"Le raz de marée" par Paul Verrept. (c) Skagen. |
Le Tour de France s'élance et le monde s'étourdit à le suivre, plus indifférent que jamais au sort de ceux qui, fuyant la mort ou les tortures, tentent de traverser la Méditerranée. Ces migrants dont l'Europe ne veut pas, certains s'entêtent à les sauver. La capitaine Carole Rackete, la capitaine Pia Klemp, le capitaine du voilier Alex, le capitaine du bateau de sauvetage Alan Kurdi, pour ne citer que des exemples récents. Ils sont de ces humains qui sauvent l'espèce et font tomber nos œillères.
En ces temps d'inattention volontaire, résonne fortement à mes oreilles un tout petit livre. Trente-deux pages à peine. Mais chacune en vaut dix tant sa lecture s'avère bouleversante. Il s'agit du "Raz de marée", du Belge flamand Paul Verrept (traduit du néerlandais par Monique Nagielkopf, 32 pages, Skagen, 2019). Sous forme d'un monologue parlé, chuchoté, crié, oscillant entre rêve, réalité, projets, espoirs et désespoirs, il propose un point de vue sur la migration.
La nouvelle de Paul Verrept avait originellement paru en néerlandais chez Skagen en 2016 sous le titre "De vloed" et ses bénéfices sont versés à l'association de soutien aux réfugiés Vluchtelingenwerk Vlaanderen. Elle a été adaptée au théâtre en 2017 par Clara van den Broek, du collectif SKaGeN. Cet été 2019, la version française est jouée 19 fois au théâtre à Avignon en ce moment (jusqu'au 25 juillet, lire ici).
Sobriété, concision, densité, tout en phrases courtes, alinéas nombreux et mots blancs, "Le raz de marée" cerne par la voix de la femme l'écueil d'un couple qui a tout pour être heureux et l'est effectivement, mais ne résiste pas à la crevasse que cause l'événement extérieur qu'est la découverte de corps de migrants sur la plage en bas de leur magnifique maison blanche sur la colline. Le livre commence ainsi: "Tu as réaménagé la maison. Et elle est magnifique". Sans doute y avait-il déjà des fissures invisibles entre eux? Toujours est-il que les positionnements différents de l'homme et de la femme modifient considérablement leur vie quotidienne. Et c'est cette inexorable progression que saisit avec beaucoup de finesse Paul Verrept. Sans effet de manche. Juste des faits, des mots, des réflexions et des constats. En bruit de fond, les vagues. En image de fond, ces noyés qui s'échouent et sont enlevés par des sauveteurs. En toile de fond, cette révolte fondamentale devant l'injustice du monde.
"Là où l'air et la mer se rejoignent, à l'horizon, il y a un miroir. Aussi grand que le monde. Et derrière, la même mer, la même plage, la même lumière. Au loin, je les vois, je te vois, je me vois."Peut-on effacer ce qu'on a vu? La mer n'est-elle pas aussi la révélatrice de nous-mêmes? Aller nager dans un cimetière est-il encore envisageable? Ce ne sont que quelques-une des questions qu'éveillent ce très beau texte où le couple peut évidemment être considéré comme une métaphore de la société. "Le raz de marée" est tout simple mais bouleverse profondément. Il pointe aussi que l'empathie entraîne un point de non-retour dans les relations. Serait-ce là l'espoir de régler enfin les questions liées à la migration?
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