Retrouver ses notes trop longtemps après les avoir griffonnées et ne plus trop savoir si elles débutent par des infos ou des blagues (*).
Je sais, c'est ma faute, c'est ma faute, c'est ma très grande faute.
Je lis donc, écrit de ma main: "55 ans - 95 kilos - 5772 amants", dans les pages libres à l'arrière du dernier livre en date d'Alex Taylor, le magnifique "Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois?" (JC Lattès, 232 pages). Bigre...
Le titre un peu étrange s'explique dès les premières pages: c'est la seule toile connue du peintre anglais de l'ère victorienne William Frederick Yeames, "And when did you last see your father?" Un tableau qui a fasciné l'auteur petit. "Si, à l'époque, j'avais compris pourquoi cette scène m'avait tellement rivé sur place, je ne pense pas que j'aurais écrit ce livre...", note Alex Taylor, concocteur, durant l'année, de la revue de presse internationale sur France Inter chaque matin tôt - avant 7 heures.
Officiellement, ce troisième livre d'Alex Taylor est consacré à son père, veuf remarié, atteint de la maladie d'Alzheimer - dementia pour les Britanniques. Après l'intro sur le tableau, il débute pour de vrai avec la phrase "Mon père possédait de vieilles pendules".
En réalité, c'est sa vie entière que le journaliste britannique, installé en France depuis trente ans, Européen convaincu, nous raconte. Son identité d'homosexuel, son déracinement aussi. Né dans une famille considérée comme moderne, le gamin a grandi dans un village des Cornouailles. On se remémore en le lisant les années Thatcher, sans doute oubliées. Etre homosexuel était illégal alors! "J'ai su à sept ans que j'étais gay et j'ai eu la force de partir vivre ailleurs pour cela", me dit-il. "J'ai grandi avec les lois homophobes de Thatcher."
En parallèle, il déroule la vie de ses parents, l'officielle et l'officieuse. Les découvertes qu'il a faites adulte alors que tout se trouvait devant lui enfant. "Les réponses sont souvent cachées dans les endroits les plus simples", glisse-t-il dans son texte, en avertissement au lecteur. Encore faut-il avoir les questions...
A la fin de ce livre aussi remarquable que touchant, on aura eu le portrait de magnifiques personnes, celui de la société britannique de l'époque et différentes manières de lui échapper. Une réflexion et un jeu sur le temps par un étudiant en littérature française à Oxford qui n'a jamais lu Proust! "Les pendules sont un élément de construction. Je joue avec le temps comme mon père jouait avec les pendules qu'il collectionnait", m'explique l'écrivain.
Si "Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois?" a opté pour la forme du récit, on y trouve toutefois une vraie construction. Le cheminement chronologique dans le puzzle familial est pimenté d'éléments contemporains comme un voyage dans l'Eurostar. "Je voulais du sens et du suspense au livre aussi", plaide Alex Taylor. "Un jour, je me suis levé et j'ai bougé de place tout ce que j'avais écrit précédemment." Cette version est devenue ce très beau livre.
Cinq questions
à Alex Taylor
Comment est-né ce livre?
Vous avez écrit ce livre en français.
Avez-vous eu des surprises en l'écrivant?
Vous vous présentez toujours comme un Européen.
Vous vous intéressez constamment aux mots et aux langue.
(*) Ah oui. Mes notes... C'était tout simplement trois extraits du livre. Une manière de se présenter différente de l'habituelle, pour Alex Taylor!
Je sais, c'est ma faute, c'est ma faute, c'est ma très grande faute.
Je lis donc, écrit de ma main: "55 ans - 95 kilos - 5772 amants", dans les pages libres à l'arrière du dernier livre en date d'Alex Taylor, le magnifique "Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois?" (JC Lattès, 232 pages). Bigre...
Le titre un peu étrange s'explique dès les premières pages: c'est la seule toile connue du peintre anglais de l'ère victorienne William Frederick Yeames, "And when did you last see your father?" Un tableau qui a fasciné l'auteur petit. "Si, à l'époque, j'avais compris pourquoi cette scène m'avait tellement rivé sur place, je ne pense pas que j'aurais écrit ce livre...", note Alex Taylor, concocteur, durant l'année, de la revue de presse internationale sur France Inter chaque matin tôt - avant 7 heures.
"And when did you last see your father?", de William Frederick Yeames. |
Officiellement, ce troisième livre d'Alex Taylor est consacré à son père, veuf remarié, atteint de la maladie d'Alzheimer - dementia pour les Britanniques. Après l'intro sur le tableau, il débute pour de vrai avec la phrase "Mon père possédait de vieilles pendules".
En réalité, c'est sa vie entière que le journaliste britannique, installé en France depuis trente ans, Européen convaincu, nous raconte. Son identité d'homosexuel, son déracinement aussi. Né dans une famille considérée comme moderne, le gamin a grandi dans un village des Cornouailles. On se remémore en le lisant les années Thatcher, sans doute oubliées. Etre homosexuel était illégal alors! "J'ai su à sept ans que j'étais gay et j'ai eu la force de partir vivre ailleurs pour cela", me dit-il. "J'ai grandi avec les lois homophobes de Thatcher."
En parallèle, il déroule la vie de ses parents, l'officielle et l'officieuse. Les découvertes qu'il a faites adulte alors que tout se trouvait devant lui enfant. "Les réponses sont souvent cachées dans les endroits les plus simples", glisse-t-il dans son texte, en avertissement au lecteur. Encore faut-il avoir les questions...
A la fin de ce livre aussi remarquable que touchant, on aura eu le portrait de magnifiques personnes, celui de la société britannique de l'époque et différentes manières de lui échapper. Une réflexion et un jeu sur le temps par un étudiant en littérature française à Oxford qui n'a jamais lu Proust! "Les pendules sont un élément de construction. Je joue avec le temps comme mon père jouait avec les pendules qu'il collectionnait", m'explique l'écrivain.
Si "Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois?" a opté pour la forme du récit, on y trouve toutefois une vraie construction. Le cheminement chronologique dans le puzzle familial est pimenté d'éléments contemporains comme un voyage dans l'Eurostar. "Je voulais du sens et du suspense au livre aussi", plaide Alex Taylor. "Un jour, je me suis levé et j'ai bougé de place tout ce que j'avais écrit précédemment." Cette version est devenue ce très beau livre.
Alex Taylor. |
à Alex Taylor
Comment est-né ce livre?
Mon éditrice voulait un livre sur le déracinement. "Vous êtes la personne pour l'écrire", m'a-t-elle dit. J'ai essayé de faire un roman. Je ne sais pas en écrire, malgré mon diplôme en littérature française obtenu à l'université d'Oxford. Par contre, des récits, oui, je sais en faire. Quand mon père est tombé malade, j'ai ressenti davantage le déracinement. Son décès a été la perte définitive de mes racines. J'en ai eu la révélation deux ou trois mois après sa mort. Mais je n'ai pas d'enfant et j'ai éprouvé également une sensation de libération.
Vous avez écrit ce livre en français.
J'ai voulu parler de la mort de mon père comme si quelqu'un d'autre s'exprimait. Je tiens un journal depuis que j'ai l'âge de vingt ans, en anglais. J'écris mes sentiments, je fais des photos. Quand je mets en scène ma propre vie, je ne pourrais pas le faire en anglais.Je partage notre intimité familiale dans ce livre. Je ne pouvais pas l'écrire dans ma langue maternelle, mais en langue étrangère. Comme un poème où on s'interroge sur le sens de chaque mot: on a besoin de la distance.
Mais je voudrais écrire mon premier livre en anglais.
Avez-vous eu des surprises en l'écrivant?
Oui, l'histoire est celle d'un triangle amoureux, en silence. Chacun a pactisé. C'était une belle relation. Mais c'est en écrivant le livre que j'ai véritablement reconstitué le puzzle. Le petit garçon que j'étais ne s'en était pas rendu compte. Les enfants se protègent. L'enfant contourne, appréhende ce qui n'est pas bien mais ne sait pas comment le gérer.
Vous vous présentez toujours comme un Européen.
Mon goût pour l'Europe vient du premier croissant que j'ai pris à Bruxelles où j'étais venu, petit garçon, avec mes parents. On avait pris le hovercraft et la tente se trouvait dans la voiture.
Vous vous intéressez constamment aux mots et aux langue.
Oui. Mon précédent livre, "Bouché bée, tout ouïe" (JC Lattès, 2010, Points, 2011), s'est vendu, à ma grande surprise, à 40.000 exemplaires, poches compris.
J'ai remarqué récemment que le mot "tendresse", comme dans la chanson de Daniel Guichard, n'a pas d'équivalent en anglais. En anglais, "tenderness" est réservé à la viande. La phrase des Beatles, "Love me tender", ne s'emploie jamais dans ce sens-là. La tournure est même inconcevable!
(*) Ah oui. Mes notes... C'était tout simplement trois extraits du livre. Une manière de se présenter différente de l'habituelle, pour Alex Taylor!
"Love me tender", je croyais que c'était Elvis... (Bon, je viens de lire Caroline De Mulder!)
RépondreSupprimerBises,
Pierre
Tu as raison, évidemment, cher Pierre.
RépondreSupprimerDouble belle découverte grâce à votre blog, ce récit que je vais lire et le peintre Yeames... Merci.
RépondreSupprimerWelcome, comme on dit
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