Tout a commencé bêtement. Par l'image ci-dessus, trouvée dans un mail:
"Par son mode opératoire énigmatique, le photographe
Simon Vansteenwinckel crée un démontage troublant de nos a priori. Nous ne savons plus où nous
sommes. La ville est bien celle de Wuhan, aujourd'hui mondialement connue.
Mais était-ce avant ou après la pandémie? A quel moment le photographe s'y
est-il perdu? Y est-il jamais allé? Le texte du philosophe et poète
Johan Grzelczyk, qui
accompagne les images, nous fait glisser peu à peu dans cette nuit
artificielle et scintillante."
Et puis, il y a eu un autre mail, accompagné d'une autre photo, tout aussi belle, tout aussi énigmatique, tout aussi intrigante: "Dès les premières pages, le doute plane... Les images paraissent réelles, et pourtant fantomatiques. Elles sont belles, trop exposées, irradiées quelquefois. Il semble que le photographe a utilisé une pellicule particulière. Un filtre ou un film ultrasensible?"
"Wuhan Radiography". (c) Editions Light Motiv. |
Qu'était donc ce livre,
"Wuhan Radiography", signé du
photographe
Simon Vansteenwinckel
et du poète
Johan Grzelczyk
(Editions Light Motiv, 100 pages avec 52 photos)? Une rapide recherche
m'apprend que le photographe et moi partageons la même nationalité belge.
Très vite, je découvre le procédé de ce mode opératoire énigmatique, des
images argentiques sur film Washi F (film de radiographie médicale) prises
sur un écran présentant des promenades virtuelles, Google Street View en
l'occurrence. Dingue! Séduisant! Mystérieux!
Je n'étais pas au bout de mes surprises!
"Wuhan Radiography" est arrivé par la
poste un beau matin avec sa reliure cousue apparente et sa couverture sous
forme d'une jaquette en rhodoïd translucide bleuté imprimé. Une merveille!
L'ouvrage est conçu comme un livre-objet. Un bloc d'images de
Simon Vansteenwinckel
se lit d'abord comme un photo-roman sibyllin. Ensuite vient un bloc texte en
trois langues, français, anglais, chinois, fixé par la reliure cousue, les
mots que
Johan Grzelczyk a
écrits en écho aux photographies. La dernière page dévoile le secret des
photos.
Performance technique, aboutissement au-delà de tous les espoirs d'une idée arrivée comme ça, merveille du point de vue artistique, philosophique même, soigné dans ses moindres détails, "Wuhan Radiography" est un livre parfaitement réussi qui a su pousser son sujet et sa manière au plus loin possible. La ville de Wuhan est là avec ses habitants saisis dans leurs vies, dans leurs rues. On pense que ce sont des scènes de jour, mais ce halo qui apparaît parfois, est-ce la nuit, autre chose, un autre temps? Le grain de l'impression, le flou qui mérite grandement son appellation d'artistique, la succession des photos superbement mises en page, s'épanouissant sur leur espace de papier clair, nous troublent, nous questionnent. Voit-on ce qu'on croit voir? Les mots bleus du poète Johan Grzelczyk achèvent de nous déstabiliser tout en nous obligeant à nous interroger car c'est de notre monde qu'il s'agit.
"Wuhan Radiography". (c) Editions Light Motiv. |
Ci-dessous, trois doubles pages de "Wuhan Radiography", mettant admirablement en valeur les photos et leur donnant le rythme d'un "roman-photo" dont on tourne les pages avec avidité. A la différence qu'on est ici confronté à une expression artistique entre poésie et philosophie.
On ne peut que penser au "photo-roman" de Chris Marker, "La Jetée", ce film
expérimental réalisé il y a soixante ans où Chris Marker interrogeait la
mémoire, le présent et le futur. Ici les photos sont numériques mais le futur
semble aussi s'être déjà emparé de la ville de Wuhan. Un futur menaçant.
Qu'allons-nous en faire à l'heure où les distances n'existent plus?
"J'aime cette idée d'utilisation détournée", explique Simon
Vansteenwinckel,
"comme une radiographie personnelle et déformée de ce lieu, une image
fantasmée et poétique, une vision tronquée, mais aussi une certaine forme
d'exorcisme."
Performance technique
Quelle performance que d'arriver à imprimer en offset ce livre né d'une idée
un peu folle! Mais il est là, d'une beauté inouïe. Sa fabrication fut
complexe, on s'en doute. Eric Le Brun, le directeur des Editions Light Motiv
en a confié les étapes sur les réseaux sociaux:
"Nous avons terminé cette semaine l'impression entre Toulouse et
Roeselare (en Belgique).
Le bloc texte et images a été validé sur les presses de l'imprimerie
Escourbiac.
Pour conserver le contraste des photographies de Simon Vansteenwinckel et
"ouvrir" le gris, nous avons choisi d'imprimer en bichromie, et ajouté un
Pantone bleu pour lire le texte de Johan Grzelczyk traduit en anglais et
chinois.
Le bloc sera ensuite cousu avec un fil bleu roi suivant le rythme épuré
de la reliure japonaise.
La jaquette qui simule une radiographie jusqu'au détail de l'encoche a
finalement été produite en Belgique chez Crea, une entreprise spécialisée
en impression sur PVC, et le résultat transcrit fidèlement notre idée
initiale en conservant une transparence suffisante.
Reste maintenant à envoyer les jaquettes à Toulouse pour couvrir les
mille livres…"
Ce qui fut fait.
Chez l'imprimeur Escourbiac. |
Une jaquette de Crea Print. |
Et en cerise, une vidéo (ici)!
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