Image de couverture d'Amélie Jackowski pour "Des lucioles". (c) L'initiale. |
S'il y a bien un philosophe contemporain qui pense les images, même qui pense par les images, c'est Georges Didi-Huberman. Son abondante bibliographie en témoigne, une cinquantaine d'essais sur l'art et la littérature publiés principalement aux Editions de Minuit, tout comme les nombreux articles qui lui sont consacrés.
Paradoxalement, ses mots à lui n'avaient pas été mis en images. C'est aujourd'hui chose faite avec le délicieux album jeunesse "Des lucioles", où "Amélie Jackowski dessine Georges Didi-Huberman" (L'initiale, collection "Philosophie et citoyenneté", 24 pages). Un album carré composé de doubles pages, des peintures à bord perdu rendant superbement l'ambiance de nuit bleue.
La bonne idée de cet album destiné à la jeunesse (mais pas que, selon moi) est d'avoir repris directement des extraits d'un essai de Georges Didi-Huberman, "Survivance des Lucioles" (Editions de Minuit, 2009) et de ne pas avoir paraphrasé sa pensée. Lui-même semble convaincu par cette première incursion en littérature jeunesse. Il écrit à l'éditrice: "C'est très émouvant pour moi... Notamment que l'on puisse écrire le mot "pessimisme" dans un livre pour enfants, fût-ce pour le critiquer par de la poésie visuelle... Magnifique! Un très grand merci à vous et à Amélie!"
"Amélie" étant bien entendu l'illustratrice Amélie Jackowski, forte d'une vingtaine d'albums jeunesse dont le très beau "Derrière la brume" avec Ramona Badescu (Albin Michel Jeunesse, lire ici). Elle a imaginé en couverture une barque, forte de cinq passagers peu communs, quatre enfants dont un se masque d'une tête d'oiseau et la lune. On va les suivre dans leur équipée nocturne, sur terre et sur l'eau. Pour les éclairer dans la nuit bleue, des étoiles et des lanternes japonaises. Plus loin, d'autres modes de lumière apparaîtront, un phare, des guirlandes, une lampe-torche, des allumettes, des feux d'artifice, sans oublier les lucioles.
Où vont les images qu'on ne voit plus? (c) L'initiale. |
Les mots de Georges Didi-Huberman courent en bas des dessins, à raison d'une ligne par double page. Ils parlent de vision proche ou lointaine. D'images qui, comme des lucioles, finissent par disparaître de notre vue mais sont peut-être vues, ailleurs, par d'autres... De désirs, de joie et d'innocence, de récits à transmettre. D'hier, d'aujourd'hui et de demain.
Amélie Jackowski construit ses images en séquences poétiques qui s'enchaînent jusqu'à boucler leur boucle, suivant le texte mais aussi le prolongeant et le propulsant dans l'imagination, mariant les ténèbres et les lueurs.
"La danse des lucioles", écrit le philosophe, "ce moment de grâce qui résiste au monde de la terreur, est la chose la plus fugace, la plus fragile qui soit." Avant de poursuivre: "Il y a tout lieu d'être pessimiste, mais il est d'autant plus nécessaire d'ouvrir les yeux dans la nuit, de se déplacer sans relâche, de se remettre en quête des lucioles." Et d'inviter chacun à devenir une luciole.
Voilà un album magnifique qui berce et porte et soulève. Il ne chasse pas le noir mais le cherche pour mieux y faire briller la lumière d'une maison accueillante et sereine. "Des lucioles" est un livre dont il faut laisser infuser tranquillement le texte, les images et le rapport texte-images. Le résultat s'annonce prometteur!
Pour feuilleter "Des lucioles" en ligne, c'est ici.
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