Kitty Crowther m'apprend le décès de Ulf Stark, immense auteur et scénariste suédois, me dit-elle. Vu ses origines, je la crois volontiers mais je dois bien reconnaître que le nom de Ulf Stark ne me disait pas grand-chose.
Sauf quand je me suis rappelée qu'il est l'auteur de l'extraordinaire album "Tu sais siffler, Johanna?", illustré par Anna Höglund ("Kan duvissla Johanna", 1992, traduit du suédois par Elisabet Brouillard, Casterman/Les albums Duculot, 1997 et 2004). Et là, le Suédois m'est devenu nettement plus présent.
Ulf Stark était né le 12 juillet 1944 à Stureby (Stockholm) et est mort le 13 juin 2017 à Stockholm (Suède). Après des études de pédagogie et de psychologie, il a fait ses débuts en littératures en 1964 pour se consacrer vingt ans plus tard exclusivement à la jeunesse.
Erik Titusson, son éditeur, dit de lui:
Ulf Stark.
"Ulf Stark est l'un de nos plus grands écrivains, il a des lecteurs dans le monde entier. La semaine dernière, une maison d'édition coréenne qui le suit voulait publier un petit livre de lui, qui traite de l'amour et se déroule en Suède dans les années 40! Qu'est-ce qu'un tel livre peut dire aux enfants coréens aujourd'hui? Mais je veux vraiment y croire. Ulf Stark nous parle d'expériences et de relations humaines, avec un tel réalisme que nous nous y voyons, peu importe où nous vivons, à quoi nous ressemblons, quel âge nous avons. Ses livres sont vrais. Dimanche dernier, j'ai rencontré Ulf Stark. Nous étions en train de relire des épreuves et de regarder un album à paraître. "C'est simple et agréable", a commenté Ulf. C'est vrai, aimerais-je ajouter."
Visite au grand-père, mode d'emploi. (c) Casterman.
Quelle merveille que "Tu sais siffler, Johanna?", album qui fut présélectionné pour le prix Bernard Versele 1998! Il débute sur une conversation entre deux gamins. Le narrateur explique à son pote Berra qu'il va rendre visite à son grand-père. Il raconte avec humour et lucidité ces rencontres: argent de poche, gâteau, café et pieds de cochon, séance de pêche, cigare... Du coup, Berra aimerait aussi avoir un grand-père. Les compères se rendent alors au home de vieillards pour lui en trouver un.
Echanges entre générations. (c) Casterman.
Ils interrogent les occupants. "Mangez-vous des pieds de cochon?", demandent-ils au vieux Nils. Ce dernier joue leur jeu et devient le grand-père de Berra, Bertil de son vrai nom. Les rencontres se succèdent, avec les activités attendues d'un grand-père et celles que Nils invente pour eux, comme construire un cerf-volant ou siffler.
Escapade nocturne anniversaire. (c) Casterman.
Parfois, Nils se repose, incite le duo à réfléchir ou répond aux questions des garçons. Sur son passé notamment. Les visites se succèdent, incroyables de réalisme, d'imagination, de douceur et de tendresse. Tant le vieil homme que les enfants profitent de ces moments, se laissent aller au bonheur, à la joie, à la confiance, à l'amour. Même si Nils sait ses jours comptés. Berra et Ulf seront forcés de l'admettre mais ils auront appris mille choses avec ce grand-père de substitution, généreux et présent. Ils auront vu quelqu'un donner, recevoir et vivre.
Un trésor d'album que "Tu sais siffler, Johanna?", splendidement illustré, d'une délicatesse inouïe, et dont la couverture s'explique en dernière page. Qui rappelle doucement qu'au bout de la vie, il y a la mort.
Malheureusement, on ne trouve guère de traductions françaises des livres de Ulf Stark, une quarantaine en langue originale. A part l'album précité, je n'ai repéré que "Une copine pour papa", illustré par Pija Lindenbaum (Pocket Jeunesse, 1994), "Les casse-pieds et les fêlés", (Père Castor Flammarion, 1994), "Laissez danser les ours blancs" (Père Castor Flammarion, Castor poche, 1998), dont la plupart sont épuisés.
Une exception, son petit roman "Blaise et Basile" (illustré par Ariane Pinel, traduit du suédois par Ludivine Verbèke, Bayard Jeunesse, 2016, 112 pages): la découverte de notre monde par Blaise et Basile qui vivaient dans une maison tout au fond d’une forêt et décident un jour de prendre la route, avec un vieux landau où ils ont posé leurs bagages.
Mais si Kitty Crowther est aussi émue et attristée par le décès de Ulf Stark, c'est parce qu'elle a beaucoup travaillé avec lui ces derniers temps, en plus d'avoir lu ses livres enfant.
C'est en effet lui qui a a traduit en suédois son prochain album à paraître à la rentrée, chez Pastel (l'école des loisirs). "Petites histoires de nuits" est déjà sorti en suédois, sous le titre "Sagor om natten", édité par Erik Titusson chez Lilla Piratförlaget, et Ulf Stark l'a eu en main. Une petite consolation.
Ulf Stark lisant "Sagor om natten" de Kitty Crowther.
Cadeau! Une image intérieure de "Petits histoires de nuits", de Kitty Crowther, à paraître à l'automne chez Pastel.
"Petits histoires de nuits", de Kitty Crowther.
A voir aussi, la vidéo de présentation de cet album à paraître en français (ici).
Ulf Stark ne verra cependant malheureusement pas les images que Kitty posera cet été sur un de ses romans. Puisse-t-il avoir appris à beaucoup d'enfants à siffler comme Johanna.
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