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"Incompiuto" de Roberto Giangrande. (c) Light Motiv. |
Curieux livre au premier abord que le moyen format broché bilingue "Incompiuto" de Roberto Giangrande (Light Motiv/emuse, traduction française par l'auteur et David Galati, 136 pages). Une jaquette en carton mat orange potiron dans laquelle sont découpées des fenêtres en forme de gros saucissons (la simulation des filets de balisage orange des chantiers en réalité). Y apparaissent en tons largement passés la photo de constructions abandonnées. Un titre en italien, incompréhensible pour celui ou celle dont la connaissance de l'italien se limite aux cartes de restaurant.
On pourrait facilement passer à côté de ce livre photographique documentaire et esthétique. Ce serait une grave erreur car il est formidable! Et sa conception originale sobrement mise en pages révèle toute sa raison d'être.
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La photo de couverture. (c) Light Motiv.
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Le photographe s'explique dès le début en introduction: "Le terme "Incompiuto" est utilisé en Italie pour désigner les bâtiments et ouvrages d'art qui n'ont pas été achevés et sont donc inutilisables." On comprend déjà mieux le titre de ce texte, "Le pays volé". Tout au long des pages balisées de couleur orange (couverture, fil de couture du dos, légende des photos et parure typographique), on va découvrir des aéroports, des ponts, des barrages, des routes, des écoles, des hôpitaux, des installations sportives qui ont été construits et n'ont jamais été utilisés pour différentes raisons, chantier trop long, projet devenu obsolète, manque d'autorisation, coût de fonctionnement trop élevés. Très présents dans la moitié sud de l'Italie, ils ont évidemment des liens avec les mafias. Laissés à l'abandon, ils ont été vandalisés. C'est sidérant.
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Un pont construit à 30% en Toscane (2009). (c) Light Motiv.
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Roberto Giangrande a parcouru son pays de long en large et a photographié en lumière blanche ces lieux abandonnés, pays invisible absent des guides, "signe concret et symbole d'une aberration, à la fois esthétique et sociale". Selon un registre officiel, il existerait un millier de travaux publics inachevés en Italie. Entamé pour pointer le gaspillage économique et les dommages environnementaux, le voyage du photographe a glissé vers le témoignage social au fil des rencontres qu'il a faites. Et l'a fait grandement s'interroger sur le futur de ces "verrues dans le paysage".
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Centre pluridisciplinaire en pages 68 et 69. (c) Light Motiv.
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Avec lui, on parcourt la péninsule en des paysages aux ciels gris ou d'un bleu éteint où se dessinent ces constructions de teinte claire. Des tons qui font penser à ceux des anciennes photos Polaroid qui vieillissaient si mal. Un choix tellement symbolique en opposition avec l'Italie des cartes postales. Chaque photo est accompagnée d'une légende en donnant le lieu, la localisation GPS, l'année de début et le pourcentage d'achèvement. Des ponts qui ne mènent à rien, des routes qui s'arrêtent sur le vide, les squelettes d'une gare, d'un planétarium, de bâtiments administratifs, une vertigineuse tour vide, la structure d'un parking, une piscine jamais remplie... Les édifices sont souvent gigantesques, ravageant d'autant plus les paysages ou les environnements citadins. Les sites se suivent, suscitant l'étonnement et l'incompréhension. Chaque page appelle la suivante. Une lecture hautement addictive qui s'achève avec un splendide texte d'analyse et de réflexion de l'écrivain et chroniqueur Roberto Ferrucci alors qu'une carte pointe les lieux photographiés. Quel travail utile, à la fois artistique et journalistique que ce livre! Il offre des heures de lecture riche menant à autant de réflexion et d'interrogation. D'empathie aussi.
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Piscine terminée à 75 %. (c) Light Motiv.
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"Incompiuto" rappellera évidemment à tout Belge d'un certain âge l'émission de télévision de Jean-Claude Defossé "Les grands travaux inutiles" (RTBF, voir
ici et
ici). Une quarantaine de reportages réalisés dans le royaume entre 1986 et 2012.
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