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vendredi 17 octobre 2025

Des natures mortes débordantes de vie

Le jeu commence. (c) l'école des loisirs.

Audrey Poussier travaille depuis longtemps et on s'en réjouit tant son œuvre pour les enfants est de qualité. Ses premiers lecteurs sont aujourd'hui de jeunes adultes. Ils n'ont sûrement pas oublié leurs lectures d'hier, portées par un graphisme de qualité, un ton simple, joyeux, vécu. "Mon pull", "La bagarre", "La piscine", "Le bain d'Abel", les récits avec "Castor-têtu", etc., toutes publiées à l'école des loisirs. Des histoires du quotidien souvent, dont l'auteure-illustratrice française née en 1978 a fait autant d'aventures tendres et drôles. A la tête d'une bibliographie forte d'une quinzaine d'albums en tant qu'illustratrice de textes et d'une vingtaine en solo en vingt ans, Audrey Poussier peut être fière! 
 
Elle peut être encore plus fière de son dernier en date, "Le jeu du plus qu'un jour" (l'école des loisirs, 48 pages), remarquable à tout point de vue. Le texte, simple et évocateur, convoque le réel et à l'imaginaire et touche au cœur. Les illustrations peintes à l'huile sont de toute beauté. Elles débordent de vie même si elles représentant souvent des natures mortes. Le rapport texte-images est excellent. Voilà un album éblouissant qui touche à la grâce. Les enfants d'aujourd'hui ont bien de la chance.
 
Si le titre de ce format quasiment carré peut sembler un peu étrange au premier abord, il s'explique très vite. Et donnera peut-être des idées à ses lecteurs. Deux enfants sont assis dans l'herbe devant une maison bleue, celle de leurs grands-parents (illustration ci-dessus). Ils dialoguent en deux tons:
- Plus qu'un jour... Plus qu'un jour et on s'en va.
- On fait le jeu du plus-qu'un-jour?
Un jeu qui s'explique par lui-même:
- Si on revient l'année prochaine, je dormirai dans la chambre verte.
- Moi dans la violette, celle du coffre à jouets.
En face des textes, la vue colorée des lieux choisis. 
 
Premier échange. (c) l'école des loisirs.

Le dialogue se poursuit au fil des pages, parcourant la maison de pièce en objet, de jouet en vaisselle, d'escalier en chaise. De question en question. Les réponses ne sont pas toujours faciles. D'abord parce qu'elles sont obligatoires, ensuite parce que les choix doivent être différents. Quoique, des exceptions sont permises. On suit le duo, curieux de savoir ce qui sera interrogé ensuite, tout en imaginant ses propres réponses.
 
Ce dialogue à hauteur d'enfant est porté par les superbes natures mortes des sujets évoqués. Réalisées à la peinture à l'huile, elles vibrent ici, brillent là, reflétant une lumière. Disposées selon un rythme agréable de couleurs et de formats, elles créent une ambiance tendre et juste. Elles établissent une belle complicité avec le lecteur qui reconnaît ceci ou découvre cela. Les objets présentés sont souvent un peu rétros, parfois universels comme le verre à moutarde décoré. Que ce soit l'ancienne ferme jouet, la petite chaise ou l'assiette cassée et recollée, le vieil outil ou la perceuse sur batterie, ils tous à haute valeur sentimentale. Et invitent donc à l'échange.
 
 
Comment choisir? (c) l'école des loisirs.

Le dialogue entre la sœur et le frère se poursuit longuement, jamais ennuyeux. Au contraire, on attend avec impatience la question suivante. Les pérégrinations mènent les enfants au jardin, lieu où ils vont réaliser avec simplicité et évidence que le temps passe, que tout ce qui est vivant change tout le temps, même eux. Passé cet instant philo, le jeu reprend avec la certitude alors, et non plus la possibilité initiale,  de revenir l'année suivante. "Le jeu du plus qu'un jour" est un grand album à ne pas manquer.
 
Réalité et imagination. (c) l'école des loisirs.

 
De passage à Bruxelles, Audrey Poussier a généreusement évoqué son travail.
  • Sa manière de faire en général et en particulier pour cet album qu'elle a mis deux ans à finaliser: "J'essaie d'aller du personnel à l'universel. Ma manière de faire des livres est de raconter des histoires qui soient logiques pour moi. Dans le cas de cet album, j'ai mis des choses intimes, personnelles. Mais on n'est pas obligé de tout comprendre. Par exemple, l'arbre vaisseau (illustration ci-dessus). Il y a un petit côté nostalgique mais très vivant. Les objets parlent de la maison des grands-parents, ils appartiennent à des personnes âgées."
  • Son choix de la peinture: "C'est mon deuxième album peint, tous les précédents sont à l'aquarelle. Le premier est "Trois chatons dans la nuit" (même éditeur, 2023). Il y a quatre ans que je peins. Quand j'avais seize ans, je recopiais Van Gogh. J'ai arrêté. Après, j'ai observé et dessiné. Je n'ai pas appris la peinture à l'école. J'ai regardé beaucoup de natures mortes, la quiétude avec laquelle elles ont été faites. J'ai eu envie de faire un imagier en trois dimensions, comme un musée. J'ai mis du temps à faire ces peintures en espérant qu'on passe du temps à les regarder. J'ai créé des atmosphères, on ne fait pas que des couleurs, il y a les contre-jours, les reflets."
  • Les objets: "J'ai eu ici l'opportunité de donner aux enfants des objets à regarder longtemps, comme les natures mortes dans les musées. J'ai fait le choix d'objets qui peuvent parler à des enfants, des objets qui n’ont pas été jetés. Je présente des choses intimes mais que tout le monde voit. Je propose d'entrer dans l'intimité d'objets, de passer du temps avec les objets, de réussir à faire parler les objets chez les lecteurs, qu'ils soient des portes ouvertes vers les lecteurs."
  • La maison: "La maison est un peu ma maison, qui a une histoire. J'ai eu envie de peindre ce que je voyais. Mais pour l'intérieur, j'ai composé. Pépé et Mémé sont la manière dont sont appelés mes parents par mes enfants."
  • Le déclic: "Au départ, j'avais la maison, la fin de l'été et l'idée d'un dialogue. Je voulais que ce soit comme ces catalogues de jouets qu'on regarde et regarde. Mais j'ai exploré plusieurs autres pistes, comme celle des outils. J'ai d'abord fait les peintures des objets, beaucoup d'objets, beaucoup de peintures, puis les autres pages. L'histoire s'est construite petit à petit. Au début, c'était des choses de ma vie, après, cela a été les souvenirs comme un jeu, les portes, les verres... Tout s'est assemblé comme un puzzle."
  • L'aspect philo: "Je voulais aussi aborder le temps qui passe, le vertige du temps dans la logique d'un enfant, et la pousser jusqu'au bout. Que les lecteurs se confrontent au fini et à l'infini."
  • Les natures mortes: "Je voulais que le dialogue entre les enfants permette des échanges et du jeu. J'ai choisi de représenter deux enfants d'âges différents mais proches. Le jeu peut chaque fois reprendre le dessus. La question du début "si?" devient une affirmation à la fin: "quand". La confiance est là."
  • Conclusion? "L'acte créatif est satisfaisant quand on a raconté des choses et qu'on y a mis plus qu'on ne pensait."
La quatrième de couverture. (c) l'école des loisirs.


 
 
 

jeudi 16 octobre 2025

Sept Belges en lice au prix Astrid Lindgren 2026

(c)ALMA.

 
Ils sont sept candidats belges à être sélectionnés pour le prix Astrid Lindgren 2026, l'Astrid Lindgren Memorial Award (ALMA), un de moins que l'an dernier (lire ici).  On retrouve avec joie le nom de l'auteure-illustratrice Anne Brouillard, candidate de la section belge francophone de l'IBBY, sélectionnée chaque année depuis 2020. On découvre avec plaisir les noms de l'auteure-illustratrice Anne Herbauts et de l'auteur et poète Carl Norac, déjà sélectionné l'an dernier. Voilà pour le côté francophone. Du côté néerlandophone apparaissent les noms de l'artiste Gerda Dendooven, une habituée, de l'écrivain Jef Aerts, de l'auteur-illustrateur Leo Timmers et de la merveilleuse association Iedereen leest (tout le monde lit).

Pas mal de changements par rapport à l'an dernier, les noms de Marie Wabbes, Thomas Lavachery, Carll Cneut, Ingrid Godon et Tom Schamp disparaissant de la liste. Pourquoi? On ne sait pas. Les candidats sont présentés par des organisations et des institutions du monde entier Leur liste apparaît sur le site (ici). En ce qui concerne la Belgique:
 
 
En tout, ce sont 263 candidats de 74 pays et régions, dont 78 nouveaux noms,  qui sont sélectionnés pour le prix Astrid Lindgren 2026. Une liste impressionnante qu'on peut consulter ici. On y dénombre 154 auteurs, 101 illustrateur, 56 organismes de promotion de la lecture et 12 conteurs. Patience maintenant, le prix sera annoncé le mardi 14 avril 2026.
 
Un bon tiers de nouveaux noms dans ces 263 candidatures, mais aussi des patronymes qu'il est plaisant de retrouver, tout en notant pas mal de changements par rapport à l'an dernier:
  • les Allemands Axel Scheffler et Nikolaus Heidelbach,
  • l'Australien Oliver Jeffers,
  • le Brésilien Roger Mello,
  • les Britanniques David Almond, Julia Donaldson, Michael Rosen et Quentin Blake,
  • les Canadiens Elise Gravel, Isabelle Arsenault, Jon Klassen et Sydney Smith (prix Andersen 2024, lire ici et ici),
  • la Coréenne Suzy Lee (prix Andersen 2022, lire ici),
  • l'Espagnole Carme Solé Vendrell,
  • l'Estonienne Piret Raud,
  • la Finlandaise Linda Bondestam,
  • les Françaises de Côte d'Ivoire Marguerite Abouet et Véronique Tadjo,
  • les autres Français Flore Vesco, Lucie Félix, Marie Desplechin et Timothée de Fombelle, ainsi que plusieurs organisations de promotion de la lecture, 
  • la Hollandaise Marit Törnqvist,
  • l'Irlandais Chris Haughton,
  • l'Italienne Beatrice Alemagna et l'organisation Silent books Lampedusa,
  • la Norvégienne Mari Kanstad Johnsen,
  • les Polonaises Iwona Chmielewska et Maria Dek,
  • les Suédois Pija Lindenbaum et Sara Lundberg,
  • la Suisse Catherine Louis, Franz Hohler, Vera Eggerman.
 
Le prix Astrid Lindgren a été créé en 2002, l'année du décès d’Astrid Lindgren, par le gouvernement suédois afin de promouvoir le droit de chaque enfant à de belles histoires. Ce prix international est décerné chaque année à une personne ou à une organisation pour sa contribution exceptionnelle à la littérature pour enfants et adolescents. Doté de cinq millions de couronnes suédoises, il s'agit de la récompense la plus importante du genre. 
 
"Je veux écrire pour un lectorat
capable de créer des miracles.
Les enfants créent des miracles lorsqu’ils lisent."
                                                  Astrid Lindgren
                      
 
 
 
 
 

jeudi 9 octobre 2025

Le prix Nobel de littérature 2025 à un Hongrois

(c) Nobel Prize.

C'est l'écrivain Hongrois László Krasznahorkai
qui a reçu le prix Nobel de littérature 2025 (près d'un million d'euros) ce jeudi 9 octobre, "pour son œuvre captivante et visionnaire qui, au milieu de la terreur apocalyptique, réaffirme le pouvoir de l'art", selon le jury de l'académie suédoise.
 
"László Krasznahorkai est un grand écrivain épique de la tradition centre-européenne, qui s'étend de Kafka à Thomas Bernhard, et se caractérise par l'absurde et l'excès grotesque. Mais son arc est plus vaste, et il se tourne également vers l'Orient en adoptant un ton plus contemplatif et finement calibré", détaille le communiqué.
 
László Krasznahorkai, un nom difficile à prononcer pour nos bouches francophones. Ce qui n'a pas empêché l'auteur, âgé aujourd'hui de 71 ans, déjà titulaire du Man Booker Prize 2015, de voir la plupart de ses œuvres traduites en français depuis 2000, toujours par Joëlle Dufeuilly.
 
Bibliographie de ses traductions
Plusieurs existent en format de poche 
  • "Sátántangó" (1985), "Tango de Satan" (premier roman, Gallimard, collection "Du monde entier", 288 pages,  2000); un film en a été tiré.
  • "Az ellenállás melankóliája" (1989), "La Mélancolie de la résistance" (Gallimard, collection "Du monde entier", 396 pages, 2006)
  • "Háború és háború" (1999), "Guerre & Guerre" (roman, Cambourakis, collection "Irodalom", 2013)
  • "Északról hegy, Délről tó, Nyugatról utak, Keletről folyó" (2003), "Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest par les chemins, à l'est par un cours d'eau" (roman, Cambourakis, collection "Irodalom", 192 pages, 2010)
  • "Seiobo járt odalent" (2008), "Seiobo est descendue sur terre" (roman, Cambourakis, collection "Irodalom", 412 pages, 2018)
  • "Az utolsó farkas" (2009), "Le Dernier Loup" (roman, Cambourakis, collection "Irodalom", 80 pages, 2019)
  • "Báró Wenckheim hazatér" (2016), "Le baron Wenckheim est de retour" (roman, Cambourakis, collection "Irodalom", 528 pages, 2023)
  • "Aprómunka egy palotaért" (2018), "Petits travaux pour un palais" (roman, Cambourakis, collection "Irodalom", 90 pages, 2024)
  • "Kegyelmi viszonyok" (1986), "Sous le coup de la grâce: nouvelles de mort" (nouvelles, Éditions Vagabonde, 2015)
  • "Megjött Ézsaiás" (1998), "La Venue d'Isaïe" (nouvelle, prologue à "Guerre & Guerre", Cambourakis, 51 pages, 2013)
  • "A Théseus-általános" (1993), "Thésée universel" (essai, Éditions Vagabonde, avril 2011, 96 pages)

Un écrivain à découvrir quand on voit le sondage sur le site des prix Nobel. Un sondage qui n'a rien de scientifique, on le sait, mais auquel ont répondu des amateurs de littérature, suppose-t-on. A 14h30, 3.612 personnes y ont répondu et 85 % des sondés disent ne rien avoir lu de László Krasznahorkai




 

 

mardi 7 octobre 2025

La Belge Caroline Lamarche toujours en piste pour le prix Goncourt


L'Académie Goncourt vient de communiquer sa deuxième sélection pour son prix qui sera remis le 4 novembre. Gros écrémage, les quinze titres du début (lire ici) sont passés à huit. La Belge Caroline Lamarche s'y trouve toujours avec "Le bel obscur" (Seuil).
 
Prochaine étape: le 28 octobre pour le troisième sélection de quatre titres.
 
Deuxième sélection (par ordre alphabétique) 
  • Nathacha Appanah, "La nuit au cœur" (Gallimard)
  • Emmanuel Carrère, "Kolkhoze" (P.O.L)
  • Paul Gasnier, "La collision" (Gallimard, premier roman)
  • Yanick Lahens, "Passagères de nuit" (Sabine Wespieser)
  • Caroline Lamarche, "Le bel obscur" (Seuil)
  • Charif Majdalani, "Le nom des rois" (Stock)
  • Laurent Mauvignier, "La maison vide" (Minuit)
  • Alfred de Montesquiou, "Le crépuscule des hommes" (Robert Laffont)

Pour lire en ligne le début de "Le bel obscur", c'est ici

 

 

 

vendredi 3 octobre 2025

Quatre Belges en sélection des Pépites du Salon du livre de Montreuil


Avec le début d'octobre reviennent parfois les champignons mais à coup sûr les sélections pour les Pépites du Salon de Montreuil. Soit vingt titres sélectionnés, de vingt maisons d'édition, dans les quatre catégories: livre illustré, fictions juniors et ados, bande dessinée. Un jury d'enfants et d'ados (de 8 à 18 ans) désigne les lauréat·es dans chaque catégorie, tandis qu’un jury de critiques littéraires remet la prestigieuse Pépite d'Or.

Agréable surprise du crû 2025: la présence de deux artistes belges en catégorie bande dessinée et de deux auteurs belges en catégorie Fiction juniors! Clara Lodewick est sélectionnée pour son second album, le très réussi "Moheeb sur le parking" (Dupuis). Max de Radiguès pour "Dix secondes" (Casterman). Vincent Cuvellier apparaît en sélection pour "Les Découvertes vertes d'Anna Zavatian",  illustré par Charline Collette (hélium) et Thomas Lavachery pour son roman "Un démon parmi nous" (l'école des loisirs, Médium). Nous y reviendrons.


Ce jury professionnel est composé de critiques et de libraires, soit cette année Raphaëlle Botte ("Télérama"), Alexis Demeyer (France Inter), Fabienne Jacob ("Livres Hebdo"), Sandrine Mariette ("Elle"), Laurent Marsick (RTL), Cécile Ribault Caillol (France Info), Frédérique Roussel ('Libération'), Sylvie Vassallo (Salon du livre et de la presse jeunesse) et Lauriane Le Dûs (École de la librairie pour Place des libraires).

 

Les vingt livres sélectionnés pour les Pépites 2025

Sélection Livre illustré

  • "Alf et Orel", Jeanne Macaigne (Cambourakis)
  • "Le Bonheur d'un poulon", Paul Vidal (Albin Michel Jeunesse, collection "Ronces")
  • "Pavel et Mousse", Aurore Petit (Les Fourmis rouges)
  • "Rendez-vous de l'autre côté du jour", Thomas Vinau et Charlotte Lemaire (Editions Thierry Magnier)
  • "Vivace", Gabriel Sabourin (La Pastèque)


Sélection Fiction juniors 

 

  • "Les Découvertes vertes d'Anna Zavatian", Vincent Cuvellier et Charline Collette (hélium)
  • "La Jeune Fille au crâne", Benoît Richter (Nathan)
  • "Passage du convoi cette nuit", Anne-Christine Tinel (Koïnè Éditions)
  • "Le Temps du Capitaine Brett", Blexbolex (La Partie)
  • "Un démon parmi nous", Thomas Lavachery (l'école des loisirs, Médium)


Sélection Fiction ados

  • "Les Adelphides", Alice Dozier (Actes Sud jeunesse)
  • "Courir le vaste monde", Alex Cousseau (Rouergue Jeunesse)
  • "Helter Skelter, La Fille du bout du monde", Philippe Lechermeier (Flammarion Jeunesse)
  • "J'ai rien dit", Marcus Malte (Rageot)
  • "La Saison des fleurs", Loly Axmann (Gallimard Jeunesse, Scripto)


Sélection Bande dessinée 

  • "Béril en bataille", Adèle Maury (Sarbacane)
  • "Dix secondes", Max de Radiguès (Casterman)
  • "Moheeb sur le parking", Clara Lodewick (Dupuis, Les Ondes Marcinelle)
  • "Sangliers", Lisa Blumen (L'Employé·e du moi)
  • "Yon", vol. 1, Camille Broutin (Dargaud)

 

Les lauréat·es seront annoncé·es le mercredi 26 novembre, jour d'ouverture du Salon et célébré·es le dimanche 30 novembre.

 

vendredi 26 septembre 2025

Itinéraire d’un père engagé

Première page de "Un père". (c) Casterman.

Personne n'a oublié "Le petit frère", la bande dessinée que JeanLouis Tripp a consacrée il y a trois ans à son petit frère mort à cause d'un chauffard (lire ici). Pendant qu'il la réalisait, sa petite sœur Cécile a admiré la façon dont il dessinait "le regard triste et perdu de Papa". Elle, née trois ans après la mort de Gilles, a ajouté qu'elle avait toujours connu leur père ainsi. Cela a créé un déclic chez le dessinateur français. Il allait faire un album sur lui. Sur cet homme qui n'avait pas été que perdu et triste. "Un père" (Casterman, 360 pages) est un nouvel album introspectif qui touche au cœur et résonne profondément. On y découvre un amour infini même si pas toujours commode, des choix de vie et d'éducation, une époque pas si lointaine en années mais qui paraît tellement dépassée aujourd'hui. Alors que JeanLouisTripp est né en 1958.
 
"Comment je définirais mon père en un seul mot? Complexe", me répond JeanLouisTripp. "Créer ce livre a été intense mais maintenant qu'il est là, je suis tranquille. Le déclencheur a été le commentaire de ma petite sœur. J'ai voulu raconter mon père tel je l'ai eu. J'ai réalisé que j'avais été fils unique pendant quatre ans et demi. Comme mes frères étaient plus petits, jusqu'à mes huit-neuf ans, j'ai été seul avec mon père. Notamment pour aller skier."
 
Quand l'enfant unique perd son statut, moment qui correspond aux tensions extrêmes entre ses parents, il choisit de prendre ses distances. "J'ai peu vécu avec mes frères. À douze ans, je n'étais plus qu'à mi-temps à la maison. À quatorze ans, c'était mon départ définitif."
 
Tripp raconte cette famille, la sienne, très engagée à gauche. "Les souvenirs étaient là", dit-il. "Je n'ai pas fait appel à ma mère contrairement à ce que j'avais fait pour "Petit frère". J'y ai fait une sélection de qui faisait sens pour moi: ma relation avec mon père. J'ai découvert que j'avais une bonne mémoire en faisant ces deux livres. Je me connecte aux émotions que j'ai eues en vivant telle ou telle chose. J'espère qu'en partageant ces émotions, le lecteur puisse se les approprier, s'identifier, résonner. Je pense que les choses plus personnelles ont une résonance universelle. Que ce soit la sexualité, le deuil, le frère, présent ou absent, le père."

L'auteur a raison. Les pages d'"Un père" amènent à se questionner sur sa propre vie. Il y a des similitudes, des discordances, des espoirs, des regrets. Des interrogations et des réflexions. Lui a vécu avec son père dans un monde différent. "Le monde a changé. La vision qu'on avait avant de l'avenir a été bouleversée. Mon père était persuadé que le communisme utopique, ce joyeux optimisme, allait gagner. Aujourd'hui, le point positif est le mouvement metoo. Dans un prochain album, je montrerai que je viens d'une autre époque et comment je me suis adapté. J'ai été préparé par mon enfance, avec des parents féministes pour leur temps. Mon grand-père maternel voulait que ses filles soient autonomes. Même s'il a obligé ma mère à être institutrice. Ma mère m’a appris à être autonome, à ne pas attendre d'une femme qu'elle fasse les tâches de la maison. Je n'ai jamais attendu quelqu'un me fasse un repas."
 
Hommage autant que témoignage filial, l'album "est un livre de transmission. Mes valeurs viennent de mes parents qui étaient de gauche et humanistes. Mon père m'a initié au bricolage même s'il ressemblait alors parfois à Jacques Tati. Mon frère et moi n'avons pas vécu la même chose. Mais nous avons bénéficié d'une liberté extraordinaire. Les parents ne s'occupaient pas de nous. Ils avaient confiance en nous. Prenons la scène du bivouac dans la montagne avec mon cousin. Elle m'a été un moment fondateur de l'estime de soi: j'ai douze ans et je suis capable de faire ça! Cela a été comme un rite initiatique. Aujourd'hui, il n'y a plus de rite de passage dans nos sociétés."
 
Plein d'anecdotes dont certaines sont très drôles, "Un père" fait le portrait d'une époque, à la fois dans le côté visuel qui fera tilt dans la mémoire de tous ceux qui ne sont plus tout jeunes, dans les rapports parents-enfants, dans la géopolitique de l'autre côté du rideau de fer. "Tous ces souvenirs montrent la richesse de l'expérience que nous avons vécue avec mon père. Nous avons été à  Oradour-sur-Glane, à Dachau, à Check-Point Charlie. On est né treize ans après la guerre. On a aussi fait les châteaux de la Loire, on a visité des ruines romaines. On a écumé la France."
 
Aussi créé sur un iPad, l'album fait écho au "Petit frère": "J'ai utilisé la même couleur sépia mais, cette fois-ci, le papier est blanc. Il y a un film jaune ou bleu pour donner une lumière passée et ensoleillée. Il y a davantage de couleur ici. La couleur est narrative, ce n'est pas du coloriage. Pour moi, à chaque endroit, la couleur dit quelque chose." Lisez ce "Père", témoignage d'engagements.


JeanLouis Tripp sera en dédicace au BD Comic Strip Festival de Bruxelles (Gare Maritime), au stand Casterman, ce vendredi 26 septembre de 13 à 15 heures et le samedi 27 septembre de 14 à 16 heures.
 

Pour feuilleter en ligne les premières pages de "Un père", c'est ici.
 

(c) Casterman.

 

Diane Arbus, la photographe des invisibles

Des scènes oniriques complètent le propos. (c) Casterman.
 
Les jumelles de Diane Arbus.
Pensez à Diane Arbus et arrive illico dans la tête sa photo des petites jumelles du New Jersey prise en 1967. Parfois une image de la photographe au Rolleyflex. Pour le reste, pas grand-chose. Bien sûr, l'artiste américaine est née il y a plus de cent ans, le 14 mars 1923 à New York. Et elle a disparu il y a plus de cinquante ans, le 26 juillet 1971 à Greenwich Village. Elle avait quarante-huit ans quand elle s'est suicidée, vaincue par sa santé mentale devenue chancelante. Elle laisse une œuvre magistrale, davantage appréciée des spécialistes alors qu'elle mérite d'être connue de tous. Pourquoi? Sans doute parce que Diane Arbus une femme qui ne marchait pas dans les clous de son époque. Ni dans sa vie professionnelle où elle a quitté la photo de mode pour se consacrer aux invisibles dont elle faisait ressortit l'humanité, ni dans sa vie personnelle où ses amours furent compliquées. Combien de ses modèles n'ont-ils pas eu une vraie relation d'amitié avec elle?
 
On découvre tout cela dans la magnifique bande dessinée biographique d'Aurélie Wilmet, "Diane Arbus - Photographier les invisibles" (Casterman, 216 pages). Un épais grand format cartonné et toilé en boucle dont chaque page est de toute beauté. Des vagues de bleus et de mauves sur un doux papier crème portent ce destin conté en cases non bordées aux coins arrondis sauf pour les dessins sur une page. Des images tout en douceur, qui se juxtaposent ou se superposent et racontent une vie et des choix au moins autant que les mots, discrètement posés.   
 
 
L'humanité de la photographe new-yorkaise. (c) Casterman.

Dix questions à Aurélie Wilmet

Comment vous êtes-vous intéressée à Diane Arbus?
Quand j'ai découvert son travail, j'ai tout de suite voulu faire quelque chose sur elle. Comprendre qui est Diane Arbus derrière ses photos. J'ai commencé par rassembler de la documentation. J'ai lu beaucoup de livres qui avaient plongé dans sa vie, avec des interviews, de son enfance à sa mort. J'ai lu ce qu'a écrit sa famille, des lettres. J'ai lu tout cela pour entrer dans sa tête. Hélas, pas son journal intime qui a été donné au MET de New York. Comme l'archivage n’est pas encore terminé, il n'est pas encore disponible pour le public. 
Est-ce un album ou une bande dessinée?
C'est la forme de l'un, le référencement de l'autre.
Comment êtes-vous arrivée chez Casterman avec cette biographie de Diane Arbus?
C'est mon premier album chez un grand éditeur. L'éditrice Nathalie Van Campenhoudt a pris contact avec moi via Instagram. 
Le bleu est omniprésent.
C'est ma couleur historique, j'aime beaucoup l'utiliser dans mes illustrations. Elle va bien avec les photos en noir et blanc. J'y ai ajouté du mauve pour les passages plus oniriques. Mais elle est difficile à retranscrire à l’impression. Le livre est imprimé en trois pantones, bleu, mauve et noir.

Quelle technique avez-vous utilisée?
Ce sont des crayons de couleur et des marqueurs. J'ai choisi des bleus qui fonctionnent bien ensemble même s'ils sont de marques différentes. J'achète ce dont j'ai besoin pour la bande dessinée au début de mon travail.
Comment s'est passée la réalisation de l'album?
L'album est venu assez facilement. J'ai écrit le scénario, en choisissant les sujets à aborder et le fil du rêve. Puis, j'ai divisé le scénario en scènes. Diane Arbus est très inspirante. Elle s'est permis de faire ce qu'elle voulait en tant qu'artiste et en tant que femme. Elle a eu à la fois le courage de faire des photos qui étaient un travail précurseur et en tant que femme dans les années 50-60. 
Le livre témoigne d'une manière lente.
J'aime bien ce côté contemplatif. La lenteur me va très bien pour arriver à la fin. Cela permet de comprendre tous les stades par lesquels passe Diane Arbus. De comprendre l'artiste. De comprendre son travail photo qui évolue tout au long de sa vie. De suivre aussi le personnage intérieurement, d'avoir le temps de rentrer dans sa tête.
Qu'avez-vous découvert d'elle?
Diane Arbus était maniaco-dépressive, comme on disait à l'époque. Elle était une petite fille riche. Mais il est important de ne pas l'associer à sa famille dont elle a toujours voulu se différencier. Je lui mets un Rolleyflex dans les mains du début à la fin parce que je voulais rester sur le même appareil photo. Elle a voyagé à Paris pour des photos de mode, pour des magazines, mais c'était trop lisse pour elle.
Que lui diriez-vous si vous la rencontriez maintenant?
Si je la croisais, j'aurais envie de la remercier. Elle m'a apporté une autre vision de la photo. Elle m'a donné l'image photographique. Elle m'a inspirée pour ma bande dessinée, me montrant qu'il y a plus à faire que la simple photo documentaire.
Des projets?
Mon prochain livre est un livre jeunesse pour Cotcotcot éditions, "Ramson & Aki", qui sortira en mars 2026.
 
 
Aurélie Wilmet sera en dédicace au BD Comic Strip festival de Bruxelles (Gare Maritime), au stand Casterman ce vendredi 26 septembre de 13 à 15 heures et le samedi 27 septembre de 14 à 16 heures.
 
 
L'amour. (c) Casterman.


 Pour feuilleter en ligne les premières pages de "Diane Arbus", c'est ici.
 
 

jeudi 25 septembre 2025

Un Salon jeunesse sous le signe de l'empathie

(c) Pauline Barzilaï.

Pour sa quarante-et-unième édition, le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-saint-Denis, historiquement abrégé en Salon de Montreuil, a choisi comme thème "L'Art de l'autre". L'empathie sous toutes ses coutures. Qui est l'autre? Comment s'intéresser à lui, se mettre à sa place, essayer de le comprendre? Comment et aussi pourquoi? Un thème bien à-propos dans l'actualité qui fait tout le contraire. Aux échelles nationales comme internationales.

Un thème mis à l'honneur par l'(é)mouvante image de Pauline Barzilaï, où tout s’imagine hors-champ… À hauteur de pieds, de peaux, de livres qu'on lit à plusieurs ou chacun dans son coin, pour mieux se comprendre et mieux être ensemble.

Rappelons que Pauline Barzilaï est l'auteure de plusieurs albums pour enfants: "Avez-vous déjà entendu un cheval chanter?" (La Partie, 2025), "Rien à faire, on s'embrouille" (texte d'Edith Azam, Le port a jauni, 2024), "Maddi dans la grotte" (MeMo, 2022).


Rendez-vous du 26 novembre au 1er décembre à Montreuil.


lundi 22 septembre 2025

Le prix du roman Fnac à l'Irlandais John Boyne

John Boyne. (c) Rich Gilligan.
  
 
Le nom de John Boyne, lauréat 2025 du prix du roman Fnac pour son roman "Les éléments" (traduit de l'anglais (Irlande) par Sophie Aslanides, sa traductrice attitrée en littérature générale), JC Lattès) n'est pas inconnu du public qui s'intéresse à la littérature pour adolescents.
 
L'écrivain irlandais aujourd'hui primé chez les adultes est en effet l'auteur du roman (dès 12 ans) "Le garçon en pyjama rayé (traduit de l'anglais par Catherine Gibert, sa traductrice attitrée en littérature ado, Gallimard Jeunesse, 2007), qui a été traduit en quarante mangues et s'est vendu à plus de six millions d'exemplaires dans le monde. 
 
 Son roman adulte "Les Fureurs invisibles du cœur" (traduit de l'anglais par Sophie Aslanides, 2018), l'a imposé sur la scène littéraire française. Ce roman social tourne autour de la vie de Cyril, qui lutte avec sa sexualité, et aborde un large éventail de préjugés et d'intolérance dans l'Irlande des 70 dernières années.

Dans "Les éléments", John Boyne, né le 30 avril 1971 à Dublin, explore, à travers quatre récits entremêlés, les forces invisibles qui façonnent les vies et interroge notre rapport à la culpabilité et à l'innocence, aux blessures et à la résilience. On va suivre une mère en fuite qui se confronte à son passé, un jeune prodige du football jugé pour ses actes, une célèbre chirurgienne hantée par d'anciens traumatismes et, un père en voyage initiatique avec son fils. Une formidable fresque où, de sa prose limpide et envoûtante, Boyne sonde les éléments — l'eau, la terre, le feu, l'air — et les êtres humains pour en révéler les contradictions et les fragilités.

Les quatre autres romans finalistes étaient:
  • "Quitter la vallée", de Renaud de Chaumaray (Gallimard)
  • "Je voulais vivre", d'Adélaïde de Clermont-Tonnerre (Grasset)
  • "Nourrices", de Séverine Cressan (Dalva)
  • "Les promesses orphelines", de Gilles Marchand (Aux forges de Vulcain)
 
Il est assez rare que le prix du Roman Fnac, décerné par un jury composé de 400 libraires Fnac et de 400 adhérents, soit attribué à un auteur étranger. La fois précédente est le prix 2020, qui est allé à l'Américaine Tiffany McDaniel, née en 1985, pour "Betty" (traduit de l'américain par François Happe, Gallmeister, 2020). 
 
 

vendredi 19 septembre 2025

Des auteurs jeunesse se mobilisent pour les enfants de Gaza

Dessin de Thierry Bouüaert.


EDIT 20/09/25
Mise en ligne de la tribune française (lire ci-dessous). 
  
Toute personne qui a un peu approché la littérature de jeunesse ces quinze dernières années connaît Chris Haughton. Peut-être pas le nom de l'auteur-illustrateur britannique mais ses albums, identifiables au premier coup d'œil. Format carré, couverture colorée, graphisme joyeux, personnages bien campés, excellent rapport texte-images. Les enfants les adorent et les adultes aiment les leur lire."Un peu perdu", "Oh non, George!",  "Bonne nuit, tout le monde", "Pas de panique, petit crabe", "Bravo, maman manchot!", "Et si?" et "Chut! On a un plan" sont tous disponibles en français aux éditions Thierry Magnier.
 
Les albums de Chris Haughton sont publiés en français aux éditions Thierry Magnier.
On retrouve sa chouette sur l'affiche "I oppose genocide".
 
L'art n'empêche pas l'attention au monde, et surtout aux dangers auxquels il expose les enfants. Particulièrement à Gaza actuellement. C'est la raison pour laquelle l'artiste Chris Haughton et son compère Joseph Nhan-O'Reilly, président de Advocates for Afghan Education, ont lancé en Grande-Bretagne une "Déclaration des auteurs, illustrateurs et éducateurs pour enfants sur la Palestine" (Statement on Palestine), adressée au gouvernement. Elle est en ligne ici et toujours ouverte à signature. 
 
 On y lit :
"Nous sommes indignés par l'assassinat de plus de 19.000 enfants à Gaza, par les milliers d'autres blessés et orphelins, ainsi que par la famine et la crise humanitaire qu'Israël leur inflige.
Nous nous sentons obligés de prendre leur défense.

Nous sommes horrifiés par l'incapacité persistante de la communauté internationale à mettre un terme au génocide et à demander des comptes à ses auteurs.

(…) Nous ne pouvons rester silencieux alors que des enfants sont tués, affamés et privés du droit de grandir en sécurité et en paix : leur vie, leur histoire et leur avenir comptent. Notre engagement envers eux nous pousse à nous exprimer, et nous continuerons à le faire jusqu'à ce que chaque enfant du monde puisse vivre en sécurité et dans la dignité."

Le texte britannique appelle aussi à revenir sur l'interdiction du groupe d'action directe non violent, Palestine Action, jugé "terroriste" et s'inquiète de la limitation de la liberté d'expression.

Il a été signé par plus de 500 personnes au Royaume-Uni, dont des éminences de la littérature de jeunesse, bien connues du public francophone. Sir Michael Morpurgo, Michal Rosen, Lauren Child, Chris Riddell, Anne Fine, Benjamin Phillips, Benji Davies, Daisy Hirst, Elise Gravel, Emily Gravett, Emma Chichester Clark, Jo Weaver, Pam Dix, Sergio Rozzier, pour ne citer qu'eux.
 
Plusieurs illustrateurs jeunesse ont signé le "Statement on Palestine".

 
Les dessins de la déclaration sont dus à Reem Madooh, une illustratrice koweïtienne qui puise son inspiration dans la nature, les paysages et les moments du quotidien koweïtien.

 
 
 

C'est le bébé chouette de "Un peu perdu", le premier titre de Chris Haughton, sorti en anglais et en français en 2011, que l'artiste a choisi pour son affiche "I oppose genocide". Une affiche qu'il brandit lors des manifestations dénonçant le génocide en cours à Gaza auxquelles il participe régulièrement. Où il est régulièrement arrêté. Ce qui lui permet de raconter cette anecdote. 

"5 septembre 
Demain je serai probablement arrêté pour avoir tenu ce panneau. J'y serai avec d'autres illustrateurs et amis sur la place du Parlement à partir de 12h50. À 13 heures, quand Big Ben sonnera, nous terminerons nos panneaux. Quand le mot "Action" est écrit après celui de Palestine, le détenteur du panneau peut être accusé de terrorisme.

Ce gouvernement britannique est complice de génocide. Le droit international, auquel le Royaume-Uni a signé, exige que le gouvernement mette fin à tout commerce militaire et à toute coopération avec Israël. Des centaines de milliers de gens britanniques marchent presque chaque semaine depuis deux ans pour exiger cela. Perversement, plutôt que de respecter ses obligations légales, le gouvernement a fait le contraire. Il a poursuivi les ventes d'armes et emprisonné ceux qui ont essayé de les arrêter. Il a déclaré que le groupe d'action directe non violent "Palestine Action" était des terroristes et a fait une descente chez eux et emprisonné ses dirigeants. (…)

Le génocide est un massacre, on l'appelle le crime des crimes. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l'arrêter. Que ce soit légal ou "illégal", cela ne devrait pas faire de différence. Il est de notre devoir de ne jamais nous conformer à un gouvernement qui commet un génocide. C'est pourquoi tant de gens vont venir demain. 1.500 se sont engagés à se faire arrêter. Ce sera le plus grand acte de désobéissance civile de l'histoire britannique. (…) 

9 septembre
J'ai encore été arrêté samedi. Il y avait tellement de monde cette fois-ci qu'il a fallu près de huit heures avant que je sois emmené. J'ai été arrêté à 20h30 et j'ai été libéré vers 2 heures du matin. Je cachais mon nom et mon adresse pour que cela retarde le processus et obstrue le système, mais je suis tombé sur un officier qui m'avait déjà arrêté. Il m'a dit
"Eh bien, bonjour Mr Haughton" et j'ai été libéré sous caution immédiate. Quand je suis sorti, j'ai rencontré un autre manifestant qui avait fait tout le chemin depuis Bristol pour en être. Il était un peu coincé car il n'y aurait pas de train avant le lendemain matin. Certaines personnes peuvent hésiter à inviter un terroriste présumé que vous n'avez jamais rencontré auparavant à venir chez vous, mais il m'a semblé plutôt gentil. Il s'est avéré qu'il avait de jeunes enfants et pouvait réciter les phrases entières de "Oh non, George !" On a pris une photo pour son fils.

Je suis très reconnaissant de faire ça. Je ressens tellement de chagrin et de colère face à ce qui se passe à Gaza. C'est tellement bon d'être entouré de gens qui s'en soucient profondément. En somme, nous avons passé une agréable après-midi assis sur l'herbe à partager de la nourriture, à discuter avec des amis et à rencontrer de nouvelles personnes adorables. Il y a eu des moments d'émotion, des rappels de ce qui se passait à Gaza, mais aussi une ambiance de carnaval (…) C'était un peu comme des chaises musicales parce que toutes les x minutes, une personne se faisait emmener par la police."

En France aussi 
 
Un dessin de Beatrice Alemagna,
créé en soutien à la Global Sumud Flotilla.

Cet appel de plus de 500 personnes en Grande-Bretagne a trouvé écho en France où une démarche analogue est en phase finale. Le texte anglais a été repris et adapté au contexte français, mentionnant notamment la dissolution de Urgence Palestine ou les poursuites à l'encontre de l'Union Juive pour la Paix. Il invite les professionel·les du livre jeunesse et de l'éducation en France à signer une déclaration collective exprimant l'indignation, notamment face à ce que subissent les enfants à Gaza et à la répression des manifestations de solidarité. Les signataires précisent que la tribune a été rédigée avant l'entrée des chars israéliens dans la ville de Gaza le 18 septembre. 

Trois cents personnes du monde de la littérature de jeunesse ont déjà signé la tribune qui, parue sur le site Actualitté (lire ici), est portée par un site et continuera d'être ouverte à signatures (ici). Parmi elles, Claude Ponti, Marie-Aude Murail, Marie Desplechin, François Place, Anouk Ricard, Anne-Laure Bondoux, Serge Bloch, Grégoire Solotareff, Eric Pessan, Flore Vesco, Beatrice Alemagna, Emmanuelle Houdart, Benjamin Chaud, Marguerite Abouet, Ilya Green, Praline Gay-Para. On trouve des Belges et des Suisses dans les signataires.

L'Italie participe également au mouvement (lire ici).

Et la Belgique? Il y a eu l'hommage aux journalistes palestiniens assassinés à Gaza, organisé par des fédérations professionnelles (lire ici). Il y a eu la lecture des noms des 18.700 enfants assassinés à Gaza à l'initiative du cinéaste Thierry Michel (lire ici). Y aura-t-il un appel des professionnels du livre jeunesse belge à dénoncer le génocide en cours à Gaza et, peut-être, à appeler à la paix, ce mot qui semble avoir disparu?


jeudi 18 septembre 2025

"Marginales", saison 4


Il y a trois ans, Vincent Engel
annonçait le nouveau départ de la revue "Marginales" après une pause de deux ans (lire ici) et l'ouvrait à la Francophonie et aux contributions graphiques. Toujours avec comme thème fondateur "La fiction pour dire le monde". 
 
On a eu depuis:
  • Numéro 307    Balance ton peuple (automne 2022)
  • Numéro 308    La loi phallique est dure (printemps 2023)
  • Numéro 309    Qatarsis et Qatarstrophe sont dans un bateau (été 2023)
  • Numéro 310    Mon chat, GPT… (automne 2023)
  • Numéro 311    Putaclic ou foules sentimentales (été 2024)
  • Numéro 312    Nos ancêtres, les Gaulois (hiver 2024)
  • Numéro 313    E-pui-sés!? (78 contributions, été 2025)
On le voit, les trois numéros en ligne annuels, accessibles gratuitement, sont devenus deux, complétés chaque fois d'un numéro papier ou PDF, payant, reprenant les meilleures contributions de l'année (Ker Editions). Le numéro 314 aura pour thème MAGAaargh!
 
La revue était soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce n'est plus le cas. Mais il en faut davantage pour décourager Vincent Engel. Il va intégrer "Marginales" dans sa maison d'édition, Edern Éditions. Il s'en explique:
"La Commission des lettres, qui statue sur les demandes de subsides, a décidé de ne pas reconduire le subside dont bénéficie "Marginales" depuis très longtemps. Il faudra un jour que l'on m'explique pourquoi elle acceptait de financer une revue papier dont le nombre de contributeurs, strictement belgo-belges, ne dépassait guère celui des abonnés, revue que l'on trouvait difficilement en librairie et qui ne se vendait pas à plus de 50 exemplaires. Mais ne perdons pas de temps en vaines cogitations. La Commission estime que 180 contributeurs et contributrices venus du monde entier ne peuvent pas faire mieux, c'est son problème. Pas le nôtre.

Parce que Marginales va poursuivre son chemin et même l'amplifier!

Jusqu'à présent, héritage du passé, elle existait sous l'égide de mon excellent ami Xavier Vanvaerenbergh, directeur des éditions Ker. La disparition du subside – qui était lié à Xavier – a conduit logiquement celui-ci à entériner ce qui était déjà une réalité, à savoir que, mis à part la fabrication et l'impression du numéro annuel dont Xavier se chargeait avec talent et qui étaient rendus possibles grâce au subside, cette revue était gérée entièrement par votre serviteur. 

"Marginales" intègre donc le giron d'Edern Éditions, et Xavier restera un compagnon de route; je profite de cette opportunité pour lui adresser tous mes remerciements car, sans lui, sans son professionnalisme et son sang froid, "Marginales" aurait cessé d'exister bien avant la disparition de Jacques De Decker.

Concrètement, rien ne changera, sinon en mieux. L'appel est toujours lancé, et l'objectif de dire le réel (et de dénoncer ses travers de plus en plus nombreux) par la fiction reste notre mot d'ordre.

Nous allons "profiter" de cet épisode pour lancer une refonte en profondeur du site, afin de le rendre encore plus agréable à lire, mais aussi pour en faire l'outil de création de la revue, de la soumission des contributions à leur validation et à leur mise en ligne.

Ce travail prendra un peu de temps. C'est pourquoi j'ai décidé de reporter la parution du prochain numéro au printemps 2026. Nous n'avons plus de compte à rendre à personne, profitons-en pour assurer la qualité de cette nouvelle évolution.

Je vous tiendrai au courant, évidemment. Dans l'attente, je vous demande instamment de n'envoyer aucune contribution par email. Vous serez informés de la procédure et de la nouvelle date limite dès que possible. Cette procédure consistera dans un premier temps à devenir membre du site (c'est gratuit, je vous rassure), pour pouvoir suivre de votre côté les principales étapes, de la soumission à la mise en ligne.

"Marginales" reste plus vivante et gratuite que jamais. Le numéro annuel sera réalisé et distribué par Edern Éditions. Bien sûr, les abonnements de soutien sont bienvenus pour nous permettre de financer les frais inévitables, dont ceux nécessaires pour l'évolution du site et de la plateforme de gestion; mais c'est un combat par la littérature qui ne peut pas s'éteindre. 

J'en profite pour vous rappeler l'appel à soutenir Pen Belgique francophone et à vous y affilier éventuellement (vous pouvez apporter votre soutien sans vous affilier).
 
Enfin, si "Marginales" existe, c'est d'abord grâce à vous; soyez-en chaudement remerciés! Je vous attends pour le prochain numéro, 

Amicalement" 

Nous aussi, on attend ce numéro, entre nouvelles et contributions graphiques.