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Grégoire Delacourt, c'est bien entendu le livre "La liste de mes envies" (JC Lattès, 2012, Le livre de poche, 2013). L'immense succès en librairie d'une mercière-blogueuse, Jocelyne Guerbette, d'Arras, ayant gagné le gros lot d'une loterie prolongé dans un film avec Mathilde Seigner.
Grégoire Delacourt, c'est aussi les procès intentés par une Scarlett Johansson chaque fois déboutée par la justice, héroïne de "La première chose qu'on regarde" (JC Lattès, 2013, Le livre de poche, 2014), son troisième roman qui n'est donc pas devenu un film avec Scarlett Johansson jouant son propre rôle.
Mais Grégoire Delacourt, ce n'est pas que cela. C'est aussi un homme, qui passe par le roman pour se dire, pas pour s'imposer, non, pour faire entendre sa voix. Il l'avait fait dans son premier roman, "L'écrivain de la famille" (JC Lattès, 2011, Le livre de poche, 2012).
Il le refait aujourd'hui dans son quatrième roman, "On ne voyait que le bonheur" (JC Lattès, 364 pages), tout juste sorti. Il y met en scène Antoine, la quarantaine, expert en assurances. Un homme qui rame après son licenciement brutal. Un ancien enfant pétri de souffrances, un mari perdu, un père moqué par ses enfants. Il est lâche, Antoine, il le reconnaît. Mais son propre père, droguiste, lui a-t-il donné un autre exemple? Pourtant, il a envie de bien faire, l'assureur qui chiffre le prix des choses. Il peut même faire preuve d'humanité. Parfois.
La somme des drames et des souffrances qu'il endure font qu'Antoine le lâche se lâche lui-même. Il perd pied, commet l'irréparable, sans le comprendre, sans que personne ne le comprenne. Il ira chercher rédemption et pardon au Mexique.
On le voit, Grégoire Delacourt change de registre avec ce quatrième titre. Il se fait plus grave dans le propos, même si ses mots ont toujours la même élégance. Plus personnel aussi. Il compose le portrait d'un humain contemporain, hanté par ses démons, dans un témoignage qu'il partage avec générosité. Autour d'Antoine gravitent toute une série de personnages secondaires rencontrés à diverses étapes de sa vie et dont on fait volontiers la connaissance. L'écrivain de la famille, au sens propre, sait toujours écrire les choses et les gens. Maintenant il nous raconte aussi leurs sentiments. "On ne voyait que le bonheur" est un roman dur, qui emprunte aux faits divers, mais beau et juste. On y parle de lâcheté et aussi de pardon.
Grégoire Delacourt. |
Votre quatrième roman est le premier à paraître la rentrée littéraire de septembre. Que ressentez-vous?
C'est très curieux comme sensation. Il y a aujourd’hui treize jours que le roman est sorti mais cela fait trois mois que l'éditeur et moi, nous vivons avec, en rencontrant les librairies, la presse. Les enjeux d’une rentrée sont violents. Il y a 600 livres qui sortent dont 500 seront tout de suite oubliés. Dans les 100 dont on va parler beaucoup, 30 vont émerger. C'est à la fois excitant et terrifiant. La rentrée littéraire, c'est comme le festival de Cannes pour le cinéma. En même temps, il y a le revers de la compétition, les choses pas très fair-play qui se passent et que je ne connaissais pas.Avec "On ne voyait que le bonheur", vous apparaissez de nouveau comme l'écrivain de la famille.
C'est mon éditeur qui a pris la décision de publier pour la rentrée. Il m'a dit: "C’est un texte qui doit être confronté à d’autres livres.".
Paradoxalement, c'est un livre que je ne voulais pas écrire. Je ne l'avais pas prévu dans ma vie alors que les trois autres étaient écrits dans ma tête. J’en suis sorti KO. Je l'ai commencé en novembre 2012 quand on m'a annoncé que mon père allait mourir et j'ai fini la version ultime le 7 avril 2014, le jour de son décès.On y parle de lâcheté mais aussi de pardon.
J'y ai mis des choses de moi, j’ai pris des risques. C'est quoi être un bon fils? Etre un bon père? Ces questions personnelles, j'ai voulu les creuser, mettre à nu ces lâchetés, ces difficultés. Moi-même, dans ma vie, j'ai reproduit en tant que père les difficultés vécues en tant que fils. J’ai voulu arrêter ces héritages à la con.
Avec ce livre, j'ai osé aller vers plus de mise à nu, vers plus d'impudeur, et ce, grâce au soutien, non, grâce à l’amitié, de mes lecteurs. Je pense que le témoignage d’Antoine peut aider d'autres gens.
C'est un livre sur la lâcheté mais aussi sur le pardon, avec des démons à réaffronter. "L’écrivain de la famille" racontait l’adolescence, "On ne voyait que le bonheur" raconte les chagrins d'une vie d’homme. Je suis sorti du nord de la France pour aller vers le Mexique. Le Mexique parce que le nom de ce pays m'est venu en écrivant le prologue. Sans doute aussi parce qu’en 1998, j'y ai passé une semaine de vacances, imposée par mon patron de l’époque qui me voyait perdre pied. L’hôtel s’appelait vraiment Desconocido (l'inconnu), un signe du destin sans doute.Le roman se compose de trois parties.
Au début il n'y en avait que deux. Il me fallait un break à la fin de la première. La troisième est arrivée d'elle-même. J'ai été dépassé par ce que j'avais écrit. Je voulais donner une chance à Joséphine, la fille d'Antoine, j'avais besoin qu'elle ne disparaisse pas. Cette troisième partie, je l'ai écrite en larmes. Et en me demandant ce que mes enfants penseraient de la première. Ils ont lu le livre et estiment que c'est mon meilleur, que c'est un livre important. Ils m'ont mieux compris. On ne naît pas de rien.Il met en scène un drame inattendu.
Qu'est-ce qui fait qu'à un moment, on n'aime plus sa vie? Il y a les souffrances de l’enfance, celles du boulot, celles que vous infligent vos enfants en vous regardant, les amis, les amours...Le titre est-il une envie ou un défi ?
Les gens souffrent, sont malheureux, et à un moment, ils ne peuvent plus supporter leur vie. Les petites gouttes d’eau font qu'ils sont noyés. Ce sont les mécanismes du burn-out total. A un moment, certains décident de tout supprimer comme cela se voit dans les faits divers.
La solution est peut-être de permettre aux autres de nous aider. Mais la famille est le lieu où il y a à la fois le plus et le moins d’amour au monde.
Grand blanc dans la conversation
Quand j'ai écrit le passage où apparaît la phrase "On ne voyait que le bonheur", il m'a été évident que ce serait le titre. Un titre qui est à la fois une menace et une promesse: l'effet de l'usage de l'imparfait. Mais ce n'est pas du tout un livre sur le bonheur.Pour la première fois, vous titrez vos chapitres.
Dans la première, ce sont des sommes d’argent, en francs ou en euros selon les époques, parce qu’Antoine est assureur et évalue les moments. Je trouvais provocateur de fixer des montants pour résumer des événements.
Dans la deuxième, j’ai gardé les chiffres, en clin d’œil au texte, mais aussi en petit jeu avec le lecteur, pour être complice au moment où j'écrivais ce texte qui a été dur à sortir.
Dans la troisième, ce sont logiquement les dates du journal de Joséphine.
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