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vendredi 14 mai 2021

Renaissance d'un splendide poème humaniste de Claude Clément

La première double page de la nouvelle version
du "Mot sans lequel rien n'existe". (c) Editions du Pourquoi Pas?

Claude Clément
est une des créatrices inspirées qui a contribué à faire émerger la littérature de jeunesse telle qu'on la connaît aujourd'hui. Elle entame actuellement sa 41e année de publications et affiche une très impressionnante bibliographie de plus de cent livres. On a tous en tête des titres que cette écrivaine française a écrits, et qui ont été portés à leur meilleur par des illustrations adéquates.
Pour rappel, quelques albums marquants, publiés avant 2000.
  • Avec Frédéric Clément, "Le peintre et les cygnes (sauvages)" (Duculot, 1986),  "Le luthier de Venise" (l'école des loisirs/Pastel, 1988), "La funambule et l'oiseau de pierre" (Milan, 1994)
  • Avec Catherine Mondoloni, "Le Pierrot de Venise" (Fleurus , 1988)
  • Avec Mireille Vautier, "Aladdin" (Nathan, 1991)
  • Avec Loïc Jouannigot, la série des "Pataclous" (Milan, années 1990)
  • Avec John Howe, "Le musicien de l'ombre" ( Duculot, 1989),  "L'homme qui allumait les étoiles"  (Duculot, 1992), "La ville abandonnée" (Casterman, 2004)
  • Avec Georges Lemoine, "Le batelier du Nil" (Nathan, 1993)
  • Avec Jame's Prunier, "Longtemps" (Casterman, 1997)



Avec Sylvie Montmoulineix, amie devenue très chère à l'auteure au fil des ans, prématurément décédée en 2012 à l'âge de 54 ans, il y avait eu en 1995 "Le mot sans lequel rien n'existe" (Sorbier/Amnesty international). Un livre dont les illustrations originelles étaient devenues introuvables car dispersées.
Le splendide texte poétique de Claude Clément reparaît aujourd'hui dans une version non illustrée mais typographiquement recherchée et dans un tout autre format, petit et en hauteur (Editions du Pourquoi pas?, 24 pages). Une renaissance pour ce classique de la littérature de jeunesse qu'est devenu "Le mot sans lequel rien n'existe" avec cette version livre d'art, aux feuilles cousues de rouge et à la jaquette en papier calque. Naviguant de l'alpha à l'omega qui, mêlés, symbolisent un oiseau dans un élégant et sobre habillage graphique dû à Cyril Dominger, graphiste, professeur à l’Ecole Supérieure d'Art de Lorraine-site d'Epinal.

On retrouve avec émotion ce grand oiseau blanc qui picore les beaux mots positifs d'un livre échoué sur la plage, les engloutit, s'en rassasie avant de s'envoler vers d'autres cieux. On frémit lors des descriptions des lieux vers lesquels il se dirige, dunes arides, tempête, ville refermée sur elle-même, gens riches et malheureux, gens pauvres et affamés.

En chaque endroit où il se pose, nature asséchée, ville triste, pays en guerre, l'oiseau sème quelques-uns des beaux mots qu'il a récoltés. De retour à son point de départ, il se rend compte qu'il a oublié de picorer le mot le plus important, celui sans quoi rien n'existe. Malgré sa fatigue, il détache ce mot du livre et le lance en l'air d'un coup de bec. Un mot qui figure bien entendu dans le texte mais qu'on ne révélera pas pour suivre le cheminement de l'écrivaine.

Dans cette élégante version au papier très blanc, pages de textes et mots picorés écrits en grand en noir et rouge alternent de gauche à droite, créant un rythme qui met en valeur le message humaniste du poème. Un texte qui est toujours indispensable, vingt-cinq ans après sa naissance.

"C'est au retour d'interventions scolaires au sein d'établissements d'une banlieue de Caen que j’ai écrit ce texte," se souvient Claude Clément, "quasiment d'un seul jet, dans le train qui me ramenait à Paris. J'étais profondément bouleversée. Soudain, une évidence m'est apparue: sans l'attention aiguisée et le dévouement constant des enseignants, des bibliothécaires, du professeur de théâtre et jusqu'au cuisinier de la cantine qui veillait à fournir au moins un repas de qualité par jour à ces enfants, les mots JUSTICE, PAROLE, LIBERTÉ, ÉCOUTE, DIGNITÉ, TOLÉRANCE, PAIX, TENDRESSE, DIFFÉRENCES, JOIE, COMPASSION, AMITIÉ, n'auraient été pour eux que de dérisoires coquilles vides, dépourvues de sens."

A l'époque, il y a vingt-cinq ans, la guerre faisait rage en ex-Yougoslavie. Régine Lilenstein, directrice des Editions du Sorbier, avait demandé à Claude Clément d'écrire un conte poétique sur les Droits de l'Homme, qui serait publié sous l'égide d'Amnesty International.

"Par la fenêtre du wagon", poursuit l'écrivaine, "j'ai aperçu un oiseau blanc - mouette ou goéland - qui survolait un plan d'eau où flottait un journal amené là par le vent. L'oiseau descendait en piqué, par intermittences, pour y picorer. "Ingurgiter quoi?" me suis-je dit tristement. "Probablement des horreurs, à cause des récits d'actualité truffés de bombardements, de mitraille, de massacres et de charniers!" Presque aussitôt, par réaction, j'ai songé: "Et s'il se nourrissait plutôt de mots bienfaisants, afin de les disséminer sur cette terre en proie à toutes les formes d'absurdité et de violence? Est-ce si utopique d'imaginer cela?"

Puis, la pensée des enseignants que je venais de quitter m'est revenue. Et j'ai ancré l'espoir d'un monde plus équitable et meilleur autour d'un mot sans lequel aucun des autres ne peut développer son sens."



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