Nadine Gordimer en 2010. (c) Bengt Oberger. |
L'immense romancière sud-africaine Nadine Gordimer, prix Nobel de littérature 1991 et vachement engagée dans la lutte contre l'apartheid, est morte chez elle, dans sa maison de Johannesburg, ce dimanche 13 juillet 2014. Elle avait 90 ans, qui l'aurait cru? "Ses plus grandes fiertés", rappellent ses enfants dans un communiqué, "n'étaient pas seulement d'avoir reçu le prix Nobel de littérature en 1991, mais aussi d'avoir témoigné à un procès en 1986, contribuant à sauver la vie de 22 membres de l’ANC, tous accusés de trahison."
Née le 20 novembre 1923, l'écrivaine était la fille d'immigrants juifs venus d'Europe de l’Est. Sud-Africaine, elle avait toujours refusé de quitter son pays, même aux heures les plus sombres de l'apartheid, mis en place entre 1948 et 1994.
Auteur de quinze romans et de nombreux recueils de nouvelles, elle a ausculté les maux de sa société d'une plume magnifique, sobre et sans concession. Sans hésiter jamais à pointer les défauts du nouveau pouvoir des successeurs de Nelson Mandela.
J'avais eu l'immense joie, et le privilège, d'interviewer Nadine Gordimer en 2007, pour la sortie en français de son roman "Bouge-toi!" (traduit de l'anglais par Georges Lory et Marie Lory, Grasset, 2007).
Je tremblais à l'idée de la rencontrer, mais elle m'a tout de suite souri et posé ses yeux si bons sur l'impressionnée que j'étais. Je me suis détendue et je garde un souvenir magnifique de cette rencontre parisienne. En voici le compte-rendu.
Petite, frêle mais droite, Nadine Gordimer a le regard pénétrant, le verbe net et clair. Qui croirait que cette belle dame, Nobel de littérature 1991, est largement octogénaire? D'autant que son dernier livre alors paru, "Bouge-toi!" traite d'écologie, sujet bien d'actualité - depuis, sont sortis en français "Beethoven avait un seizième de sang noir" (traduction de Georges Lory, Grasset, 2010), "Récits de vie (1954-2008)" (traduction par Philippe Delamare, Grasset, 2012) et "Vivre à présent" (traduction de David Fauquemberg, Grasset, 2013).
La doyenne de la littérature sud-africaine me reçoit dans un hôtel parisien où ses phrases au délicieux accent anglais sonnent harmonieusement dans le décor fleuri.
"Get a life", son quatorzième roman, remarquable, traduit par un approximatif "Bouge-toi!", est l'histoire d'un "lépreux moderne". Un écologiste sud-africain, opposant acharné à un réacteur nucléaire, devient, le temps d'un traitement médical contre un cancer de la thyroïde, une mini-centrale nucléaire à lui tout seul. Inconcevable sauf sous la plume vive de Nadine Gordimer. "Je me soucie beaucoup d'écologie et des questions environnementales", plaide celle qui a glissé trois éléments réels dans son roman. "A côté du Cap, il y a une centrale nucléaire à boulets, juste à côté des gens. Par ailleurs, une très belle partie de la côte est menacée par une société australienne qui, avec l'accord du gouvernement, veut en exploiter le sous-sol, en détruisant les dunes où habitent des pêcheurs, un lieu particulièrement riche pour sa biodiversité. Enfin, il y a des terres humides qui risquent d'être asséchées pour des raisons économico- industrielles."
Durant la quarantaine où il ne peut approcher personne et surtout pas ses proches, Paul s'installe chez ses parents. L'occasion pour lui de faire le point sur le couple qu'il forme avec sa femme, Bennie en privé, Berenice en public. "L'opposition des deux noms symbolise la différence qu'il y a chez elle: dans la vie, elle est Bennie, la compagne d'un militant écologiste; dans son agence de publicité, elle est connue en tant que Berenice, prénom qui en impose davantage." Ce double nom permet à Paul de ressentir la coupure dans leur relation de couple. Les différences entre eux existaient avant mais "c'est au moment où il est en retraite, où il pense, où il interroge sa vie, qu'il en prend conscience."
Cette quarantaine va bouleverser les existences, ainsi l'a voulu l'énergique Nadine Gordimer.
Si l'arrêt obligé est pour le jeune couple l'occasion d'un nouveau départ, sur d'autres bases, il n'en sera pas de même pour le couple des parents, mais c'est une autre histoire. Comme il y a plein d'autres histoires, dont les retrouvailles mère-fils, dans ce superbe roman multiple où le particulier intervient sur le collectif, et vice versa, où se superposent en tout ou en partie destins privés et causes nationales. "Tous, nous sommes influencés par ce qui arrive dans le monde", pense la romancière, "et pas seulement par ce qui se passe dans notre entourage immédiat. Cela finit par faire partie de nous. Mais peut-être suis-je particulièrement sensible à cela en raison du grand nombre d'années où j'ai subi l'apartheid... A cette période, la loi affectait la vie personnelle, quotidienne, de chacun, jusque dans ses aspects les plus intimes. Il était ainsi interdit d'avoir une relation amoureuse avec quelqu'un d'une autre couleur. J'ai eu deux amis proches qui, pour cette raison, sont allés en prison. Est-ce imaginable?"
Tout au long de ces pages limpides et fluides, Nadine Gordimer marie l'eau et le feu. Dans son couple de personnages, avec lui qui est dans l'écologie et elle dans la publicité. Dans le rapport étroit qu'elle établit entre maladie et vie, amour et désamour, guérison et contamination. "La vie est pleine de contradictions au sein de nos comportements, et dans ses circonstances mêmes", analyse-t-elle. "Durant la majeure partie du livre, Paul interroge sa vie, activement." Un mécanisme lié aux femmes qui l'entourent: "La personne importante dans sa vie, c'est sa mère. Bennie n'est pas très importante. Elle est presque elle-même une création d'agence de publicité!"
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