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jeudi 27 novembre 2025

Vive la pédagogie active!

En novembre 2022, trois classes d'élèves de terminale du Lycée Intégral Roger Lallemand (LIRL) de Bruxelles ont eu l'occasion de s'entretenir avec Angela Davis. Une jeune école, elle a été créée en 2017, pratiquant la pédagogie active (1), c'est-à-dire que les élèves participent activement à leurs apprentissages. Ils avaient ainsi choisi Angela Davis comme personnalité marquante de la seconde moitié du XXe siècle. L'étude de sa biographie leur a permis de travailler sur plusieurs thèmes, la ségrégation, le féminisme, le maccarthysme entre autres, de s'interroger sur son engagement politique et sa pratique. Une excellente préparation qui a permis un très bel entretien retranscrit dans le petit opus "L'espoir est une discipline, Entretien entre Angela Davis et les élèves du LIRL" (Aden , 64 pages). La phrase du titre est due à Mariame Kaba.
 
Les questions des élèves qui ont en général 17 ans sont très bien préparées. Et les réponses d'Angela Davis percutantes, qu'elle donne son opinion sur les thématiques actuelles, explique ce qu'elle fait actuellement ou offre des conseils à le jeunesse. La retranscription de cet entretien peu commun est complétée des textes de trois conférences données par Angela Davis aux Etats-Unis. La première (1985) traite de la violence contre les femmes et du racisme, la deuxième (2008) de la liberté, la troisième (2009) des populations autochtones.
 
Une lecture éclairante sur la nécessité de lier les différentes luttes. 



 
(1) On ne sait pas assez que l'enseignement fondamental en Belgique a failli être totalement en pédagogie active, à l’initiative du ministre François Bovesse (1890 -1944). Ministre de l'Instruction, des Arts et des Lettres en 1935, il lança notamment une réforme scolaire prônant dans le fondamental l'apprentissage in situ - comme le préconisait le Dr Decroly. Devenu gouverneur de la province de Namur en 1937, il fut révoqué par les Allemands en 1940 et arrêté en 1941. Il fut finalement assassiné chez lui en 1944 par les rexistes. Sa disparition entraîna la disparition de ce projet scolaire novateur.

mercredi 26 novembre 2025

Une Bruxelloise Pépite d'or au Salon de Montreuil

Les Pépites 2025. (c) SLPJ.

Quatre Belges figuraient en sélection des Pépites du Salon du livre de Montreuil (lire ici). C'est finalement une Bruxelloise d'adoption, la Française Adèle Maury qui remporte le gros lot, la Pépite d'Or qui lui est attribuée par un jury de professionnels pour sa bande dessinée, "Béril en bataille" (Sarbacane). Les autres Pépites ont été attribuées par un jury 100% enfants et ados (de 8 à 18 ans) à quatre ouvrages dans les catégories fiction juniors, fiction ados, livre illustré, bande dessinée. Sur cinq livres primés, deux sont des bandes dessinées, deux des romans, et un seul un album, destiné aux plus jeunes. Cela va-t-il inoculer le virus de la lecture aux enfants?
 
Diverses rencontres avec les Pépites sont organisées au Salon les samedi 29 novembre, dimanche 30 novembre et lundi 1er décembre (programme ici). Pour rappel, même si l'accès au Salon est gratuit, il faut  télécharger un billet et le présenter obligatoirement à l'entrée (billetterie en ligne ici).
 
Palmarès


Pépite d'or

 
Béril en bataille
Adèle Maury
Sarbacane
192 pages
en librairie depuis le 1er octobre

Béril est né dans une campagne vide d'hommes et d'enfants. Quand son père, berger, emmène ses chèvres paître sur les collines voisines, le petit garçon va jouer avec ses amis, Coltaire le lièvre, et Anour la coccinelle, avec qui lui seul a le pouvoir de communiquer. Il se rend vite compte que les bêtes vieillissent plus vite que lui et que leur espérance de vie est plus courte que la sienne. Alors, arrivé à l'âge qu'on dit adulte, le deuil et la solitude lui font perdre toute aptitude à parler avec les animaux. Sans repère et curieux du monde des humains et des villes auquel il n'a jamais vraiment eu accès, Béril devra trouver sa voie: reprendre la ferme familiale ou voler de ses propres ailes. À partir de 12 ans.
 

Pépite livre illustré

Pavel et Mousse
Aurore Petit
Les fourmis rouges
208 pages
en librairie depuis le 21 novembre
 
Un très épais petit format presque carré, tout juste paru, qui nous conte par le menu la vie de Pavel, un lapin solitaire jusqu'au jour où il découvre au cours d'une chasse aux fruits rouges en forêt une petite chose braillante dans la forêt. De quoi s'agit-il? Ses voisins lapins à la logique famille nombreuse lui donnent la réponse: c'est un bébé. Un bébé qui mange, qui dort, qui fait pipi et caca, qui se lave... Mousse, du nom où il a été trouvé (comme j'ai un jour baptisé un chaton Rhubarbe au même motif) chamboule la vie de Pavel.
 
De chapitre en chapitre, on les voit évoluer. Le lapin devient responsable, le bébé grandit et s'avère être un panda. Mais un panda qui a grandi entre des lapins et a joué avec ses innombrables voisins dont la petite Bénédicte est-il un panda? Aurore Petit aborde avec beaucoup de délicatesse les questions de l'adoption, de la parentalité et de la construction de l'identité. Son dessin d'apparence simple est d'une richesse infinie car tout y est signe ou indication. A chacun d'y prendre ce qu'il y repère. Tendresse et humour rivalisent dans ce splendide album réalisé avec soin: l'alternance des illustrations sur simple et double page, le changement de couleur d'encre du texte à chaque chapitre, le rythme de ceux-ci, le signet soyeux pour marquer la lecture ou une page appréciée. Un petit bijou de livre sur l'amour qui naît, grandit et ravit.
 
Les premières pages.
 







"Pavel et Mousse". (c) Les fourmis rouges.



Pépite fiction juniors

La jeune fille au crâne
Benoît Richter
Nathan
256 pages
en librairie depuis le 9 janvier
 
Lors de vacances en Alsace, Lucie découvre un crâne mystérieux dans un ossuaire. De retour chez elle pour sa rentrée en sixième, ce crâne posé sur sa table de chevet se met à lui parler, bouleversant son quotidien. À partir de 10 ans
 
 

Pépite fiction ados

Courir le vaste monde
Alex Cousseau
Rouergue, collection "Doado"
448 pages
en librairie depuis le 5 mars 

XVIIIe siècle, au cœur du pays Pagan, le destin attend Lison et Eliaz. Couturière à Brest, elle? Et lui, l'aventure car il est marin? Non. Lison va tracer sa route dans ce monde d'hommes pour les hommes. Elle sera passagère clandestine, exploratrice, amoureuse. Elle raconte la beauté de son existence. À partir de 15 ans
 


Pépite bande dessinée

Sangliers

Lisa Blumen
L'Employé Du Moi
208 pages
en librairie depuis le 23 mai

Nina est maquilleuse professionnelle, mais surtout influenceuse beauté qui crée des tutos pour les réseaux sociaux. Productive donc, obligatoirement, seule en conséquence. Son exposition médiatique ne lui apporte que désillusion et elle est victime de harcèlement. Son agent lui met la pression, sa famille ne la comprend pas, un partenariat commercial menace son éthique et un inconnu rôde autour de chez elle... À partir de 12 ans.
 
 
 
"Pavel et Mousse", Pépite livre illustré. (c) Les fourmis rouges.
 
 
 

mardi 25 novembre 2025

Trois amis au paradis des illustrateurs

Les trois amis de Helme Heine.

En quelques semaines
se sont éteints les magnifiques auteurs-illustrateurs jeunesse Helme Heine, Jutta Bauer et Harrie Geelen. Des bibliographies superbes dont peu de titres sont encore réédités aujourd'hui. Hélas. 
 
Helme Heine et ses délicates aquarelles, oscillant entre tendresse et humour. Helme Heine, l'auteur-illustrateur allemand voyageur. Il naît le 4 avril 1941 à Berlin, y fait ses études, déménage en Afrique du Sud de 1966 à 1977 où il est metteur en scène, décorateur, comédien, animateur d'un cabaret politico-littéraire et corédacteur d'un journal satirique. C'est là qu'il publie son premier album pour enfants, "Elefanteneinmaleins" ("Un éléphant ça compte énormément", Gallimard, 1981) qui remporte un grand succès. Il revient en Allemagne en 1977 et se consacre à la littérature de jeunesse. Il publiera une trentaine d'albums, qui seront traduits en 35 langues dont le français, recevront de nombreux prix (tirage mondial d'environ 25 millions d'exemplaires). En 1990, il part pour l'Irlande, puis la Nouvelle-Zélande, où il s'est installé avec son épouse, Gisela von Radowitz et où il est décédé le 20 novembre 2025. Il avait 84 ans.
 
Son site internet annonce son décès. En voici la traduction.  
"Bonjour les amis,

Je suis assis dans mon jardin et je fais mes adieux.
Un peu chancelant, un peu fatigué, mais curieux de ce que demain apportera.
Mes proches et tous mes petits locataires sont venus pour me dire au revoir.

Je me sens comme Gregor Samsa dans la nouvelle La Métamorphose de Franz Kafka.
Un matin, il s'est réveillé et a réalisé qu'il s'était transformé en un cancer maléfique qui avait pris possession de lui.
Pour moi, c'est maintenant l'ami Hein, la mort, qui a mis fin à ce cauchemar. J'en suis reconnaissant. C'est terminé.

Mes chers amis, j'aurais aimé vivre encore quelques années avec vous.
Ne soyez pas tristes, mais pensez au beau temps que nous avons pu partager ensemble.

Votre Helme en voyage."
 
On y trouve aussi le Credo de Helme Heine, dont voici la traduction.
"Je sais que tout travail destiné à gagner mon pain me rend non libre; c'est pourquoi j'ai choisi le plus libre de tous les métiers: celui d'artiste de la vie.

Je sais que mon temps de vie est limité, et j'en suis reconnaissant, car cela me permet de vivre plus consciemment.

Je sais qu'un porte-monnaie bien rempli me rend heureux, mais deux ne me rendent pas plus heureux.

Je sais que Goethe a dit de notre Terre qu'elle est une pépinière pour un monde d'esprits. Je crois qu'il a raison.

Je sais que les arbres sont de merveilleux amis fidèles, c'est pourquoi je leur offre un foyer dans mon jardin.

Je sais que l'art n'est pas nécessaire à la survie de l'être humain, pourtant je ne pourrais pas vivre sans elle.

Je sais que le sexe nous emprisonne, mais que l'amour nous libère.

Je sais que toute vie est née de la poussière d'étoiles.
La mort ne mettra pas fin à ce processus."



Il faut avoir un certain âge mais lire la bibliographie de Helme Heine va susciter des souvenirs et des sourires chez les amateurs de littérature de jeunesse de qualité. 
  • "Fier de l'aile", texte et illustrations de Helme Heine (traduction de Patrick Jusserand, Gallimard jeunesse, 1976)
  • "Fantadou", texte et illustrations de Helme Heine (traduction de Gilberte Lambrichs, Gallimard jeunesse, 1979)
  • "Le Mariage de Cochonnet", texte et illustrations de Helme Heine (traduction de Rémi Laureillard,  Gallimard jeunesse, 1979)
  • "Un Éléphant, ça compte énormément", texte et illustrations de Helme Heine (Gallimard jeunesse, 1981)
  • "Trois amis", texte et illustrations de Helme Heine (traduction d'Yves-Marie Maquet, Gallimard Jeunesse, 1981), soit le trio Jean Campagnol, le bon gros William et François Lecoq
  • "Le plus bel œuf du monde", texte et illustration de Helme Heine (traduction de Marie Lallouet, Gallimard jeunesse, 1983)
  • "La Promenade des trois amis", texte et illustrations de Helme Heine (traduction de Pierre Beck et Betty Léonard, Gallimard jeunesse, 1983)
  • "L'invitée des trois amis", texte et illustrations de Helme Heine (traduction d'Yves-Marie Paquet, Gallimard Jeunesse, 1984)
  • "Sept cochons sauvages", texte et illustrations de Helme Heine (traduction de Jean Launay, Gallimard Jeunesse, 1986)
  • "La Perle", texte et illustration de Helme Heine (traduction d'Yves-Marie Paquet, Gallimard jeunesse, 1989)
  • "Le Merveilleux voyage à travers la nuit" , texte et illustrations de Helme Heine (l'école des loisirs, 1989)
  • "L'exposition des trois amis", texte et illustrations de Helme Heine (Gallimard Jeunesse, 1991) 
  •  "Drôle de nuit pour les trois amis", texte et illustration de Helme Heine (traduction d'Yves-Marie Paquet, Gallimard jeunesse, 1997)
  •  "Prince Ours", texte et illustrations de Helme Heine (Gallimard Jeunesse, 1999) 
  • "Je suis un ours", texte et illustrations de Helme Heine (traduction d'Éric Pierrat, Gallimard Jeunesse, 2001)
  • "Le lièvre au nez rouge", texte et illustrations de Helme Heine (traduction d'Éric Pierrat, Gallimard Jeunesse, 2001)
  • "Dans le vaste monde", texte et illustrations de Helme Heine (traduction d'Éric Pierrat, Gallimard Jeunesse, 2001)
  • "Foxtrott", texte et illustrations de Helme Heine (Kaleidoscope, 2005) 

* *
 
L'ange de grand-père de Jutta Bauer. (c) Gallimard Jeunesse.
 
On avait appris précédemment le décès de l'auteure-illustratrice allemande Jutta Bauer. Née le 9 janvier 1955 à Hambourg, elle a succombé à un choc allergique le 10 septembre 2025 à Schwerin, dans la même région. Elle avait reçu le prix Hans Christian Andersen de l'IBBY en 2010 dans la catégorie Illustration, pour l'ensemble de son œuvre. Le jury avait aimé la puissance de sa narration qui "mélange vraie vie et fiction". Un peu comme sa vie à elle. Si, mauvaise élève à l'école, Jutta Bauer a toujours été attirée par le dessin où elle excellait, elle a aussi exercé divers métiers avant de se consacrer à la littérature de jeunesse, aide-soignante dans une maison de retraite, nounou... "Je pense que si l'on ne travaille qu'avec des livres, on finit par perdre tout contact avec le monde réel", expliquait-elle.
 
Elle l'a bien gardé dans son œuvre partagée entre illustrations de texte et albums en solo, dans son trait minimaliste captant l'essentiel, des expériences de vie transposées en images. Plusieurs de ses albums ont été traduits en français.
 


  • "La reine des couleurs" (Autrement Jeunesse, 1999), un maximum d'effet pour un minimum de mots, splendide réflexion sur les couleurs et le monde, magnifiquement traitée par des croquis vifs et précis où l'encre de Chine se marie subtilement aux crayons de couleurs. 
  • "Mamancolère" (Autrement Jeunesse, 2010), belle variation sur le thème de la colère avec ce petit pingouin qui explose au sens littéral lors d'une colère maternelle. Une scène de la vie ordinaire qui est l'occasion de mieux se dire et se comprendre.
  • "L'ange de Grand-Père" (traduit de l'allemand par Dominique Miermont, Gallimard Jeunesse, 2002) où un grand-père raconte sa vie à son petit-fils venu lui rendre visite, sans savoir qu'un ange a toujours veillé à le protéger, ange qui va désormais s'attacher aux pas de l'enfant.
  • "Selma" (La joie de lire, 2003), variations philosophico-humoristiques sur la question du bonheur, l'héroïne étant une vache!
  • "Alors on a déménagé", texte de Peter Stamm (traduit de l'allemand par Genia Català, La Joie de lire, 2006), qui dit où peut se trouver le bonheur de vivre.
  • "Tu te souviens...", texte de Zoran Drvenkar (traduction de Marion Graf, La Joie de lire, 2007), les souvenirs d'enfance d'un homme et d'une femme adultes.
  • "Dans sa maison, un grand cerf" (l'école des loisirs, 2012), version originale de la célèbre comptine.
  • "Facile à trouver facile à manquer", texte de Jürg Schubiger (traduction de Marion Graf, La Joie de lire, 2014), les réflexions philo d'une petite fille, d'un taureau, d'un loup et d'une grande femme.
  • "Albie sur son chemin" (Les Arènes, 2025), pas facile d'aller délivre l'important message au roi quand on croise tant de monde en chemin!

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"Les chaussures rouges" de Harrie Geelen. (c) Pastel.

Un peu plus tôt, on apprenait le décès, le 30 août 2025 à Hilversum, sa ville natale, de l'auteur-illustrateur hollandais Harrie Geelen, à l'âge de 86 ans, l'époux depuis 1963 d'Imme Dros. Merveilleux duo créatif, ils étaient les auteurs d'un album pour enfants, traduit il y a plus de trente ans, que j'ai encore en mémoire et qui est toujours disponible. Dès l'annonce de son décès, son titre a surgi dans ma mémoire. "Les chaussures rouges" (traduit du néerlandais par Paul Beyle, l'école des loisirs, Pastel, 1992)! Le livre avait frappé à sa sortie. Par son graphisme inhabituel pour l'époque, avec des gouaches très colorées, peu détaillées mais rendant parfaitement compte des états de son héroïne. Par son approche positive d'une expérience dont l'adulte mesure immédiatement l'échec.
 
L'histoire est celle d'Hélène qui se rend au magasin acheter des chaussures avec sa maman, les siennes étant usées. Elle repère immédiatement la paire de rouges, la dernière de ce modèle en magasin. Trop petites pour elle, mais ce sont celles qu'elle veut ("Ik wil die!" est le titre original). Elles les enfile: "Elles me vont parfaitement bien." Sa maman les paie. Au début, tout va bien, tant qu'elle ne doit pas marcher. Mais après une journée passée à souffrir sans oser le dire, la pauvre Hélène n'en peut plus. Ses pieds sont tout abîmés.
 
Le point positif de cet album est que la maman laisse sa fille se rendre compte par elle-même de son erreur. Et quand cette dernière éclate en sanglots après une journée de souffrance tue, pas une seule fois elle ne lui fait la morale. Au contraire, elle accepte de garder les chaussures pour un autre enfant.
 
"En tant qu'auteur-illustrateur d'albums, j'aime utiliser un minimum d'effets pour expliquer des idées plutôt difficiles aux jeunes enfants. Malgré les Crayons et les Pinceaux [NDLR: des récompenses aux Pays-Bas], et tous les autres prix, je me considère toujours comme un cinéaste, qui crée aussi des livres pour enfants", disait Harrie Geelen lors de l'exposition des illustrateurs de Bologne en 2001.
 
  
Harrie Geelen se reconnaît de loin par son trait épais et sobre, ses couleurs flamboyantes et très texturées, son sens de la lumière et de la mise en page.
  •  "Les chaussures rouges", texte d'Imme Dros, illustrations de Harrie Geelen (l'école des loisirs/Pastel, 1992)
  • "Gros-Papy", texte d'Imme Dros, illustrations de Harrie Geelen  (l'école des loisirs/Pastel, 1993), abordant la mort sans la diaboliser et décrivant avec justesse les sentiments de jeunes enfant, illustré de façon réaliste par des tableaux lumineux et joyeux. 
  • "Le fauteuil bleu",  texte d'Imme Dros, illustrations de Harrie Geelen (l'école des loisirs, Pastel, 1994), un vieux siège dans le grenier où se réfugie Jenny-Julie chaque fois qu'on se dispute à la maison."Les comptines de Robinson", texte d'Annie M. G. Schmidt, illustrations de Harrie Geelen (traduction d'Anne-Marie de Both, Albin Michel Jeunesse, 1997), comptines rythmées qui ont pour thèmes la vie quotidienne des petits.
  • "Le livre de Yann", Harrie Geelen (traduction d'Anne-Marie de Both, Autrement Jeunesse, 2002), un titre en solo, épatant petit format carré, intimiste et philosophique où un petit garçon occupé à écrire "son" livre, est interrompu à la troisième page par sa voisine Ursule Charpentier.
  • "L'ombre de Yann", Harrie Geelen (traduction d'Anne-Marie de Both, Autrement Jeunesse, 2003), le dialogue de Yann et de son ombre, qui se découvrent mutuellement.
  • "Victor au zoo", Harrie Geelen (traduction d'Emmanuèle Sandron, Albin Michel-Jeunesse, 2021), les échanges de Victor avec les animaux du zoo le rendent méconnaissable pour sa maman.
  








Le cadavre (exquis) de la FLB

On sait ce qu'est le jeu du cadavre exquis inventé il y a pile un siècle par les surréalistes et nommé ainsi par Jacques Prévert. Chaque personne écrit une partie d'une phrase sur un papier, le plie pour cacher ce qu'elle a écrit avant de le passer à la personne suivante. Personne ne sait donc ce qui a été écrit avant. Les surprises sont au rendez-vous des lectures. 

Lors de la dernière Foire du livre de Bruxelles en mars ce cette année, du 12 au 16 précisément, les Éditions du Basson ont eu l'idée de l'adapter pour une création inédite (1). "L'exquis cadavre de Bruxelles" est en effet un "livre choral écrit en public lors de la Foire du livre de Bruxelles 2025" sur leur stand. Tous les visiteurs étaient invités à participer à l'expérience. Trente-sept ont répondu oui. Bien sûr, il a fallu un peu adapter les règles. Ainsi, chaque auteur écrivait un chapitre avec la consigne de poursuivre les dernières lignes de l'auteur précédent - elles apparaissent en italiques en tête de chapitre.
 
Le résultat est un livre de 96 pages. Sa première phrase est: "Il n'y a que des mots dans ce carnet de croquis. Je dessine en phrases, assis à une terrasse ou debout dans le métro." Les suivantes vont nous promener d'un lieu à l'autre via des détours surprenants. Bien sûr, ce livre choral est plus une curiosité littéraire qu'on lit pour voir comment les auteurs vont raccrocher leur wagon aux précédents que pour son intrigue. Quoique. Il est également fort amusant de voir les oscillations entre personnages centraux masculins et féminins, humour, romance, rage et tragédie, écriture soignée et triviale, mini-chapitres ou larges déploiements de mots, glissements du milieu littéraire à celui de la nuit tarifée, sans oublier quelques allusions à la maison d'édition. Une sorte de jeu de piste littéraire puisque les noms des 37 auteurs apparaissent en fin d'ouvrage. Et une question: pourquoi un participant a-t-il décidé de transformer le mot "pairs" d'une fin de chapitre en "pères" dans le sien? 
 
 
(1) Une première expérience de ce genre, nous dit l'éditeur, a été menée en 1931 par Agatha Christie et sa bande du Detection Club.
Je complète: "The Floating Admiral" a été une première fois traduit en français par Violette Delavigne sous le titre de "L'Amiral flottant" (Gallimard, 1936) et une seconde fois en 2003 par François Andrieux avec le titre "L'Amiral flottant sur la rivière Whyn" (Paleo).
Plus récemment, avec l'arrivée de l'internet et du covid, plusieurs autres initiatives du type sont apparues, dont le site français The root book et celle menée par le romancière portugaise Ana Margarida de Carvalho.
 
 
 
 

dimanche 23 novembre 2025

La quinzième vente aux enchères du Muz

Dessin de Claude Ponti.

Pour la quinzième fois, le Muz, le musée des œuvres des enfants créé par Claude Ponti, organise en ligne sa vente aux enchères annuelle d'originaux des trente artistes donateurs en 2025, français et belges. Beaucoup d'habitués, quelques nouveaux noms:
 
Adrien Albert, Aurélia Aurita, Thomas Baas, Anne-Sophie Baumann,
Soledad Bravi,  Armelle Benoît, Julien Béziat, Magali Bonniol,
Marc Boutavant, Mai Lan Chapiron, Mathias Friman, Bruno Heitz,
Anne Herbauts, Pénélope Jossen, Kimiko, Thomas Lavachery,
Claire Lebourg, Magali le Huche, Alan Mets, Julien de Man,
Dorothée de Monfreid, Yvan Pommaux, Claude Ponti, Audrey Poussier,
Frédéric Stehr, Pomme, Grégoire Solotareff, Eglantine Triboulet,
Anaïs Vaugelade, Jacques Tardi.
 

Rappelons que le Muz est né en 2009 d'une idée surgie dans ma voiture entre Namur et Bruxelles, le projet un peu fou de donner une pérennité aux œuvres des enfants par la magie du virtuel. Photographiées, scannées, venant du monde entier, elles rejoignent les salles du musée en ligne qui leur est consacré (ici). En 2023, le Muz (organisé par l'association l'ACADE de Claude Ponti) s'est localisé en région, à Marçon (72340), a étendu ses activités (ateliers, évènements, rencontres, spectacles, expositions) grâce à son association avec le lieu culturel local La Venture. Il est ainsi devenu l'association La Venture - Le Muz. La partie musée des œuvres des enfants demeure, toujours largement soutenue financièrement par la vente aux enchères d'originaux. 
 
Attention, la vente 2025 s'achève le dimanche 30 novembre à 20 heures. Les 76 œuvres proposées dont 20 de Claude Ponti lui-même, illustration, dessin, peinture, gravure, encore, sculpture sur bois, céramique, CD dédicacé, accompagnées de leur descriptif et du montant actualisé de l'enchère sont en ligne ici. Pour enchérir, il suffit de cliquer sur l’œuvre choisie et de suivre les instructions. Pour chaque enchère simple ou enchère maximum est envoyé un mail de confirmation de l'enchère et de son montant. A l'issue de la vente, dès le lundi 1er décembre, la procédure pour payer et récupérer l'œuvre est envoyée par mail.

Toute l'histoire du Muz ici.
 
Quelques-unes des œuvres offertes pour la vente aux enchères 2025.  
 
Anne Herbauts.
Marc Boutavant.
Bruno Heitz.
Dorothée de Monfreid.
Claude Ponti.
Yvan Pommaux.
Anaïs Vaugelade.
Frédéric Stehr.
Claude Ponti.
Claude Ponti.
Thomas Lavachery.
 
 
 
 


vendredi 21 novembre 2025

Laisser l'acier nous parler

Témoin silencieux. (c) Bozon2X

 
D'où vient l'intérêt, la fascination même, pour les lieux industriels abandonnés? Ces immenses carcasses métalliques qui se dressent dans un paysage, imposantes, et nous rappellent qu'il a été décidé qu'elles ont fait leur temps. Est-ce la même perspective de fin qui émeut? Le rappel du labeur qu'elles ont hébergé? Leur beauté formelle? Toujours est-il que ces lieux abandonnés, désaffectés par l'homme et où s'invite maintenant la nature, sont de très bons sujets d'inspiration pour les photographes Urbex. La preuve encore dans le magnifiques livre "On n'a pas retrouvé l'oiseau" (Bozon2X éditions, 150 pages), où les superbes photos de Florian Leburton ont vu se poser sur elles des textes poétiques de Luc Baba
 
"C'est ici, chez moi, à Liège, que tout a commencé", explique le photographe en préface. "Le haut fourneau B d'Ougrée n'était pas qu'une carcasse d'acier: il s'érigeait, en vestige, en témoin silencieux d'une époque qui s'effaçait sous mes yeux sans l'avoir connue. (...) Photographier ces vestiges, c'était opposer une résistance à l’effacement, reprendre le flambeau de leurs luttes éteintes par l'usure du temps."
 
Luc Baba complète: "Il [Florian] a changé ma façon de considérer les sites industriels au ventre ouvert. Quand mon regard change, il arrive que je ressente l'urgence d'écrire."
 
Entrons donc dans ce bon format à l'italienne qui met en valeur ses très nombreuses photos en couleurs. Ce qui frappe immédiatement, outre la beauté des cadrages, c'est le contraste entre le monochrome sépia de la rouille omniprésente en ces lieux abandonnés et les touches de couleur qui ont résisté au temps. Le bleu d'un classeur ou de pupitres de commande, le rouge d'un socle de béton ou d'une bouche d'incendie, le jaune de tubulures de toutes tailles, le vert d'une immense conduite rivetée... Sans oublier le blanc de la lumière naturelle qui passe ici et là, en briques de verre ou fenêtres habituelles.
 
Jeux de couleur sur le sépia de la rouille. (c) Bozon2X.
 
On avance dans les pages et on découvre l'intérieur d'un lieu qu'on a peut-être aperçu un jour de loin. On est à côté de tout ce qui a fait fonctionner le site industriel, machines en tout genre, canalisations multiples, passerelles, jusqu'aux pupitres de commande et aux armoires à classeurs en passant par les vestiaires. Une immense impression de solitude naît de cette visite, balayée ci et là par une discrète présence humaine. En contrepoint des photos, quelques phrases poétiques rappellent que la vie y a eu sa place un jour. 
 
Photographiés de haut en bas et de bas en haut, à toutes les saisons, en plans larges ou en gros plans, ces lieux où l'acier a été roi voient la nature s'y installer peu à peu. Rien n'est donc figé à jamais. Et la passion des photographes Urbex se comprend facilement. Si le haut fourneau B d'Ougrée est le sujet principal de ce splendide travail, à la fois artistique et documentaire, on trouve aussi des vues du site des ACEC de Charleroi et quelques friches industrielles du nord de la France, nous indique l'éditeur.

Une autre forme de vie, la nature. (c) Bozon2X.

 
 
 
 

lundi 17 novembre 2025

Deux Belges lauréats de prix littéraires



Quelques jours d'absence et tombe une salve de prix littéraires, dont deux remportés par des écrivains belges. Normal pour le prix Rossel, belle surprise même si c'était mon pronostic pour le prix Jean Giono. Résumé.
 

Prix Jean Giono

13 novembre. Le Belge Antoine Wauters, 44 ans, est le lauréat du prix Jean Giono (10.000 euros) pour son roman "Haute-folie" (Gallimard). Il l'a emporté au premier tour de scrutin par six voix contre quatre à Pauline Dreyfus ("Un pont sur la Seine", Grasset). Les deux autres finalistes étaient Mathieu Belezi pour "Cantique du chaos" (Robert Laffont) et Sophie Pointurier pour "Notre part féroce" (Phébus). 
 
Rappelons que ce prix littéraire est décerné au meilleur "raconteur d'histoire" et couronne un ouvrage écrit en français faisant une large place à l’imagination, dans l'esprit de Jean Giono.
 
Une plume de plus au chapeau de l'écrivain belge qui a déjà reçu le prix Première 2014 pour "Nos mères" (Verdier, lire ici), le prix Wepler 2021 pour "Mahmoud ou la montée des eaux" (Verdier, lire ici), le prix Goncourt de la nouvelle 2022 pour "Le musée des contradictions" (Editions du Sous-Sol), le prix du Livre Inter 2022 pour "Mahmoud ou la montée des eaux" (Verdier, lire ici), le prix Rossel 2023 et le prix Rossel des lecteurs et lectrices 2023 pour "Le plus court chemin" (Verdier).
 
Pour lire en ligne le début de "Haute-Folie", c'est ici
 
Jury: Paule Constant de l'Académie Goncourt (présidente), Metin Arditi, Tahar Ben Jelloun de l'Académie Goncourt, David Foenkinos, Franz-Olivier Giesbert, Sylvie Giono, Robert Kopp, Emmanuelle Lambert, Vera Michalski, Etienne de Montety et Marianne Payot.
 
 
 
 

Prix Rossel

13 novembre. Le prix Rossel ainsi que le prix Rossel des lecteurs et des lectrices ont été attribués à Claire Huynen pour "Les femmes de Louxor" (Arléa, 160 pages). L'histoire d'une des multiples Occidentales qui se marient avec un Égyptien et partent vivre dans son pays.
 
Les autres livres finalistes étaient "Bien fait pour moi" de Luc Dellisse (L'herbe qui tremble), "La femme du lac" de Sandra de Vivies (Cambourakis), "Jan (sur un air de jazz)" d’Emmanuelle Pol (Finitude) et "Amormina B" de Frédéric Roussel (Hélice Hélas).
 
Jury, placé sous la présidence de Jean-Luc Fromental: Michel Lambert, Jean-Luc Outers, Ariane Le Fort, Caroline De Mulder, Philippe Marczewski, Jean-Claude Vantroyen, Lolita Tardy et Catherine Victor. 
 
Le prix Rossel de la BD va à l'album "Foudroyants" de Mathieu Burniat, Marie et Sébastien Kerascoët (Dargaud). 
 
Les autres finalistes étaient Clara Lodewick pour "Moheeb sur le parking" (Dupuis), Éric Lambé pour "Muséum" (FRMK), Thomas Lavachery et Thomas Gilbert pour "Caballero Bueno" (Rue de Sèvres) et Frédéric Rébéna pour "Vipère au poing", d'après Hervé Bazin (Rue de Sèvres).
 
Quant à Cyril Pedrosa reçoit le Grand prix Rossel de la bande dessinée pour l'ensemble de son œuvre. 
 
Jury, présidé par Bernard Yslaire: Florence Cestac, François Schuiten, Catel Muller, Léonie Bisschoff, Philippe Berthet, Dany, Zidrou, Bernard Cosey, Daniel Couvreur et  Matthieu Morvan. 

 

Prix Interallié

12 novembre. Louis-Henri de la Rochefoucauld, 40 ans, est le lauréat du prix Interallié pour "L'amour moderne" (Robert Laffont). Il l'a emporté devant Christian Authier ("Comme un père, Éditions du Rocher), Nathan Devers ( "Surchauffe", Albin Michel) et Fabrice Pliskin ("Le fou de Bourdieu" (Le Cherche-Midi).

Jury: Jean-Marie Rouart, Stéphane Denis, Gilles Martin-Chauffier, Eric Neuhoff, Christophe Ono-dit-Biot, Jean-Christophe Rufin, Jean-René Van der Plaetsen, Florian Zeller et Thibault de Montaigu.
 
 
 

Grand prix de littérature américaine 

12 novembre. L'écrivaine et journaliste américaine Taffy Brodesser-Akner a reçu le Grand prix de littérature américaine pour son deuxième roman "Le Compromis de Long Island" (traduit de l'anglais (États-Unis) par Diniz Galhos, Calmann-Lévy).


 

Prix Wepler

10 novembre. Le prix Wepler-Fondation la Poste va à Bernard Bourrit, pour "Détruire tout" (Inculte / Actes Sud). La Mention spéciale du jury est attribuée à Hélène Laurain, pour "Tambora" (Verdier).
 
Pour lire en ligne le début de "Détruire tout", c'est ici
  
Les autres titres sélectionnés étaient
"Qui tombe des étoiles", Julien d'Abrigeon (Le Quartanier)
"L'entroubli", Thibault Daelman (Le Tripode)
"Le monde est fatigué", Joseph Incardona (Finitude)
"Une pieuvre au plafond", Melvin Mélissa (Rivages)
"Les crédits", Damien Peynaud (Noir sur Blanc/Notabilia)
"Le cri du barbeau", Marius Daniel Popescu (Corti)
"Vertu et Rosalinde", Anne Serre (Mercure de France)
"Un frère", David Thomas(L'Olivier)
"Les forces", Laura Vazquez (Éditions du Sous-Sol)
"Les Dernières Écritures", Hélène Zimmer (P.O.L.)
 
 
 
 

 

 

 


dimanche 9 novembre 2025

Le monde tel que l'a vu Robert Doisneau

Georges Simenon au musée Grevin, Paris, 4 septembre 1962.
(c) Atelier Robert Doisneau.

À Liège vient de s'ouvrir une magnifique exposition consacrée à Robert Doisneau (14 avril 1912 - 1er avril 1994). La photo du "Baiser de l'hôtel de ville"? Oui, bien sûr. Oui, mais non, car cette photo célébrissime est l'arbre qui cache la forêt qu'est l'œuvre du photographe de Montrouge. Une œuvre aussi immense que variée qui est splendidement mise en valeur à la Boverie. "Instants donnés" se veut une rétrospective d'envergure de l'artiste. Inaugurée et présentée au musée Maillol parisien du 17 avril au 19 octobre de cette année, elle est complétée dans sa déclinaison liégeoise d'un volet belge riche de 45 clichés. Des liens de Robert Doisneau avec l'écrivain du crû Georges Simenon aux reportages sur l'Expo 58 à Bruxelles.

Les puristes auront remarqué un changement de visuel pour l'affiche. Ils ont l'œil. Le gamin prêt à sauter à Paris ("Le saut", 1936) a été remplacé pour la halte belge par le musicien et touche-à-tout Maurice Baquet, grand ami du photographe, protégeant son instrument de la pluie ("Le violoncelle sous la pluie", 1957). "Cette photo offre une vision du surréalisme à la belge", estime Elisabeth Fraipont, échevin de la Culture à la ville de Liège. "Un geste symbolique à l'heure où la culture est galvaudée. Il est de notre devoir de la défendre."
 
 

Robert Doisneau à la Boverie: ateliers d'artistes. (c) Tempora.

Robert Doisneau à la Boverie: écrivains. (c) Tempora.

On n'avait plus vu de photos de Robert Doisneau en Belgique depuis l'exposition qui s'était tenue au musée d'Ixelles, portant simplement son nom, du 19 octobre 2017 au 4 février 2018 (lire ici). Huit ans! C'était long mais l'attente est diantrement bien récompensée. Non seulement cette exposition est pharaonique: plus de 400 photos sont présentées ici, une infime part en réalité, un petit millième, des 450.000 négatifs que compte son œuvre! Mais elle offre un regard nouveau sur le travail de l'immense photographe qu'il a été. Datés de 1934 à 1992, les clichés couvrent quasiment l'intégralité de son travail. Ils présentent toutes les facettes de son œuvre, celles qu'on connaît bien, les enfants, les portraits d'écrivains et les ateliers d'artistes, et aussi celles qu'on connaît moins, les hommes et les femmes au travail, les banlieues, la difficulté de vivre… On les découvre avec un immense bonheur. Derrière chaque cliché, on retrouve l'œil de Robert Doisneau, qui a fixé un instant et nous le présente dans sa beauté. Parfois avec malice, parfois pour témoigner. En noir et blanc ou en couleurs, ses photos respirent de son humanité. Que ses sujets appartiennent à la haute société française ou jouent aux cartes dans un bistrot. Qu'il s'agisse de commandes ou de créations, c'est le monde tel que l'a vu Doisneau, disparu il y a déjà trente ans.

Galibots, Lens, 1945. (c). Atelier Robert Doisneau.


Francine Deroudille et Annette Doisneau,
les deux filles de Robert Doisneau. (c) Tempora.
Comment le choix de ces "Instants donnés" s'est-il fait? Benoît Remiche, patron de l'agence Tempora qui organise l'exposition, s'en explique: "Nous avions depuis longtemps le désir d'exposer Robert Doisneau. L'occasion a été un article du "Monde" (NDLR: du 12 novembre 2023 par Benoît Hopquin, "Robert Doisneau, ce père, ce héros", décrivant le travail d'Annette et Francine, les deux filles de Robert Doisneau). Contact a été pris avec elles deux. Avec Isabelle Benoit, nous sommes allés les voir à l'atelier de Montrouge, où elles font vivre le travail de leur père, avec l'idée de montrer toutes les dimensions du travail de Robert Doisneau." En est né un commissariat collectif composé de lui-même et Isabelle Benoit pour Tempora, Annette Doisneau et Francine Deroudille, ainsi que des scénographes Peter Logan et Flora Peyrot.

Robert Doisneau à La Boverie: les années "Vogue". (c) Tempora.

Effectivement, on n'avait jamais vu autant de diversité dans une expo Doisneau. Les photos apparaissent selon une dizaine de thématiques dont les titres sont issus du classement de l'agence Rapho - Atelier Doisneau ensuite: 70 clichés pour Enfance, 40 pour les Ateliers d'artistes et les années Vogue, 30 portraits d'Ecrivains, 30 clichés de Bistrots, mais aussi 70 photos intitulées Gravités. Sans oublier les 45 clichés de la Belgique lors de reportages qui ont eu lieu entre 1956 et 1970 et d'autres surprises comme des photomontages. Au fil de la découverte, on rencontrera aussi des objets, et pas seulement le Rolleyflex et le Leica iconiques, et des documents, ainsi que des dispositifs interactifs.

Caniveau en crue, Paris,1934. (c) Atelier Robert Doisneau.

Chaque section de l'exposition bénéficie de cimaises aux couleurs particulières. Chaque fois une amorce forte, portée par un bref texte, et sa déclinaison en diverses propositions. Ici, des mots de Doisneau imprimés interpellent le visiteur, là on entend sa voix tellement reconnaissable dans des séquences audiovisuelles. Lui qui disait "Dans le fond, le photographe, comme ce qu'il emploie, doit être une surface sensible" nous prend par le coude et nous invite à laisser nos références pour mieux regarder les miroirs qu'il nous tend du monde qui a été le sien.
 
Nicolas Schoffer à Liège le 27 mars 1962.
 (c) Atelier Robert Doisneau.
Au fil des salles, on croise des gamins anonymes et spontanés qui blaguent, jouent, expérimentent, dessinent, vont à l'école ou rêvent. Un nombre incroyable d'artistes et d'écrivains du XXe siècle, chacun mis en scène dans une façon qui lui sied. Du travail de commande pour des publicités, des magazines et des couvertures de livres. Les malicieuses séries où des visiteurs sont vus face à une œuvre d'art. Le questionnement sur l'humanité dans les années "Vogue" comme dans les escapades en banlieue. Dans le volet belge, on est surtout frappé par les vues de Nicolas Schöffer et de sa Tour cybernétique. Impossible par contre de ne pas être touché par les photos intitulées "Gravités". Aucun misérabilisme mais une approche empathique de toute beauté de sujets durs comme le travail à la mine ou à l'usine, les manifestations ou les grèves, dans une époque qui ne l'était pas moins. Robert Doisneau a toujours su débusquer la vie et l'humain partout où il se promenait, sempiternellement accompagné de son appareil photo.
 
Robert Doisneau à La Boverie: Gravités. (c) Tempora.
 
Pour le plaisir, les premiers mots de l'entretien que Robert Doisneau m'avait accordé en 1993 (lire ici).
- Vous avez besoin de piles? Parce que j'en ai.
- Vous êtes habitué à ce que des journalistes tombent en panne de piles?
- Oui, j'ai toujours des piles ici.
- Quelle sollicitude!
-
(rires) Moi aussi quand je vais faire des photos et que mon flash ne marche pas, on prend des piles dans le transistor de la concierge de l'immeuble. Ça ne fait pas très reporter international, mais je trouve ça marrant. Ces contacts bonnement humains, c'est bien. Je ne sais pas ce que vous voulez savoir. Ça tombe bien, parce que comme je ne sais rien à rien, vous êtes tombée sur un spécialiste. (rires)
 
Pratique
Quoi? "Instants donnés" de Robert Doisneau.
Où? La Boverie, Parc de la Boverie - 4020 Liège
Quand? Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures, jusqu’au 19 avril 2026 (fermé le 25 décembre et le 1er janvier, fermeture à 16h30 les 24 et 31 décembre).
Combien? Standard: 16,50 €; Jeune de 6 à 25 ans: 11 €; Enfant de moins de 6 ans: gratuit; Pack Famille (4 personnes, 2 adultes et 2 jeunes): 45 €; autres tarifs sur le site.
Quoi d'autre?
  • Catalogue de l'exposition avec nouvelle photo de couverture et supplément belge broché de 48 pages: "Instants donnés" (Tempora, 288 pages richement illustrées, 38 euros).
  • Guide de l'enseignant pour préparer et approfondir la visite (44 pages, à télécharger ici).
  • Livret-Jeux pour les enfants (22 pages, gratuit).