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lundi 4 août 2025

Un été avec la famille Royer

"Un été 79" de Jean-Philippe Blondel. (c) L'Iconoclaste.

Pour son retour à la fiction (lire en fin de note), Jean-Philippe Blondel a choisi une famille comme il les aime. On va cheminer le temps d'un été, "Un été 79" (L'Iconoclaste, 262 pages), en compagnie de Michel et Andrée Royer et de leurs deux garçons. Pascal, 22 ans, a déjà quitté le nid familial. Il travaille, brille, veut briller encore plus. Philippe, 15 ans, vit chez ses parents, entre l'école, ses livres et ce qu'il écrit, ses tentatives amoureuses et ses ruminations de second enfant. De second fils. Les deux parents travaillent, lui à la SNCF, elle dans l'enseignement. En province, évidemment.
 
On retrouve immédiatement la petite musique de l'écriture Blondel. Des phrases apparemment simples, mais dont chaque mot a été pesé, soupesé avant d'être conservé. Une intrigue qui enveloppe le lecteur, l'insère dans le chœur des personnages. Lui fait vivre des situations, des émotions. Le confronte à ses propres sentiments.
 
Dès les premières pages, l'auteur nous plonge dans l'ambiance de cette époque déjà un peu lointaine, avec les choix, les ambitions, les découvertes du temps. Ah, ces surgelés tellement pratiques, la précieuse Talbot, le disco, le "Nouvel Observateur" des gens de gauche. Car les Royer sont de gauche, comme beaucoup de monde à l'époque. François Mitterrand n'allait-il pas être élu président de la République française le 10 mai 1981? Les lecteurs plus âgés apprécieront les innombrables détails relatifs à l'été 1979. Comme un petit tiroir de souvenirs enfouis qui s'ouvre. Les plus jeunes découvriront l'étendue des changements survenus dans tous les domaines en quarante-cinq ans. Un océan, un gouffre. Dix ans après mai 68, l'émancipation féminine peinait dans un monde encore très patriarcal.
 
Chez les Royer, cela ne va pas fort en ce début d'été. Lui a reçu une promotion impliquant son déménagement à Paris. Comment en parler à son épouse quand tant de nuages se sont accumulés sur leur couple qui préfère se taire et souffrir, plutôt que communiquer? Philippe s'apprête à mourir d'ennui chez ses grands-parents maternels. C'est dire si la soudaine location d'une quinzaine dans un VVF (Villages Vacances Famille) dans le Vercors rebat les cartes. Elle les rebattra même au-delà de tout ce qu'ils auraient pu imaginer. Et dans tous les sens.
 
Blondel mène en chef d'orchestre doté d'une grande finesse ce séjour de vacances inattendu. Il révèle son amour pour ses personnages auxquels il fait vivre ce qu'on appelle la vie, avec ses hauts, ses bas, ses surprises, ses avancées et ses reculades. Pas de jugement, mais un zoom sur une famille à un moment donné. Si Michel, Andrée et Philippe sortiront grandis de cette expérience, ce sera moins le cas de Pascal qui vient les rejoindre quelques jours. "Un été 79" nous fait côtoyer le trio principal et ses personnages secondaires, dans une proximité d'âme réjouissante. Pas de stroboscope qui déchire mais une attention fine aux êtres, assurée par les décors fouillés, tant les lieux que les habitudes et les musiques, et quelques éléments personnels (Jean-Philippe Blondel avait quinze ans en 1979 et a brièvement évoqué ce séjour dans "Traversée du feu"). Comme souvent chez lui, la finale surprend et enchante, bouclant une boucle qui s'était discrètement dessinée.
 
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Si "Un été 79" marque le retour à la fiction de Jean-Philippe Blondel, son sujet était déjà abordé dans le dernier chapitre de son livre précédent, "Traversée du feu" (L'Iconoclaste,208 pages, 2024), sorti au début de l'année dernière. Le récit d'une trentaine de mois entre février 2021 et juillet 2023 où l'auteur a affronté un cancer et son traitement. Avec tout ce que cela suppose de difficultés, d'angoisses et de souffrances. Un parcours d'autant plus difficile pour lui qu'il avait déjà été confronté à la mort quarante ans plus tôt.
 
Mais comme la fois précédente, il ne se laissera pas abattre. Il nous fait donc le récit de son cancer et de son traitement, le confinement dû au Covid augmentant encore son isolement forcé. Mais il le fait à sa manière, résiliente. "Je n'arrivais plus à écrire de la fiction", nous disait-il au moment de la sortie du livre. "J'avais des idées mais je n'allais pas plus loin que vingt pages. Il fallait que je me raconte, que je raconte ça. J'ai aussi voulu écrire les absents, notamment dans la finale en apothéose. J'ai toujours vécu avec l'idée que j'étais le dépositaire d'histoires non terminées ou brutalement achevées."
 
Sa chronologie est piquée de souvenirs et d'interrogations multiples. Les grandes questions sur la place dans le monde et la réussite d'une vie débouchent aussi sur l'amitié, les rencontres, le destin. Le tout est émaillé de petits faits et d'anecdotes bien ancrées dans la réalité, comme l'amitié avec l'écrivain Pierre Bottero ou la naissance de ses filles. Le succès de la chimiothérapie s'assortit de flashs biographiques, dont on a eu des bribes dans les romans précédents de Blondel. "Bâtir des ponts, être prof, être écrivain, c'est toute ma vie." Son récit est plein de surprises et de petites lumières, qu'il est touchant de découvrir.
 
Chacun des sept chapitres est titré d'un verbe: courir, annoncer, absorber, marcher, écouter, envoyer, jouir. "Sept verbes à l'infinitif", précise-t-il, "pour me conjuguer au passé, au présent et au futur. Parce qu'entre chaque infinitif, il y a la vie." 
 
Quel mot, un seul mot, pour "Traversée du feu"?
Réponse de l'auteur: "le chemin".
Réponse de la lectrice que je suis: "la libération"