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mercredi 24 mai 2017

Patricia, embarquée dans le drame des migrants

Geneviève Damas.

La voilà donc publiée chez Gallimard, dans la collection "Blanche", "notre" Geneviève Damas, prix Rossel 2011 et prix des Cinq continents de la francophonie pour son premier roman, "Si tu passes la rivière" (Editions Luce Wilquin, 2011, Le Livre de poche 2014). Avec un livre superbe, "Patricia" (Gallimard, 134 pages), son troisième roman, après cinq textes de théâtre et un recueil de nouvelles, dont on se doute qu'il va rencontrer les préoccupations humanitaires de l'auteure (lire ici), mais à sa façon.

Elle-même en dit ceci: "Certains le savent, l'écriture de mon troisième roman qui traite de la migration et comment elle s'inscrit dans nos vies d'Européens a été longue, décousue, paradoxale, navrante parfois, joyeuse aussi, un peu saumâtre certains jours, décourageante, mais au total bien intéressante entre la vie, la fiction, les rencontres, les voyages... Au bout de trois ans, le voilà qui sort enfin! Ouf!"

Ouf? C'est un peu court tant ce livre frappe par sa justesse de ton et son inventivité littéraire. Bien sûr, "Patricia" traite de la migration et c'est bien. Il est basé sur des faits réels mais c'est un roman, par la forme, par l'écriture, par le choix du temps présent, celui des voix successives des trois personnages. Non un récit, plutôt un roman vrai qui donne à entendre en "je" les voix de trois êtres en prise avec la migration.

Jean Iritimbi d'abord, Centrafricain réfugié au Canada depuis dix ans déjà après avoir laissé au pays sa femme Christine et leurs deux filles, Myriam et Vanessa, tout en leur promettant qu'ils seraient bientôt réunis... Pas qu'il ait tellement belle vie dans ce pays glacial mais que faire quand on n'a pas les bons papiers? Mais bon, il a sa fierté, le Jean, et ne va pas se plaindre auprès de celles qui sont à Bangui. Il nous raconte sa rencontre avec Patricia, venue là au loin honorer une promesse, qui a l'air si seule et qu'il se met à aimer sans rien lui dire de son passé. Elle voit aussi s'ouvrir avec lui un champ de possibles et commet l'incroyable pour le ramener en Europe avec elle. A Paris. Ils y vivront ensemble jusqu'au moment où Jean apprend que sa femme et ses filles sont en route pour le rejoindre. Coincé par son mensonge par omission, que peut-il faire? Se fâcher contre Patricia, contre lui-même, tenter de jouer la montre... Le destin se montrera bien moins coopérant. Et Jean Iritimbi va devoir affronter un terrible drame.

Patricia prend alors la parole pour raconter comment elle a été embarquée par son compagnon dans son histoire à lui et dans celle de l'ensemble des migrants. Elle, la bibliothécaire appréciée, va découvrir le racisme, le rejet, les regards lourds, les sous-entendus, surtout que la jeune fille dont elle s'occupe par devers elle n'est pas toujours aussi innocente qu'elle le paraît. Cette plongée dans l'humanisme lui révèle ce qu'elle ignorait d'elle, qu'on peut donner sans nécessairement recevoir immédiatement en retour. Et l'aide à avoir enfin des certitudes.

La troisième partie fait entendre la voix de celle que Patricia veut protéger, et aussi aimer si elle se laisse faire. Une voix rarement entendue dans les histoires de migrations, qui remet à sa place les "bons Blancs qui font l'aumône", parce que le chagrin est trop lourd, qu'il est solitaire, qu'il prend du temps, qu'il prend son temps. Cet itinéraire d'une ado en détresse malgré les bonnes volontés est très subtilement raconté par Geneviève Damas, qui connaît les humains et les respecte dans toutes leurs particularités. Jusqu'à ce qui puisse briller un jour l'étincelle de l'amour partagé.

"Patricia" est un magnifique roman, tout en subtilité. La justesse de son ton appelle l'admiration. Il est la preuve que littérature et humanité peuvent aller de pair, même au présent. Un point de vue rare sur les drames, quotidiens, des migrants et une lecture revigorante.


On peut lire le début de "Patricia" ici.




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