Anne Brouillard. (c) La dépêche. |
Magnifique! Le nouvel album pour enfants d'Anne Brouillard, "La Grande Forêt", sous-titré "Le pays des Chintiens" (L'école des loisirs, Pastel, 76 pages) est une merveille, à la fois comme album arrivant en librairie et comme nouvelle étape dans le parcours d'une artiste majeure. Ce n'est pas pour rien qu'elle a reçu en 2015 le Grand Prix triennal de littérature de jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles (lire ici). Dans ce presque grand format, huit chapitres développent une aventure palpitante, remarquablement construite, centrée sur le chien noir Killiok, au cœur d'une grande forêt, entre rêve et réalité. Aventure et poésie, suspense et fausses pistes, promenades, pique-niques et goûters, disparitions et retrouvailles, amitiés et épreuves, rencontres et découvertes, on rencontre tout cela et le reste dans les différents épisodes. Pleines pages, vignettes et planches BD s'enchaînent subtilement, composant un ensemble aux illustrations particulièrement somptueuses. Pour tous à partir de 5 ans.
Le nord-est du Pays du Lac tranquille, départ de l'histoire. (c) Pastel. |
Humains, animaux ou êtres surnaturels, les Chintiens sont les habitants de la Chintia (à prononcer comme Anne Brouillard "Chine-tilla"), un pays imaginaire composé de onze régions qui nous sont présentées en pages de garde de l'album. Une carte qui, complétée de deux autres quelques pages plus loin, permet de situer la grande expédition de Killiok et Véronica, une jeune femme installée dans une grande maison et douée pour les gâteaux. Killiok, lui, est un petit chien noir, vivant dans une jolie maison rose au bord du Lac tranquille et disposant d'un parapluie rouge. Ne l'aurait-on pas déjà vu quelque part? L'auteure-illustratrice sourit: "Killiok est un cousin du chien qui apparaît dans l'album "Petites histoires", dans "Temps de chien". Véronica, Vari Tchésou, le magicien rouge et le chat Mystère apparaissaient dans "La terre tourne" mais ne portaient pas encore de nom. D'autres personnages ont été vus dans une exposition que j'ai faite aux écuries de la Vénerie à Boitsfort en 1996. Maintenant, je leur ai donné vie."
Effectivement, cette expo apparaît dans mes archives vespérales, dans un texte daté du 16 octobre 1996. Bigre, quasi vingt ans!
"Les Ecuries de la Maison Haute accueillent la superbe exposition "Comme un livre..." de l'illustratrice Anne Brouillard. Parcourir la mystérieuse installation qu'Anne Brouillard a conçue avec sa sœur Maria comble de bonheur. Imaginez un grenier sombre, très sombre. Tapissé de feuilles mortes et de marrons brillants. Jonché d'objets surdimensionnés en papier mâché. Sur des drapés noirs se découpent des panneaux peints. Au pied de ces paravents-paysages, des nichoirs géants. Ils incitent le public à se baisser: qu'abritent les boîtes secrètes? Surprise! Anne Brouillard aime parler aux enfants. Pas tellement avec des mots - elle est si timide - mais avec des couleurs, des images, des objets qui créent l'émotion. Elle leur offre des scènes de bonheur, de poésie, réveillées d'humour et de malice. Elle a ponctué son parcours de messages à dénicher. Tout dans l'expo est à voir, à expérimenter. Des animations ont lieu pour les écoles et le public, sur réservation, entre autres ces samedi et dimanche de 10 h 30 à 12 h 30 et de 14 à 16 h. Les bibliothèques communales de Watermael-Boitsfort font décidément la fête à Anne Brouillard: elles exposent par ailleurs les originaux du "Pays du rêve" à la Maison des enfants au Hondenberg, ceux de "La maison de Martin" et de "Promenade au bord de l'eau" (Editions du Sorbier) à l'Espace Delvaux."
Mais revenons dans la "Grande Forêt".
Killiok s'inquiète de l'absence de son ami. (c) Pastel. |
C'est la fin de l'été et Killiok, calfeutré chez lui à cause de la pluie, s'inquiète: il n'a pas encore eu de nouvelles de son ami Vari Tchésou, le magicien rouge. Il va interroger Véronica et rencontre en chemin ses amies ailées, les corneilles Kwé et Kwè.
Préparatifs. (c) Pastel. |
Raviolis et chocolat en repas du soir près du lac. (c) Pastel. |
Aujourd'hui, les originaux sont un poil plus grands que l'album imprimé. Mais comme j'aimerais en voir les carnets préparatifs!
Le laboratoire et ses environs. (c) Pastel. |
La pierre gravée. (c) Pastel. |
"Mon inspiration", poursuit Anne Brouillard, "vient principalement des forêts suédoises
où il se passe des choses surnaturelles, comme les Bébés Mousse, les personnes
qui volent… J'ai aussi des inspirations réelles, comme le gros rocher
à texte. Il existe réellement en Suède. Un ermite habitait là, dans une cabane où
vivait aussi une bestiole bizarre. Est-ce lui qui aurait gravé un texte de
poésie?"
Autant de petits brins de fantaisie qui égaient cette histoire de Bébés Mousse qui disparaissent. Les enquêteurs occasionnels vont vivre un fabuleux périple qui les mènera à la clé du mystère et leur réservera d'autres surprises, notamment dans le laboratoire...
En tournant les pages de "La Grande Forêt", on verra aussi qu'imagination et humour ne sont jamais très loin l'un de l'autre. Notamment dans cette scène cocasse où un festivalier tente de voler dans le ciel en fouettant l'air à l'aide d'un vieux batteur à main. Ou dans la manière qu'ont les explorateurs pour attirer les Bébés Mousse avec des bonbons à la rosée de nénuphar. La poésie n'est pas ennemie du suspense non plus. Si le fil rouge est de retrouver Vari Tchésou et sa jument Suzy, sur la piste des Bébés Mousse qui semblent s'évaporer, on croise aussi des Nuisibles bien effrayants et le bienveillant Chat Mystère. Heureusement qu'il y a huit chapitres et près de 80 pages pour distiller tout cela et composer un album unique.
Le refuge de Rikkli Minou. (c) Pastel. |
Le vrai refuge. |
"Le refuge de Rikkli Minou existe vraiment", précise encore Anne Brouillard. "Il est tel que dans le livre, avec son réveil dans le coin. J'y ai déjà dormi! Il se trouve dans l'ouest de la Suède, dans la région de ma mère."
"La caravane posée au sommet d'une colline à laquelle je fais référence existe aussi mais elle est aujourd'hui envahie de fougères..."
En fait, tout Anne Brouillard se retrouve dans cet album hors pair: la forêt, les lacs, les trains, le laboratoire (allusion à celui d'Heverlée près de Louvain (Belgique) où travaillait son père et où elle jouait parfois enfant le dimanche, le bruit de la machine du labo en est une émanation directe), les amitiés, la joie, la tendresse, la fidélité, le thé, le café, la soupe, les animaux, les intérieurs de maison, les cartes géographiques, les promenades en forêt...
Les inspirations d'Anne Brouillard réunies. (c) Pastel. |
Le 31 octobre, Anne Brouillard va changer de mouettes: elle quitte Ostende pour s'installer à Venise. L'inspiration pour une nouvelle aventure, plus marine, de Killiok?
En supplément
La recette du gâteau de Veronica
Veronica et son gâteau. (c) L'école des loisirs/Pastel. |
En supplément encore
Mon texte pour "LIBBYLIT"
La branche belge francophone de l'IBBY (International Board on Books for Young People) consacre un numéro spécial de sa revue bimestrielle, "LIBBYLIT", à Anne Brouillard à l'occasion de son Grand prix Triennal. Il devrait paraître à la fin du mois.
Voici déjà le texte que j'ai offert à l'IBBY:
Le quotidien, un fameux terrain d'aventures
Anne Brouillard, la quatrième lauréate du Grand Prix triennal de littérature de jeunesse décerné par la Fédération Wallonie-Bruxelles (lire ici), je la connais depuis toujours. En tout cas depuis son premier livre, "Trois chats" (Dessain/Sorbier), sorti en 1990. Un bail donc! Un quart de siècle et une petite cinquantaine d'albums publiés plus tard, en solo ou en duo avec un(e) auteur(e), Anne est toujours là, fidèle à elle-même. Discrète dans sa personne mais éloquente dans son art, elle scrute la maison, ses occupants, ses ombres et ses lumières, ainsi que la nature avoisinante, ses ombres et ses lumières, et y débusque tout ce qui est sujet à histoire: faune, flore et même… humains.
Ce qui m'a toujours frappée dans son magnifique travail de peintre - même si elle préfère le terme de dessin -, c'est combien le quotidien est le moteur des aventures qu'elle déroule dans ses formidables albums, et l'imagination son carburant. Un événement, un visiteur, un bout de nature, et Anne Brouillard nous sort de superbes images composant un livre coulant de source. Elle n'a pas besoin de robots ou de mécanismes spécialisés pour nous subjuguer. La seule magie à laquelle l'auteure-illustratrice belge recourt, mais à fond, est celle de l'imagination. Cette dernière fait alors du quotidien un formidable terrain d'aventures, accessible à tous les lecteurs. Au stade premier quand on joue avec des souris qui se cachent dans une maison ("La vieille dame et les souris", Seuil Jeunesse, lire ici), des foulques qui baguenaudent dans l'étang ("La famille foulque", Seuil Jeunesse, lire ici), une oie qui rivalise avec un pêcheur ("Le pêcheur et l'oie", Seuil Jeunesse, lire ici)... Cela peut aussi concerner les petits événements quotidiens, la tombée du soir depuis la cabane qui se mue en une véritable aventure à laquelle est convié le chat ("Les aventuriers du soir", Editions des Eléphants, lire ici), la simple sieste d'un bébé pendant que sa grand-mère lui prépare un goûter ("Petit somme", Seuil Jeunesse, lire ici) ou ce qu'on voit depuis la fenêtre d'un train en marche ("Voyage d'hiver", Esperluète, lire ici). L'imaginaire peut aussi revêtir une forme plus avancée quand, par exemple, un étrange poisson prend possession des lieux d'habitation ("Le rêve du poisson", Sarbacane, lire ici).
Anne Brouillard convoque sans cesse des éléments familiers aux enfants, chiens, chats, oiseaux, maisons, parcs et jardins, gares ou wagons ferroviaires. De ce quotidien, elle fait naître des histoires pleines de magie car pleines d'imagination. Dans ses textes, quand il y a des textes car elle apprécie les albums muets, elle ne dit pas tout. Tandis que l'oreille est enchantée de la musicalité de ce qu'elle entend, les yeux s'en mettent plein la vue. Et comme la gourmandise vient en mangeant, plus on en voit, plus on en redemande. Les sujets, simples en général, sont transfigurés par sa vision d'artiste, par l'atmosphère qu'elle leur confère. Suivre un chat devient une équipée, examiner un intérieur une autre, s'aventurer dans la nature encore une différente. Anne Brouillard revisite le quotidien et le rend palpitant par la grâce de son inventivité.
Pour déployer ses histoires, Anne Brouillard dispose de plusieurs atouts.
- Sa formidable manière de dessiner, souvent à la peinture à l'œuf, des intérieurs et des extérieurs où mille détails sont à examiner, racontant autant d'épisodes parallèles. Il faudrait minuter le temps nécessaire à tenter de tout voir dans une seule de ses images. Et il en faudra encore plus pour savourer celles de son album tout juste paru, l'extraordinaire "La grande forêt - Le livre des Chintiens" (L'école des loisirs, Pastel, lire en début de note).
- Son goût pour la lumière, que ce soit à l'extérieur celle du soleil ou les ombres que l'astre produit, ou celle, plus intime, des lampes allumées dans la maison.
- Son amour de l'eau qui se matérialise par la présence de nombreux lacs et étangs dans ses récits, tremplins pour autant d'idées de scénario. Ici, on y pêche, là, en en fait le tour ("De l'autre côté du lac", Le Sorbier, lire ici).
- Son sens graphique qui lui permet de jouer avec les images et les personnages (chats, poissons, loups) en les détournant pour la plus grande joie du lecteur.
- Sa délicatesse qui lui fait raconter des albums à hauteur d'enfant, rassurants mais ouvrant des horizons, et sa poésie qui s'appuie sur les petits riens de tous les jours.
- Son humour enfin, qui se distille tout au long de ses pages. Narratifs ou plus introvertis, ses albums pétillent de malice, de tendresse ou de drôlerie tout simplement.
On pourrait évidemment croire que ce genre de travail artistique n'intéresse pas les enfants d'aujourd'hui, rivés aux écrans. Il n'en est rien et il suffit de se déplacer dans un lieu qui expose les œuvres d'Anne Brouillard ou qui les invite à un atelier qu'elle anime pour se rendre compte combien elle suscite l'enthousiasme et la créativité des jeunes lecteurs. Ils se retrouvent dans ce qu'elle conçoit, invente et leur raconte. Surtout, elle leur donne envie d'utiliser leur propre imagination pour créer au départ de leur propre quotidien, peut-être différent mais à portée de leurs mains. Sans doute parce que chez elle, comme elle le dit en souriant joliment, "tout pourrait être vrai mais tout est imaginé!"
En supplément enfin
"Le pays de Killiok" voyage toujours
La superbe exposition "Le pays de Killiok, à quoi rêve Anne Brouillard", présentée en début d'année à la Foire du livre de Bruxelles lire ici) poursuit son joli parcours.
Après de multiples haltes, elle sera du 17 octobre au 16 janvier 2017 au centre culturel Les Chiroux (Liège) et du 15 mai au 19 juin 2017 à la Bibliothèque de Hotton.
Un détail de l'affiche. |
c'est génial! j'adore au moins on sent que tu connais et que tuaimes
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