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mardi 17 décembre 2019

Allo, @place_de_la_démocratie -- c'est pour un remerciement

"Dernière sommation". (c) Photo provenant du site de David Dufresne0

La France s'enfonce dans les grèves en ce mois de décembre 2019. Les officiels de l'Hexagone font semblant de découvrir la situation. Ce n'est pas la première fois que le gouvernement français n'a "rien vu venir". On pourrait même dire qu'il s'est aveuglé volontairement. Avant cette fin d'automne de grèves et d'actions, il y avait eu les "gilets jaunes". Il y a plus d'un an qu'ils manifestent chaque semaine. Même si les médias mainstream, sagement alignés comme à la parade, nous serinent chaque semaine depuis 52 semaines que leur mouvement est largement en recul! A ce rythme-là, les gilets jaunes devraient être en chiffres négatifs depuis longtemps. Mais non, ils persistent, résistent et indisposent toujours le pouvoir. Et ils se ramassent régulièrement la police de la République.

David Dufresne.
(c) JF Paga/Grasset.
Quelqu'un qui a tout vu, et de l'intérieur, et depuis le début des gilets jaunes, c'est David Dufresne. Son fil Twitter, le célèbre "Allo, place Beauvau" (ici) est fort de 75.000 abonnés. Ses tweets relatifs aux brutalités policières donnent la chair de poule et des infos fiables et complètes sur le mouvement qui a investi les ronds-points. Lui, écrivain, réalisateur et journaliste, les médias alternatifs souvent en ligne seulement et les sites des associations qui soutiennent les gilets jaunes, physiquement, moralement et/ou judiciairement permettent heureusement de s'informer sur ces sujets boudés par la grande presse.

Depuis le 4 décembre 2018, depuis plus d'un an donc, David Dufresne fait office de compilateur sur son compte Twitter. Il recense les témoignages de blessés pendant les actes du mouvement des Gilets jaunes. Il dénonce les violences policières et les "dérives" du maintien de l'ordre. Tous ses tweets commencent par la même formule "Allo @Place_Beauvau - c'est pour un signalement".  Suit un terrible décompte, 867 signalements à ce jour. Encore aujourd'hui, 17 décembre 2019, il suit les différentes manifestations et en donne un bilan (provisoire).

Mais David Dufresne a fait plus qu'une quête d'info sur ces faits et une dénonciation des violences policières. Il y a trouvé la matière d'un roman, son premier, alors qu'il peut s'enorgueillir d'une belle bibliographie de récits. Ce roman est précisément intitulé  "Dernière sommation" (Grasset, 230 pages).  "De décembre 2018 à juillet 2019", explique-t-il, "j'ai récapitweeté sur mon fil Twitter les #violencespolicières dans les mouvements sociaux."  Un roman excellent qui célèbre les noces de la littérature et de la résistance, servi par le souci de la vérité. Qui redonne foi en l'homme. Qui enchante et glace en même temps.

Des infos vérifiées sont la base de ce livre mettant en scène un enquêteur indépendant, Étienne Dardel, le double de l'auteur, au cœur de l'action chaque samedi. Un premier roman prenant, diablement réussi sur un sujet éminemment casse-gueule.

On y croise tout ce petit monde de la rue et des ronds-points dont on a peut-être découvert les noms au fil des infos de l'année écoulée. Car le coup de maître de l'auteur est de donner une dimension romanesque à ce chapelet de drames. Vicky, jeune réalisatrice très à gauche qui court vers un cortège et tombe aux marches de l'Assemblée nationale, la main arrachée. Sa mère, vissée sur son rond-point du Tarn et passée du Parti socialiste au Rassemblement national. Une street medic courageuse. En face, Frédéric Dhomme, le "Patron", directeur de l'Ordre public, un républicain qui veut croire en la police. Serge Andras, syndicaliste policier, jusque là compagnon de route du premier. Un ministre de l'Intérieur qui tweete et tangue. Un garde du corps incontrôlable, Alexandre B.  Un président assiégé. Des policiers en roue libre. Des éditorialistes compromis.

Et partout, Etienne Dardel qui veut comprendre, qui va sur le terrain, qui pose des questions, qui écoute parler. Fan de Jacques Brel comme son créateur qui a consacré un livre au chanteur belge en 2018. Il revient au journalisme après dix années d'interruption. Sa curiosité initiale devant les gilets jaunes deviendra un besoin de rétablir la vérité, de dire au grand jour ce que la police veut étouffer. De ne pas accepter les messages mensongers que Castaner diffuse. Il est pris dans l'engrenage du journalisme, enquêter et faire savoir, soutenu par sa compagne Hanna, un chaos devenu vital pour lui. Il devient le porte-voix sur son fil Twitter et sur son site de ceux qu'on veut masquer, la France du dessous. Il sera évidemment détesté par le pouvoir mais bénéficiera de soutiens surprenants. Il connaîtra la peur et la solitude, les intimidations aussi. Entre fuites et fake news, il nous relate tout cela et c'est terrible parce que son livre nous dit la France de 2018 et 2019. "La guerre était sociale, pas encore totale."

Roman politique qui se lit d'une traite et fait froid dans le dos, "Dernière sommation" dénonce la raison d'Etat qui permet les mensonges, la surdité d'un gouvernement, les dérives autoritaires, les mutilations. La France, pays des droits de l'homme? On se pince. La France, démocratique, on se pince encore. Pour préserver ce qui peut l'être, pour savoir ce qui se passe, il y a urgence à découvrir ce premier roman rudement bien mis en scène et d'autant plus effrayant. Et on ne saurait trop remercier son auteur d'avoir eu le courage de le faire. Allo, @place_de_la_démocratie -- c'est pour un remerciement.

Dédié "aux signalés et à leurs enfants", le livre s'achève sur la mention "A suivre..."



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