement. J'en suis aujourd'hui à 60 % de romans et 40 % d'essais: biographies, livres historiques, ouvrages d'anthropologie, essais sur la littérature, le cinéma, les arts… Et je pense que les romans perdront encore du terrain à mesure que mes cheveux blanchiront. Cette évolution n'a rien d’original – parmi mes amis (les hommes surtout), plusieurs suivent le même chemin.S'agissant des romans, j'en lis de toutes les époques et de tous les pays. Je n'ai pas de genre privilégié. Mes romans préférés sont ceux où je peux vivre heureux. Je suis sensible au style, à l'esthétique générale, aux idées, mais mon principal bonheur est de quitter mon existence pour en connaître une autre. En cela, je suis un lecteur premier degré, qui cherche l'identification, l'oubli de soi. Les lecteurs de mon espèce sont toujours des relecteurs: j'ai dévoré quatre fois "Les trois mousquetaires", sept ou huit fois "Mémoires d’Hadrien", trois fois "Les aventures de Jack Aubrey" (20 volumes), quatre ou cinq fois "Le quatuor d'Alexandrie"… Le roman préféré de Stevenson était "Le Vicomte de Bragelonne", qu'il avait lu cinq ou six fois. Ce qu'il en disait me correspond absolument: "J'emportais le fil conducteur de cette épopée dans mon sommeil et je me réveillais sans qu'il soit brisé, en me réjouissant de replonger dans le livre au petit déjeuner. Et ce n'est pas sans un serrement de cœur que je devais le poser pour retourner à mes propres travaux – car aucune partie du monde ne m'a jamais paru aussi captivante que ces pages et même mes amis ne me sont pas tout à fait aussi réels, ni peut-être aussi chers, que D'Artagnan."
Quel lecteur étais-tu enfant?
Je ne lisais pratiquement pas d'albums illustrés. Pour ce qui est des romans, c'était tout aussi rare. J'ai découvert Kipling et Jack London vers 11 ou 12 ans, j'ai lu très tôt quelques Maigret… Mais tout cela ne comptait pas beaucoup à côté de la BD. Enfant, mes dieux s'appelaient Franquin, Peyo, Macherot, Jijé, Will, Tillieux… Pas Hergé, curieusement – je l'ai manqué, en quelque sorte. C'est vers 20 ans que j'ai pris la mesure de son génie. 
Quel auteur (illustrateur) es-tu?
Je m'en tiendrai au romancier afin de ne pas être trop long. Je dirais que je suis un romancier d'imagination – si ma propre vie m'inspire, c'est souterrainement, le plus souvent sans que j'en aie conscience. Pour que mon imagination s'emballe, j'ai besoin d'installer mes personnages dans des univers qui sont très éloignés du mien, tant sur le plan temporel que spatial. Le Moyen Âge est l'époque que j'ai exploitée le plus régulièrement, en prenant de grandes libertés avec l'Histoire. J'invente des pays, dont je dessine les cartes. Au fond je suis (à mon modeste niveau) comme Jules Verne: un romancier qui décrit mieux ce qu’il n'a pas vu. La plupart de mes histoires contiennent du surnaturel. Cela dit, la part de fantastique tend à diminuer avec les années. Le roman que je viens de terminer, un récit amazonien qui se déroule au XIXe siècle, en est à peine teinté.
Ecrit-on différemment quand on s'adresse à la jeunesse ?
C'est une question qu'on nous pose souvent. Les différences existent, mais elles sont somme toute superficielles. On adapte son vocabulaire, on explique un peu plus de choses, on traite les scènes dures par l'évocation… J'ai toujours évité le style "djeuns". Le narrateur ado qui s'exprime comme un ado, je n'aime pas. A de rares expressions près, cela sonne très faux à mes oreilles. Pour Bjorn le Morphir, les mémoires d'un jeune Viking, j'ai suivi l'exemple de grands devanciers tels que Stevenson dans "L'Ile au trésor" ou J.M. Falkner avec "Moonfleet". On pourrait citer maints exemples de romans où le protagoniste raconte sa jeunesse des années après. Ce décalage permet à l'auteur de donner à son héros-narrateur un ton mature, une capacité d'analyse que n'auraient pas un enfant ou un ado. Le style de Bjorn est mon style naturel, je n'ai pas eu à le modifier, sinon pour lui donner une légère couleur moyenâgeuse. Dans ma saga, j'ai pu être totalement moi-même.
Que trouve-t-on dans ta bibliothèque?
Elle se trouve toute entière dans mon bureau, distribuée dans et sur sept ou huit meubles différents. Sur ma table, derrière l'ordi, les dictionnaires, les grammaires… et Patrick O'Brian, l'un de mes auteurs fétiches. Derrière moi, deux étagères de classiques français, certains dans des éditions anciennes héritées de mes aïeuls. Je citerai Rousseau, mon idéal en matière de style, et Stendhal, mon idéal tout court – l'auteur que je chéris entre tous. En dessous, et sans transition, des livres d'anthropologues achetés à l'époque de mes études d'Histoire de l'Art. Je les relis encore, surtout Lévi-Strauss, que je vénère littéralement, même si une partie de son œuvre me dépasse. Tout en bas, j'ai placé côte à côte Orwell et Simon Leys, qui doivent s'entendre à merveille. A ma gauche, sur une table, les ouvrages sur la littérature qui me servent pour le cours d'écriture que je donne à l'Université de Lille. Parmi eux, un chef-d'œuvre méconnu, irremplaçable essai sur le métier d'écrivain: "La création chez Stendhal", de Jean Prévost. Il y a encore les ouvrages sur l'Océanie et l'île de Pâques, mon sujet de mémoire, les rangées entières consacrées à un seul auteur adoré, dont je veux tout posséder: Dumas, Conrad, Melville, le flibustier Léautaud, Tchekhov, Lawrence Durrell, Sigrid Undset, Jim Harrison, Vargas Llosa, Garcia Lorca, Robert Cormier, mon amie Kitty Crowther… 
Quel est le livre jeunesse que tu aurais aimé écrire?
Tu pardonneras mon manque d'originalité: "L’île au trésor". En le relisant l'autre semaine – bonheur intact –, je me suis fait cette réflexion que la grandeur du livre, son originalité, doit tout ou presque à son méchant. Trouble, visqueux, fascinant, admirable… Long John Silver est l'une des plus formidables créations de l'histoire littéraire.
Lequel de tes personnages aimerais-tu rencontrer pour de vrai?
Daphnir adulte. Pas tant pour causer avec lui que pour le regarder sous toutes les coutures. Voir un dragon en vrai, tout de même!
Quel(s) livre(s) proposerais-tu à un enfant qui n'en a jamais lu(s)?
Je voudrais rencontrer cet enfant et parler avec lui, comme font les bons libraires, les bons bibliothécaires. J'ai été parfois frappé par le talent de psychologue de certains passeurs. Ma copine Déborah Damblon, par exemple. Il faut la voir discuter avec un enfant ou un ado pour cerner, petit à petit, avec doigté, le livre qui a toutes les chances de lui plaire. Sans mettre ses goûts personnels de côté, elle parvient à les étouffer suffisamment pour être à l'écoute de la meilleure façon possible. Avec cet enfant qui n'a jamais lu, j'essaierais de suivre l'exemple de Déborah.

Et en bonus, un texte que Thomas Lavachery a écrit à l'intention de ses étudiants de Lille ("Pratique de l’écriture pour la jeunesse" dans le cadre du Master Lettres Spécialité Métiers de la littérature de jeunesse de l'université Charles de Gaulle, Lille 3), une réflexion sur le roman d'aujourd'hui qui touche à l'une de ses préoccupations actuelles.

Ordre et désordre
Pour que le roman exerce tout son attrait, il est nécessaire que le lecteur termine avec le sentiment qu'on l'a mené quelque part. L'auteur, tel un dieu caché, contrôlait les choses de bout en bout. Si l'objet final ne donne pas ce sentiment de maîtrise, d'accomplissement, l'entreprise est manquée. Mais cette maîtrise, pour être complète, doit intégrer des éléments qui la contredisent à première vue: moments de flottement, détours dans l'histoire, scènes insolites, en apparence inutiles, dialogues obliques, improbables… Pour être crédible, un roman doit intégrer quelque chose du caractère aléatoire de toute vie humaine. Car aucune existence, même la plus sage, n'est exempte d'événements ou de périodes chaotiques… Trouver un juste équilibre entre ordre et désordre est l'une des gageures du romancier. Passionnant métier que le nôtre!


Les lauréats précédents du Grand prix triennal

2015 Anne Brouillard (lire ici)
2012 Benoît Jacques (lire ici)
2009 Rascal
2006 Kitty Crowther


Les autres prix littéraires de la Fédération Wallonie-Bruxelles remis ce lundi 14 mai 2018.

  • Prix (annuel) de la première œuvre en langue française (5.000 €): Henri de Meeûs pour son recueil "Pitou et autres récits" (Marque Belge)
  • Prix triennal d'écriture dramatique en langue française (8.000 €): Veronika Mabardi pour sa pièce "Loin de Linden" (Editions Lansman)
  • Prix (annuel) de la première œuvre en langue régionale (500 €): Pierre Noël pour son texte "El derni pichon" (Le dernier pinson), en picard de Mouscron. 
  • Prix triennal d'écriture dramatique en langue régionale (2.500 €): Roland Thibeau pour sa pièce "Ël vilâje insclumî" (Le village endormi), en picard borain.  






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