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dimanche 9 novembre 2025

Le monde tel que l'a vu Robert Doisneau

Georges Simenon au musée Grevin, Paris, 4 septembre 1962.
(c) Atelier Robert Doisneau.

À Liège vient de s'ouvrir une magnifique exposition consacrée à Robert Doisneau (14 avril 1912 - 1er avril 1994). La photo du "Baiser de l'hôtel de ville"? Oui, bien sûr. Oui, mais non, car cette photo célébrissime est l'arbre qui cache la forêt qu'est l'œuvre du photographe de Montrouge. Une œuvre aussi immense que variée qui est splendidement mise en valeur à la Boverie. "Instants donnés" se veut une rétrospective d'envergure de l'artiste. Inaugurée et présentée au musée Maillol parisien du 17 avril au 19 octobre de cette année, elle est complétée dans sa déclinaison liégeoise d'un volet belge riche de 45 clichés. Des liens de Robert Doisneau avec l'écrivain du crû Georges Simenon aux reportages sur l'Expo 58 à Bruxelles.

Les puristes auront remarqué un changement de visuel pour l'affiche. Ils ont l'œil. Le gamin prêt à sauter à Paris ("Le saut", 1936) a été remplacé pour la halte belge par le musicien et touche-à-tout Maurice Baquet, grand ami du photographe, protégeant son instrument de la pluie ("Le violoncelle sous la pluie", 1957). "Cette photo offre une vision du surréalisme à la belge", estime Elisabeth Fraipont, échevin de la Culture à la ville de Liège. "Un geste symbolique à l'heure où la culture est galvaudée. Il est de notre devoir de la défendre."
 
 

Robert Doisneau à la Boverie: ateliers d'artistes. (c) Tempora.

Robert Doisneau à la Boverie: écrivains. (c) Tempora.

On n'avait plus vu de photos de Robert Doisneau en Belgique depuis l'exposition qui s'était tenue au musée d'Ixelles, portant simplement son nom, du 19 octobre 2017 au 4 février 2018 (lire ici). Huit ans! C'était long mais l'attente est diantrement bien récompensée. Non seulement cette exposition est pharaonique: plus de 400 photos sont présentées ici, une infime part en réalité, un petit millième, des 450.000 négatifs que compte son œuvre! Mais elle offre un regard nouveau sur le travail de l'immense photographe qu'il a été. Datés de 1934 à 1992, les clichés couvrent quasiment l'intégralité de son travail. Ils présentent toutes les facettes de son œuvre, celles qu'on connaît bien, les enfants, les portraits d'écrivains et les ateliers d'artistes, et aussi celles qu'on connaît moins, les hommes et les femmes au travail, les banlieues, la difficulté de vivre… On les découvre avec un immense bonheur. Derrière chaque cliché, on retrouve l'œil de Robert Doisneau, qui a fixé un instant et nous le présente dans sa beauté. Parfois avec malice, parfois pour témoigner. En noir et blanc ou en couleurs, ses photos respirent de son humanité. Que ses sujets appartiennent à la haute société française ou jouent aux cartes dans un bistrot. Qu'il s'agisse de commandes ou de créations, c'est le monde tel que l'a vu Doisneau, disparu il y a déjà trente ans.

Galibots, Lens, 1945. (c). Atelier Robert Doisneau.


Francine Deroudille et Annette Doisneau,
les deux filles de Robert Doisneau. (c) Tempora.
Comment le choix de ces "Instants donnés" s'est-il fait? Benoît Remiche, patron de l'agence Tempora qui organise l'exposition, s'en explique: "Nous avions depuis longtemps le désir d'exposer Robert Doisneau. L'occasion a été un article du "Monde" (NDLR: du 12 novembre 2023 par Benoît Hopquin, "Robert Doisneau, ce père, ce héros", décrivant le travail d'Annette et Francine, les deux filles de Robert Doisneau). Contact a été pris avec elles deux. Avec Isabelle Benoit, nous sommes allés les voir à l'atelier de Montrouge, où elles font vivre le travail de leur père, avec l'idée de montrer toutes les dimensions du travail de Robert Doisneau." En est né un commissariat collectif composé de lui-même et Isabelle Benoit pour Tempora, Annette Doisneau et Francine Deroudille, ainsi que des scénographes Peter Logan et Flora Peyrot.

Robert Doisneau à La Boverie: les années "Vogue". (c) Tempora.

Effectivement, on n'avait jamais vu autant de diversité dans une expo Doisneau. Les photos apparaissent selon une dizaine de thématiques dont les titres sont issus du classement de l'agence Rapho - Atelier Doisneau ensuite: 70 clichés pour Enfance, 40 pour les Ateliers d'artistes et les années Vogue, 30 portraits d'Ecrivains, 30 clichés de Bistrots, mais aussi 70 photos intitulées Gravités. Sans oublier les 45 clichés de la Belgique lors de reportages qui ont eu lieu entre 1956 et 1970 et d'autres surprises comme des photomontages. Au fil de la découverte, on rencontrera aussi des objets, et pas seulement le Rolleyflex et le Leica iconiques, et des documents, ainsi que des dispositifs interactifs.

Caniveau en crue, Paris,1934. (c) Atelier Robert Doisneau.

Chaque section de l'exposition bénéficie de cimaises aux couleurs particulières. Chaque fois une amorce forte, portée par un bref texte, et sa déclinaison en diverses propositions. Ici, des mots de Doisneau imprimés interpellent le visiteur, là on entend sa voix tellement reconnaissable dans des séquences audiovisuelles. Lui qui disait "Dans le fond, le photographe, comme ce qu'il emploie, doit être une surface sensible" nous prend par le coude et nous invite à laisser nos références pour mieux regarder les miroirs qu'il nous tend du monde qui a été le sien.
 
Nicolas Schoffer à Liège le 27 mars 1962.
 (c) Atelier Robert Doisneau.
Au fil des salles, on croise des gamins anonymes et spontanés qui blaguent, jouent, expérimentent, dessinent, vont à l'école ou rêvent. Un nombre incroyable d'artistes et d'écrivains du XXe siècle, chacun mis en scène dans une façon qui lui sied. Du travail de commande pour des publicités, des magazines et des couvertures de livres. Les malicieuses séries où des visiteurs sont vus face à une œuvre d'art. Le questionnement sur l'humanité dans les années "Vogue" comme dans les escapades en banlieue. Dans le volet belge, on est surtout frappé par les vues de Nicolas Schöffer et de sa Tour cybernétique. Impossible par contre de ne pas être touché par les photos intitulées "Gravités". Aucun misérabilisme mais une approche empathique de toute beauté de sujets durs comme le travail à la mine ou à l'usine, les manifestations ou les grèves, dans une époque qui ne l'était pas moins. Robert Doisneau a toujours su débusquer la vie et l'humain partout où il se promenait, sempiternellement accompagné de son appareil photo.
 
Robert Doisneau à La Boverie: Gravités. (c) Tempora.
 
Pour le plaisir, les premiers mots de l'entretien que Robert Doisneau m'avait accordé en 1993 (lire ici).
- Vous avez besoin de piles? Parce que j'en ai.
- Vous êtes habitué à ce que des journalistes tombent en panne de piles?
- Oui, j'ai toujours des piles ici.
- Quelle sollicitude!
-
(rires) Moi aussi quand je vais faire des photos et que mon flash ne marche pas, on prend des piles dans le transistor de la concierge de l'immeuble. Ça ne fait pas très reporter international, mais je trouve ça marrant. Ces contacts bonnement humains, c'est bien. Je ne sais pas ce que vous voulez savoir. Ça tombe bien, parce que comme je ne sais rien à rien, vous êtes tombée sur un spécialiste. (rires)
 
Pratique
Quoi? "Instants donnés" de Robert Doisneau.
Où? La Boverie, Parc de la Boverie - 4020 Liège
Quand? Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures, jusqu’au 19 avril 2026 (fermé le 25 décembre et le 1er janvier, fermeture à 16h30 les 24 et 31 décembre).
Combien? Standard: 16,50 €; Jeune de 6 à 25 ans: 11 €; Enfant de moins de 6 ans: gratuit; Pack Famille (4 personnes, 2 adultes et 2 jeunes): 45 €; autres tarifs sur le site.
Quoi d'autre?
  • Catalogue de l'exposition avec nouvelle photo de couverture et supplément belge broché de 48 pages: "Instants donnés" (Tempora, 288 pages richement illustrées, 38 euros).
  • Guide de l'enseignant pour préparer et approfondir la visite (44 pages, à télécharger ici).
  • Livret-Jeux pour les enfants (22 pages, gratuit).


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