Ce qui est magnifique avec le premier roman de Sylvie Le Bihan, "L'Autre" (Seuil, 200 pages), c'est qu'il porte enfin en littérature, et de quelle manière, aussi chirurgicale qu'empathique, le sujet du pervers narcissique. Un thème jusqu'ici boudé par les écrivains mais qui semblait à la portée de tout auteur de livre de développement personnel venu... "L'Autre" prend à la gorge mais en même temps fait du bien et rassure. Il est donc bel et bien possible de revivre après une telle expérience.
La primo-romancière française a eu l'excellente idée de mettre en scène dans un contexte historique original deux femmes battues, l'une moralement, l'autre moralement et physiquement: Emma, la Française, et Maria, la Mexicaine installée aux Etats-Unis. Habitant chacune à un bout du monde, elles vont toutefois se rencontrer à New York lors de la commémoration des dix ans des attentats du 11 septembre 2001. Chacune y a perdu son mari. Ce fil rouge historique du "Nine Eleven" tient remarquablement ce roman dans lequel on voyage beaucoup. Dans le monde, de Strasbourg à New York, en passant par Londres, Paris, Las Vegas, East Hampton... Et dans le temps, entre la cérémonie de 2011, les attentats de 2001 et les années antérieures.
"J'avais cette histoire en moi, surtout celle d'Emma", me dit Sylvie Le Bihan, de passage à Bruxelles. "Le manuscrit était énorme. Un ami m'a conseillé de me concentrer sur l'histoire du mari, jamais traitée en littérature. J'en avais aussi marre de tous ces portraits de maris décédés qu'on a vus affichés au World Trade Center. Etaient-ils vraiment tous formidables? N'y avait-il aucun salaud parmi les 3.000 personnes mortes?"
Cette période de victimisation n'était pas pour plaire à celle qui place dans sa littérature le côté sombre dont elle a besoin pour vivre. Dans son histoire, le mari est tué. "Par rapport au mort, je pouvais me taire ou parler", dit-elle. Elle a choisi d'écrire les histoires d'Emma et de Maria et de leurs conjoints. "J'ai fait le choix littéraire de deux femmes fortes. Le harcèlement moral est aussi répandu chez les hommes que chez les femmes au travail. Il touche 3 % de la population. Mais dans un couple, c'est le plus souvent l'homme qui est le harceleur." En Bretagne, Sylvie Le Bihan est la voisine de Marie-France Hirigoyen, la spécialiste du harcèlement et des manipulations.
Avec Maria, l'auteure fait le parallèle entre la violence physique et la violence psychique: "La violence physique vient en écho à la violence psychique qui n'est pas encore reconnue. On se dit: ça va, il n'a pas frappé. Mais c'est un poison totalement destructeur."
Emma, elle, est inspirée par une grand-tante, qui a beaucoup souffert d'un mari violent. "Je ne les ai pas connus, mais ma grand-mère m'a raconté leur histoire - elle et sa sœur sont Bretonnes et pied-noir, elles menaient leurs maris à la baguette. Chez elles, il n'y a pas de secrets de famille!"
Dans "L'Autre", écrit au scalpel mais sans rage, on assiste à la rencontre des deux femmes qui ne se connaissaient pas au départ mais se sont "reconnues". On découvre leurs histoires, terribles. Comment elles s'en sont sorties et comment elles les considèrent chacune dans leur rétroviseur. C'est dur souvent, insoutenable parfois, effrayant et nécessaire. Car les pervers narcissiques sont parmi nous mais, souvent, on n'en repère les signaux qu'après. Leur mécanisme est simple: séduire pour mieux détruire.
Pour les victimes, même dix ans après les faits, un mot peut toujours ressembler toujours à une brûlure. "Je pense que les femmes vont parler de mon roman, l'offrir", ajoute encore l'écrivaine. Car le livre est bien un roman et un beau roman dont on a envie de tourner les pages. "Ici, le pervers narcissique est au niveau ultime. Mais mon livre permettra de dire: si vous êtes à la phase 1, attention. Comme les contes étaient un avertissement, je veux que ce roman en soit un. Le livre est très cruel parce que la vie est comme ça. Il y a une différence entre secret et mensonge. Emma est tombée dans le mensonge parce qu’elle n’a pas voulu (ou pas pu) dire son secret. Maria, elle, a des secrets à partager et doit décider du moment elle-même."
"L'Autre" est écrit à la deuxième personne du singulier: "Mais à la fin, Emma dit "je". Avant cela, elle ne peut pas. C'est avec Maria qu'elle commence son deuil." Cet Autre jamais nommé, dont le prénom n'apparaît qu'à la dernière ligne du livre. "Marie-France Hirigoyen explique que les femmes ne peuvent pas prononcer le prénom tant que le deuil n'est pas fait. Le nommer représente trop d'intensité. Comme dans "L'Autre", la seule solution est de fuir. Je n'ai pas trouvé de psychothérapeute pour soigner cela."
Actuellement Sylvie Le Bihan est en train d'écrire la suite de l'histoire d’Emma: "Elle n'a toujours rien compris. Elle ne mérite pas ça. Elle est moderne. Elle s’affranchit mais reste dans le rang." A suivre donc.
La primo-romancière française a eu l'excellente idée de mettre en scène dans un contexte historique original deux femmes battues, l'une moralement, l'autre moralement et physiquement: Emma, la Française, et Maria, la Mexicaine installée aux Etats-Unis. Habitant chacune à un bout du monde, elles vont toutefois se rencontrer à New York lors de la commémoration des dix ans des attentats du 11 septembre 2001. Chacune y a perdu son mari. Ce fil rouge historique du "Nine Eleven" tient remarquablement ce roman dans lequel on voyage beaucoup. Dans le monde, de Strasbourg à New York, en passant par Londres, Paris, Las Vegas, East Hampton... Et dans le temps, entre la cérémonie de 2011, les attentats de 2001 et les années antérieures.
Sylvie Le Bihan. (c) A. di Crollalanza. |
Cette période de victimisation n'était pas pour plaire à celle qui place dans sa littérature le côté sombre dont elle a besoin pour vivre. Dans son histoire, le mari est tué. "Par rapport au mort, je pouvais me taire ou parler", dit-elle. Elle a choisi d'écrire les histoires d'Emma et de Maria et de leurs conjoints. "J'ai fait le choix littéraire de deux femmes fortes. Le harcèlement moral est aussi répandu chez les hommes que chez les femmes au travail. Il touche 3 % de la population. Mais dans un couple, c'est le plus souvent l'homme qui est le harceleur." En Bretagne, Sylvie Le Bihan est la voisine de Marie-France Hirigoyen, la spécialiste du harcèlement et des manipulations.
Avec Maria, l'auteure fait le parallèle entre la violence physique et la violence psychique: "La violence physique vient en écho à la violence psychique qui n'est pas encore reconnue. On se dit: ça va, il n'a pas frappé. Mais c'est un poison totalement destructeur."
Emma, elle, est inspirée par une grand-tante, qui a beaucoup souffert d'un mari violent. "Je ne les ai pas connus, mais ma grand-mère m'a raconté leur histoire - elle et sa sœur sont Bretonnes et pied-noir, elles menaient leurs maris à la baguette. Chez elles, il n'y a pas de secrets de famille!"
Dans "L'Autre", écrit au scalpel mais sans rage, on assiste à la rencontre des deux femmes qui ne se connaissaient pas au départ mais se sont "reconnues". On découvre leurs histoires, terribles. Comment elles s'en sont sorties et comment elles les considèrent chacune dans leur rétroviseur. C'est dur souvent, insoutenable parfois, effrayant et nécessaire. Car les pervers narcissiques sont parmi nous mais, souvent, on n'en repère les signaux qu'après. Leur mécanisme est simple: séduire pour mieux détruire.
Pour les victimes, même dix ans après les faits, un mot peut toujours ressembler toujours à une brûlure. "Je pense que les femmes vont parler de mon roman, l'offrir", ajoute encore l'écrivaine. Car le livre est bien un roman et un beau roman dont on a envie de tourner les pages. "Ici, le pervers narcissique est au niveau ultime. Mais mon livre permettra de dire: si vous êtes à la phase 1, attention. Comme les contes étaient un avertissement, je veux que ce roman en soit un. Le livre est très cruel parce que la vie est comme ça. Il y a une différence entre secret et mensonge. Emma est tombée dans le mensonge parce qu’elle n’a pas voulu (ou pas pu) dire son secret. Maria, elle, a des secrets à partager et doit décider du moment elle-même."
"L'Autre" est écrit à la deuxième personne du singulier: "Mais à la fin, Emma dit "je". Avant cela, elle ne peut pas. C'est avec Maria qu'elle commence son deuil." Cet Autre jamais nommé, dont le prénom n'apparaît qu'à la dernière ligne du livre. "Marie-France Hirigoyen explique que les femmes ne peuvent pas prononcer le prénom tant que le deuil n'est pas fait. Le nommer représente trop d'intensité. Comme dans "L'Autre", la seule solution est de fuir. Je n'ai pas trouvé de psychothérapeute pour soigner cela."
Actuellement Sylvie Le Bihan est en train d'écrire la suite de l'histoire d’Emma: "Elle n'a toujours rien compris. Elle ne mérite pas ça. Elle est moderne. Elle s’affranchit mais reste dans le rang." A suivre donc.
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