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vendredi 28 mars 2025

La très intrépide incursion en littérature jeunesse

Joël Dicker. (c) DR.

On le savait depuis janvier. Joël Dicker ("La Vérité sur l'affaire Harry Quebert", de Fallois, 2012, plus de cinq millions d'exemplaires en quarante langues, ainsi que d'autres polars à succès vendus à plus de dix millions d'exemplaires) se lançait en littérature de jeunesse avec le roman "La Très catastrophique visite du zoo", paraissant le 4 mars sous le label de Rosie & Wolfe, la maison d'édition qu'il a fondée à Genève en 2021 après la mort de son éditeur Bernard de Fallois (1926-2018) et la fermeture de la maison de ce dernier en 2021. Fort de 256 pages, il est tiré à 450.000 exemplaires. Bigre.
 
Il s'agit du neuvième titre pour l'écrivain suisse, différent des précédents: moins gros, ne se déroulant pas aux États-Unis, pas polar mais proposant néanmoins une enquête. Et pas n'importe quelle enquête. Une enquête menée par des enfants. Avec ce roman, l'auteur ambitionne de toucher un lectorat de 7 à 120 ans. Apôtre de la lecture, il pense que parents et enfants pourront se rencontrer après avoir lu son livre. Et en discuter. Fameux défi. Le relève-t-il? A lire en ligne les avis de lecteurs, sans doute davantage des lectrices, grand oui. A lire l'avis de bibliothécaires jeunesse, petit oui. Le mien? Petit oui aussi.
 
"J'ai voulu un livre pour tout public", nous dit Joël Dicker, de passage à Bruxelles. "Je ne l'avais pas envisagé avant de commencer. Mais au fur et à mesure que j'avançais dans l'écriture, je me rendais compte que Joséphine, la narratrice, pouvait s'adresser à des enfants". L'intrigue? Une bande de six enfants, tous des garçons sauf Joséphine, mène de main de maître, épaulée par quelques adultes bienveillants, une enquête. Elle commence lors d'un incident banal, l'inondation de l'école des Pics Verts où ils sont scolarisés. Très vite, il apparaît que les lavabos ont été bouchés par de la plasticine. Ce n'est donc pas un accident.
 
Déménagés avec leur directrice dans l'école voisine, celle des enfants "normaux", les six enfants de l'école "spéciale" vont chercher à en savoir plus. La construction du livre fait penser à la vieille chanson "Tout va très bien madame la marquise", chaque événement catastrophique - pour reprendre le titre  - menant à un autre l'ayant précédé, tout aussi catastrophique. Page turner assuré.
 
"Avec le recul, je constate que j'ai toujours été à cheval sur plusieurs genres dans mes livres", reprend Joël Dicker. "Ici, vu que des enfants vont me lire, je n'ai pas mis de meurtre mais des choses dont on sort heureux. Le terrain de l'enfance est celui de la liberté de parole, de l'humour, des questionnements." Effectivement, au fil des chapitres apparaissent les questions de la démocratie, de l'autorité, de la diversité, de l'enseignement, de la place de l'école. Et aussi de l'amour.
 
"Joséphine, la narratrice, est juste un personnage. Ce n'est pas moi. Bien sûr, elle a un peu de moi comme tous les autres personnages. Elle est forcément la combinaison de tout un tas d'expériences. Joséphine est une enfant un peu intrépide, curieuse, la cheffe de cette équipe. Avec elle, j'ai voulu rendre hommage à la femme, à sa capacité de faire bouger les choses."
 
L'écrivain s'est donné pour mission de faire lire. "Tout le monde aime lire", avance-t-il. "Mon roman est divertissant, comporte de l'humour. Je donne aussi des "petits biscuits" pour que le lecteur reste avec moi, comme un système de récompense. Écrire pour les enfants signifie pour moi éviter la violence, pas de meurtre donc, et le sexe. Sans autre effort particulier. Le monde de l'enfance doit être protégé. Je me suis mis dans la peau d'un enfant comme quand, dans "Harry Québert", j'avais raconté ce que je connais de l'Amérique du nord. J'ai fait pareil pour ce personnage de Joséphine".
 
Au final, "La très catastrophique visite du zoo" se lit sans bouleverser ou émouvoir la lectrice que je suis. L'écriture est descriptive sans réel souffle, les clichés abondent en positif comme en négatif. Certains mots de vocabulaire sont largement expliqués alors qu'ils sont simples, d'autres plus compliqués sont laissés tels quels. "J'ai écrit le texte comme cela me parlait." Si l'enquête de Joséphine, Artie l'hypocondriaque, Thomas le karatéka, Otto le lettré par ailleurs fils de divorcés, Giovanni le gosse de "très riches" et Yoshi le mutique qui ne parle "jamais-jamais", se complexifie de chapitre en chapitre pour se terminer sur un joli coup de théâtre, elle aborde l'air de rien les différences entre école classique et école active. Elle joue avec les mots comme ces "amandes honorables". Elle propose de l'humour jusque dans une injure comme "Sacré nom d'un souffleur de boudin". Elle explique magnifiquement le système des élections et des votes. Elle évoque la démocratie et la diversité. Elle est un page turner assez artificiel quoique divertissant. Mais elle s'oublie bien plus vite que d'autres romans en littérature pour adolescents. Lecteur de Roald Dahl, Joël Dicker devrait lire la trilogie "Angie" de Marie-Aude et Lorris Murail (lire ici).

 
 
 
 
 



 
 
 
 
 
 
 

lundi 24 mars 2025

Une Belge au palmarès des prix Sorcières 2025

L'affiche 2025, signée Elisa Géhin.

L'ABF (Association des Bibliothécaires de France) et l'ASLJ (Association des Librairies Spécialisées Jeunesse-Librairies Sorcières) viennent de communique le palmarès des prix Sorcières 2025 (présélections ici). 
 
Deux titres d'une grande maison d'édition, l'école des loisirs et Thierry Magnier, trois titres d'une maison moyenne, La Partie (deux) et hélium (un), un titre d'une petite maison habituée de ce palmarès, Maison Georges. Et en cerise sur ce choix, une Belge, Sarah Cheveau. Voici le palmarès.
 

CARRÉMENT BEAU MINI

7 Comptines d'Oiselles
et d'Oiseaux
Sarah Cheveau
Éditions Thierry Magnier

Un coffret de sept petits livres qui jouent avec les sons, les images et les mots pour découvrir les premiers apprentissages. Une mini-bibliothèque portative incite les bébés à partir à la rencontre du poussin, du coucou, de la chouette ou du pic épeiche. A se laisser emporter par leur chant, à jouer grâce à eux avec les chiffres, les couleurs ou les formes. Le tout porté par l'humour et la fantaisie de Sarah Cheveau.
 
"7 comptines pour oiselles et oiseaux". (c) Ed. Thierry Magnier.
 
 
CARRÉMENT BEAU MAXI
Un abri
Adrien Parlange
La Partie, 40 pages
 
Ce magnifique album fut finaliste des prix IBBY Belgique francophone 2024 (lire ici). Solidarité et découverte de l'autre au-delà de peurs légitimes sont merveilleusement traitées dans cet album où une petite fille et plein d'animaux s'abritent tous ensemble derrière un rocher pour se protéger du soleil.
 
"Un abri" d'Adrien Parlange. (c) La Partie.
 
 
 
CARRÉMENT PASSIONNANT MINI
L'Étoile de Mo
Yeonju Choi
traduit du coréen par Elvire Beaule
hélium, 176 pages
 
Un roman délicatement illustré, Mention spéciale en catégorie Opera Prima à la Foire de Bologne 2024 (lire ici), autour de Mo, un petit chat insomniaque. Une nuit où il ne trouvait pas le sommeil, il aperçoit au loin une étrange et brève lumière. Elle l'attire, il s'aventure à sa recherche en pleine nuit. Dans la forêt, il rencontrera plein d'animaux qui lui donneront de quoi continuer son périple et le guideront, tout en le mettant en garde contre un ours à l'haleine fétide.  Mo est à la fois effrayé et curieux de le rencontrer... 
 
"L'étoile de Mo". (c) hélium.

 
 
CARRÉMENT PASSIONNANT MAXI
La Plus Grande
Davide Morosinotto
traduit de l'italien par Marc Lesage
l'école des loisirs, "Médium"


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
CARRÉMENT SORCIÈRES FICTION
Mon nom est Billy des nuages
Éva Offredo
Maison Georges

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
CARRÉMENT SORCIÈRES NON-FICTION
Qu'est-ce qu'une frontière?
Gudol & Haerang
traduit du coréen par Sungyup Lee
La Partie, 64 pages
 
 Le monde est divisé en plus de 200 pays délimités par des frontières. Mais qu'est-ce qu'une frontière? Ces délimitations inventées par les humains peuvent apparaître, disparaître ou changer soudainement. Certaines frontières suivent le cours d'un fleuve, d'une côte ou d'une chaîne de montagne, d'autres sont tracées en lignes droites. Certaines sont grandes ouvertes, et d'autres fermées par des murs et des armées. Mais qu’elles soient dangereuses ou non, les humains les franchissent depuis toujours: pour explorer, se mettre à l'abri, envahir, commercer ou trouver un emploi ou un sens à sa vie... Quant aux oiseaux et aux poissons, ils se fichent bien des frontières, comme les ondes, l'air ou la pollution.
 
 
"Quest-ce qu'une frontière?" (c) La Partie.

 
 


mercredi 19 mars 2025

Treize dessinateurs d'humour à la douzaine

Dessins de Saul Steinberg. (c) Sébastien Roberty
(c) The Saul Steinberg Foundation, SABAM, Brussels, 2025.

 
On connaissait Folon peintre et sculpteur. On l'a découvert photographe (lire ici). L'exposition "Drawing room" qui vient de s'ouvrir à La Hulpe dévoile une autre facette de l'artiste (1934-2005). Le dessin d'humour. Une pratique qu'il a intensément pratiquée dans les années 1950, avant sa notoriété, sous l'influence de l'artiste américain Saul Steinberg. "Il y a eu un Folon qui fait du dessin d'humour avant le Folon que l'on connaît", explique la Fondation. Tout jeune, Folon avait quitté Bruxelles et était parti s'installer à Bougival, à 20 kilomètres de Paris. Pour survivre, pour ne pas crever de faim, il dessine. D'abord pour "Moustique", "Paris-Match" et "Pan" de 1955 à 1960 à raison d'un dessin par semaine. Il se forge ainsi son univers graphique. Ensuite, il collaborera avec fruit au "New-Yorker" aux États-Unis. Sa réussite américaine lui conférera son succès en Europe.
 
Le plus curieux de l'histoire des dessins d'humour de Folon est que peu de monde connaissait cette facette de son œuvre. En vidant son appartement de Monaco, Stéphanie Angelroth, directrice de la Fondation, a découvert dans la salle de bain une boîte contenant des centaines de dessins. Folon ne lui en avait jamais parlé alors qu'ils étaient proches!

Dessins de Folon. (c) Sébastien Roberty
(c) Fondation Folon_ADAGP, Paris, 2025.

 
Riche de cent cinquante pièces provenant de plusieurs collections dont celles de la Fondation Folon et de la galerie Martine Gossieaux, ce "cabinet de dessins" célèbre treize dessinateurs d'envergure qui ont fait œuvre de philosophes en maniant de façon créative leurs crayons et leurs pinceaux. Il témoigne du dessin du XXe siècle dans le regard de Folon. Autour de lui, douze maîtres du dessin qui l'ont marqué, à qui il a écrit, avec qui il a dialogué, parfois créé. Avec qui il s'est beaucoup amusé: Saul Steinberg, André François, Raymond Savignac, Ronald Searle, Chaval, Roland Topor, Bara, Bosc, R.O. Blechman, Sempé, Pierre Alechinsky, Milton Glaser, une fameuse brochette! Elle réjouira les connaisseurs et permettra aux autres de belles découvertes. 

André François.

Le parcours est à la fois chronologique, thématique et chromatique: quelques cimaises pour chaque artiste, à chacun sa couleur. En fil rouge de ces séries d'œuvres représentatives, complétées de notices biographiques suffisantes et des mots de Folon y apposés, un petit bonhomme court sur les murs et sert de guide. "Drawing room" est une exposition pour le plaisir qui fait aussi réfléchir. La qualité du dessin d'humour. Elle enchantera l'amateur qui découvrira des merveilles comme l'érudit qui y reconnaîtra les artistes qu'il chérit. Elle propose le regard de Folon sur le dessin au XXe siècle.  Elle démontre parfaitement que le dessin est un genre en lui-même, encore trop peu présent dans les musées d'Europe.
 

Ronald Searle. (c) Sébastien Roberty.

 
Dans la première pièce, dédiée aux dessins de Folon, on comprend combien l'artiste formait une famille d'esprit avec plein de dessinateurs. On y découvre cette forme de philosophie souriante, rappelant que l'humour est souvent la politesse du désespoir. Suivent les dessins à la plume experte de Saul Steinberg, "écrivain qui dessine" comme il se définit, dont celui sans relever l'outil qui figure sur l'affiche, les tableaux si reconnaissables d'André François, les affiches témoignant du sens de l'ellipse de Savignac, la ligne faussement hésitante de Ronald Searle, la férocité de Chaval, par ailleurs cultivateur d'absurdie. On continue avec les géniales créations de Topor, les dessins de Bara, le trait minimaliste et efficace de Bosc, les dessins de R.O. Blechman, tellement méconnu en français. On termine avec quelques œuvres de Sempé, toujours délicieuses, d'Alechinsky et de Milton Glaser, autre immense artiste américain que les nouvelles générations d'artistes ignorent malheureusement.
 

Topor. (c) Sébastien Roberty.

En complément des dessins réalisés en solo par leurs auteurs, on en découvre aussi plusieurs, réalisés en duo avec Folon. L'homme qui aimait les artistes, aimait les rencontrer et faisait tout pour parvenir à ses fins comme le raconte joliment l'exposition "Drawing room".

Milton Glaser en solo et en duo avec Folon.

Pratique
Où? Fondation Folon, drève de la Ramée 6A, 1310 La Hulpe
Quand? Jusqu'au 31 août, du mardi au vendredi de 9 à 17 heures, le week-end de 10 à 18 heures.
Combien? 15 euros pour les +26, 12 euros pour les +65, 5 euros pour les 6-25 ans.
Autres infos ici.


mardi 18 mars 2025

Le prix Prem1ère 2025 à Pauline Valade

Pauline Valade a reçu le prix Prem1ère 2025. (c) RTBF.

Comme chaque année depuis 2007, les auditeurs ont choisi le prix Première 2025 (5.000 euros et une résidence d'écriture de deux semaines à l'ALBA, la Maison des Talents Partagés, à Charleroi). Il a été décerné pour la dix-neuvième fois le jeudi 13 mars à la Française Pauline Valade pour "Bruno et Jean" (Actes Sud, 2024, 368 pages). Hasard du calendrier, c'est le dernier premier roman à avoir été présenté à l'antenne de la RTBF durant les jours précédent la Foire du Livre de Bruxelles (lire ici). Son livre a été choisi par un jury composé de dix auditeurs et auditrices de La Première dans une sélection de dix premiers romans proposés par un comité de professionnels du livre.
 
"Bruno et Jean" est basé sur un fait historique. Le 6 juillet 1750, à Paris, Bruno Lenoir et Jean Diot meurent étranglés puis brûlés en place de Grève à Paris. Ils avaient été arrêtés plusieurs mois plus tôt. Ils seront les derniers condamnés à mort pour homosexualité en France. Historienne de formation, chercheuse en histoire et professeur agrégé, Pauline Valade a découvert ce fait divers discret lors de ses travaux. Elle a voulu le rendre public par le biais d'un roman mêlant fiction et réalité. Un texte long, à l'écriture baroque, avec beaucoup de longues descriptions et de répétitions, dans lequel les lecteurs se sont glissés plus facilement que moi.
 
 
Dix questions à Pauline Valade

Quelle est votre réaction au prix Prem1ère que vous recevez pour "Bruno et Jean"?

Le prix me touche parce que c'est un prix de lecteurs. François Mauriac a dit: "A partir du moment où il prend la plume, l'auteur est responsable publiquement de chacune de ses phrases". J'ai voulu les emmener dans le Paris d'alors avec une approche sensorielle, par besoin de comprendre ce qui s'y est passé.
Comment êtes-vous devenue historienne?
J'ai voulu être historienne depuis que je suis petite fille. J'ai grandi dans une grande maison bourgeoise avec un passé. Je lisais la Comtesse de Ségur. Je me demandais déjà alors ce qui s'était passé avant moi dans ces murs. Mes jeux me portaient à faire comme autrefois, à me plonger dans un monde qui n'était pas le mien. J'ai fait des études d'histoire à l'âge de dix-huit ans, pour acquérir les connaissances nécessaires afin d'écrire un roman. J'ai finalement fait un doctorat avant de revenir l'idée de la fiction.

Comment passe-t-on d'historienne à romancière?

La plaque parisienne.
Je suis historienne, chercheuse en histoire et professeur agrégé. Mes recherches portent sur Paris au XVIIIe siècle. J'ai consacré ma thèse de doctorat aux réjouissances monarchiques à cette époque, à la joie populaire sur la voie publique. Je suis tombée par hasard sur une chronique rapportant une exécution le 6 juillet 1750 pour "crime de s…", le mot sodomie n'était pas écrit. Les contemporains ne la comprennent pas, les deux hommes étaient en prison depuis longtemps (ndlr pour l'époque). Ils pensaient la peine commuée. On n'a pas crié le jugement. Beaucoup de choses dérogent au rituel. Une plaque commémorative existe à Paris.
Ce sera donc l'histoire vraie de "Bruno et Jean".
Après mon doctorat, j'ai voulu retourner à mes premières amours, la littérature, l'écriture. J'ai voulu passer par la littérature pour déjouer le sens de l'Histoire, redonner chair à Bruno et Jean, les incarner. Aux archives, j'ai trouvé le PV de leur arrestation, leurs interrogatoires, des extraits des requérants, la mention du bûcher et de leur étranglement.
Comment s'est construit votre premier roman?
Les deux premiers tiers de mon livre sont de la fiction nourrie d'archives, le dernier tiers, à partir de leur arrestation, est un récit tiré des archives. J'ai voulu créer une empathie fictionnelle avec Bruno, Jean et les personnages secondaires dans la première partie avant de relater ce qui leur est arrivé. C'est pour cela que je glisse des bribes d'archives dans le texte.
Votre livre est gros.
Pauline Valade. (c) DR.
Le livre est long, 366 pages. Je me suis juste laissé aller. Le texte a été repris tel quel par mon éditrice, Aude Gros de Beler. Il n'a pas été retravaillé. J'ai écrit comme je voyais les choses. J'avais un besoin essentiel de raconter, de poser le décor, d'immerger le lecteur. C'est pourquoi mon texte est pictural. Il est comme un tableau, touche par touche, mot par mot.
Je n'avais pas de plan mais une ossature en deux tiers un tiers. J'ai d'abord écrit la fin, ensuite j'ai rembobiné l’histoire. Le vocabulaire fait partie de la restitution. Les expressions populaires donnent du réalisme. Pareil pour les notes de bas de page. J'ai voulu prendre le lecteur par la main, via le vocabulaire et le contexte et lui dire: je t'emmène là.
D'où viennent Rosine, Paulin Lajoie, Demi-Lune?
Les personnages secondaires se sont imposés à moi. A force de lire sur ce Paris, de me plonger dans les archives, il me fallait Lajoie, la plume qui consigne la désinvolture de ce siècle. Il me fallait un personnage féminin qui ait du caractère, Rosine. Demi-Lune est plus jeune. Chacun incarne une réalité du Paris de ce XVIIIe siècle. Quant au juge, c'est moi qui lui prête ses interrogations. Les archives parlementaires ont été brûlées avec Bruno et Jean. Via le procureur, j'ai eu des traces des interrogatoires. Cela a été un processus incompréhensible, incontrôlé, sans explication rationnelle. Car à l'époque, l'homosexualité est banale. On est soucieux de la morale mais on sait composer.
Le passé éclaire-t-il le présent?
Oui, on ne tire aucun enseignement du passé mais il nous éclaire car il donne une mémoire du passé. Cette mémoire nous permet de s'ancrer dans le présent pour construire quelque chose de mieux ou pas, pour donner une conscience. Effacer le passé comme il est souvent demandé, c'est la négation de la pensée. Il faut faire du passé un élan au risque que cela recommence.
Quels sont les auteurs que vous aimez lire?
J'ai une passion pour Emile Zola depuis l'adolescence. J'aime aussi tous les auteurs du courant naturaliste du XIXe siècle. Je lis moins la littérature contemporaine.
D'autres livres en préparation?
Je suis en train d'écrire deux livres d'histoire et un livre de fiction qui sera un contrepoint à celui-ci.


Les neuf autres premiers romans sélectionnés

Dans l'ordre de préférence des votes
  • "Pas d'ici", d'Espérance Garçonnat (Rivages)
  • "Tombée du ciel", d'Alice Develey (L'Iconoclaste)
  •  "Ma fille", de Mathilde Dondeyne (Rouergue)
  •  "La Femme du lac", de Sandra de Vivies (Cambourakis)
  • "Le chagrin moderne", de Quentin Jardon (Flammarion)
  • "La fiancée de personne", d'Ava Weissmann (Le Tripode)
  • "Mythologie du .12", de Célestin de Meeûs (Éditions du sous-sol)
  • "Une trajectoire exemplaire", de Nagui Zinet (Joëlle Losfeld)
  • "Challah la danse", de Dalya Daoud (Le Nouvel Attila)


Lauréats précédents
  • 2024 Sébastien Bailly pour "Parfois l'homme" (Le Tripode, 2023, lire ici)
  • 2023 Anthony Passeron pour "Les Enfants endormis" (Globe, 2022, lire ici)
  • 2022 Mario Alonso pour "Watergang" (Le Tripode, 2021 lire ici)
  • 2021 Dimitri Rouchon-Borie pour "Le Démon de la Colline aux Loups" (Le Tripode, 2020, lire ici)
  • 2020 Abel Quentin, pour "Sœur" (Editions de l'Observatoire, 2019, lire ici)
  • 2019 Alexandre Lenot, pour "Écorces vives" (Actes Sud, 2018)
  • 2018 Mahir Guven, pour "Grand frère" Editions Philippe Rey, 2017, lire ici)
  • 2017 Négar Djavadi, pour "Désorientale" (Liana Levi, 2016, lire ici)
  • 2016 Pascal Manoukian, pour "Les échoués" (Éditions Don Quichotte, 2015, lire ici)
  • 2015 Océane Madelaine, pour "D'argile et de feu" (Les Busclats, 2015, lire ici)
  • 2014 Antoine Wauters, pour "Nos mères" (Verdier, 2014, lire ici)
  • 2013 Hoai Huong Nguyen, pour "L'ombre douce" (Viviane Hamy, 2013)
  • 2012 Virginie Deloffre, pour "Léna" (Albin Michel, 2011)
  • 2011 Nicole Roland, pour "Kosaburo,1945" (Actes Sud, 2011)
  • 2010 Liliana Lazar, pour "Terre des affranchis" (Gaïa Éditions, 2009)
  • 2009 Nicolas Marchal, pour "Les Conquêtes véritables" (Les Éditions namuroises, 2008)
  • 2008 Marc Lepape, pour "Vasilsca" (Éditions Galaade, 2008)
  • 2007 Houda Rouane, pour "Pieds-blancs" (Éditions Philippe Rey, 2006)


vendredi 14 mars 2025

Je me suis bien amusée, poil au nez!

LU & approuvé
 
Drôle et efficace Lili Sohn. (c) Casterman.

Ils s'étaient rappelés à nous lors de la quinzaine dernière, lors de ces chaudes journées de début mars, bien en avance sur le calendrier. Et même si la question n'est plus urgente en cette météo fraîche à nouveau de saison, ils sont revenus dans nos esprit. Qui? Les poils, bien entendu. Ces marronniers du printemps. Avec les questions obligées: les couper, les raser, les épiler ou les laisser? Un sujet qui devait intéresser Lili Sohn, spécialiste des questions difficiles et/ou qui fâchent (lire ici). Elle publie l'efficace et drôle "Nos poils" (Casterman, 248 pages). Une bande dessinée flashy où elle relate de son ton son "année d'exploration du poil féminin".

Passée une intro documentaire, la définition du poil, sa localisation, sa fonction, son vocabulaire, Lili Sohn nous partage de mois en mois ses expériences, ses interrogations, ses expérimentations. Elle sait de quoi elle parle. Elle
s'épile depuis ses douze ans. Systématiquement. Mollets, cuisses, maillot, aisselles, doigts de pied, sourcils, moustache. Avec un rasoir, de la crème dépilatoire ou de la cire. Elle a même pris un abonnement dans une chaîne d'institut de beauté spécialisée en épilation. Depuis ses douze ans, elle se fait mal, vérifie, contrôle, se contraint à la discipline de l'épilation.

Et puis, un jour, elle dit STOP. Elle s'interroge sur les raisons pour lesquelles ce poil est jugé dégoûtant chez les femmes et viril chez les hommes. Pas facile de se libérer de ces habitudes qui sont devenues des contraintes. Comment faire? Comme d'autres? Comme elle? Mais son compagnon, qu'en dit-il? Et ses copines? Et elle-même?

"Nos poils" consigne avec sincérité et humour cette année "poils". Aucun jugement, mais des interrogations et des réflexions complétées de références historiques, d'hier et d'aujourd'hui, et de témoignages. Les propos de Lili Sohn étant portés par des illustrations très réussies, dessins et collages pétillants, drôles et efficaces. On réalise en fin de lecture combien ce sujet qui semble anecdotique est un efficace révélateur d'habitudes ancestrales. A conserver ou à revoir, c'est chacun pour soi. Un album au poil!

"Nos poils" de Lili Sohn. (c) Casterman.


Lili Sohn est en dédicace à la Foire du livre de Bruxelles les vendredi 13, samedi 14 et dimanche 16 mars (ici).