LU & approuvé
Ce dimanche 15 mai, on va voter au Liban. Ces élections législatives changeront-elles quelque chose dans ce pays malmené par les guerres, les religions, la corruption pouvant entraîner de terribles accidents comme l'explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 (lire ici)?
Pas sûr à lire les observateurs. Elles sont néanmoins une bonne occasion de s'intéresser à ce pays et à ses habitudes. L'excellent roman pour ados "Ma petite bonne" de Jean-François Chabas (Talents hauts, collection "Les héroïques", 220 pages) constitue une parfaire introduction à la société libanaise. Aux sociétés libanaises plutôt. Certes, il se déroule en 1993, il y a presque trente ans. Mais la Kafala, l'esclavage de petites bonnes étrangères achetées par les familles, n'a pas encore disparu. Et le racisme viscéral y est toujours bien présent. Le roman d'une prise de conscience du mépris de classe.
"L'origine de ce roman est ancienne", explique Jean-François Chabas, multi-romancier jeunesse né en 1967. "J'étais un très jeune homme que les hasards de la vie faisaient vivre "en famille" avec des Libanais, quand j'ai entendu parler de la façon dont on traitait les domestiques étrangers - singulièrement les "petites bonnes" - au Moyen-Orient. Certaines paroles, certaines pratiques évoquées à propos de ces jeunes Philippines, Indiennes ou Éthiopiennes me mettaient extrêmement mal à l'aise et sont restées gravées dans ma mémoire. La Kafala est bien une forme d'esclavage, qui perdure aujourd’hui, tant dans les faits que dans les mentalités. Mais la gravité de ce qui est commis là-bas ne doit pas nous exonérer de nos propres responsabilités, car si la France leur offre une meilleure protection légale, elle ne protège pas les domestiques immigrées contre les humiliations".
Le titre est au singulier car on va suivre Ife, jeune Éthiopienne au visage tatoué et à la docilité têtue, dans le récit de Nada, 17 ans. Mais le roman dénonce avec vigueur l'état de toutes les "petites bonnes" du Liban, esclaves modernes d'autant plus maltraitées qu'elles n'ont pas la bonne couleur de peau aux yeux de la bonne société qui les achète sans frémir. "Ma petite bonne" est un long-flash-back de presque trente ans, débutant en 1993, à l'arrivée de celle qui sera la "petite bonne" de la famille.
Nada à Beyrouth vit avec sa mère veuve, son père étant mort à la guerre, et Habib, son frère de 15 ans, chez la grand-mère maternelle. L'épouvantable Teta qui règne sur la famille, forte de ses convictions et de ses traditions, raciste décomplexée et tranquillement violente. Chez elle - comme partout-, personne ne bouge, personne ne conteste. C'est comme ça depuis toujours. Nada partage les vues de son aïeule. Elle est jeune, elle a envie de s'amuser. Elle n'a surtout pas envie d'avoir sa conscience bousculée par ce qu'elle voit Ife subir.
Jean-François Chabas explore en détail la part sombre de cette ado avide de vivre dans une ville perpétuellement sous stress. La guerre civile est encore très présente. La narratrice ne se ménage pas dans sa longue confession, s'en prenant même à son frère sensible aux droits d'Ife. Que de ravages à cause de ce racisme viscéral omniprésent! Sans parler du machisme invétéré. Nada se raconte et en même temps se peint un Liban extrêmement bien décrit, classes sociales, partis, religions, empêtré dans son passé et son présent, aveugle aux changements nécessaires. Jusqu'au jour du drame de trop, qui va dessiller la narratrice et lui faire revoir ses positions, où elle va se découvrir un courage inouï pour défendre la cause qui lui paraît désormais juste des "petites bonnes". Extrêmement prenant jusque-là, le roman affiche toutefois une petite baisse de régime lorsqu'il balaie en quelques pages les quinze années suivantes de la famille pour se raccrocher à aujourd'hui. Il livre toutefois là une observation très juste d'autres sujets problématiques de la société libanaise. A partir de 13 ans.
Les cinq premières pages de "Ma petite bonne". (c) Talents hauts. |
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