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vendredi 12 avril 2019

"Papiers", paroles entendues, livre sublime

Violaine Schwartz.

On les a appelés demandeurs d'asile, puis réfugiés. Maintenant, c'est le terme de migrants qui est le plus souvent officiellement utilisé. Une façon de réduire par le vocabulaire ceux et celles qui luttent de façon désespérée pour leur vie, pour leur survie. En parallèle, face aux manquements des états, les sociétés civiles s'organisent, accueillent, soutiennent, informent, écoutent les exilés. Pour elles, les demandeurs d'asile ne sont plus des chiffres mais des hommes, des femmes, des enfants. Ils sont aussi devenus des sujets d'écrits. Souvent émouvants, mais toujours biaisés puisque c'est un témoin qui les raconte. Il y a le filtre de l'intermédiaire de bonne volonté, souvent pesant.

La Française Violaine Schwartz, comédienne et chanteuse, écrivaine depuis 2010 et "La tête en arrière" (P.O.L.), a fait autrement. Elle a recueilli la parole d'anciens et d'actuels demandeurs d’asile et a écrit à partir de leurs témoignages. C'était une commande du Centre dramatique national de Besançon, précise-t-elle en introduction à son extraordinaire livre tout simplement titré "Papiers" (P.O.L., 208 pages). Ces paroles écoutées, elle les a retranscrites en s'effaçant. Demeurent les mots de ces humains qui ont cru en la France comme refuge et se sont heurtés à la bureaucratie absurde, à la justice arbitraire, à l'attente interminable... Ces mots qui disent ce qui se passe dans l'ombre des bureaux mais aussi la vie, l'espoir, la peur, la difficulté de l'exil. Pas de pathos, pas de texte à charge. Juste ces témoignages bruts, durs, épopées modernes orchestrées avec art et nous menant à la littérature et au sublime. Une crudité et une beauté en même temps.

"J'ai perdu la clé pour savoir d'où je viens."
"Il n'y a aucune trace de moi nulle part."
"Un des problèmes de la réponse française, c'est de croire qu'en les faisant souffrir le plus longtemps possible, ils vont repartir chez eux. Mais ça ne marche pas comme ça. Ils restent."
"Parfois ils inventent des histoires beaucoup moins crédibles que ce qu'ils ont vécu pour de vrai."
"Même si ça ne va pas, nous, on dit toujours ça va."
"Un jour, j'ai réussi à passer. C'était un camion de kiwis. (...) On était deux dans les kiwis, mais l'autre, il est parti en Finlande!"
"Lui, il me dit qu'il est mineur, peut-être qu'il est majeur, je n'en sais rien, en tout cas il est à la rue et ça c'est vrai."
"Et il ne peut pas retourner au village en situation d'échec."
"On a visité plusieurs médecins, dont un gynécologue qui lui (ma femme) a demandé pourquoi elle était comme ça. Excisée."

Les histoires de personnes de tous les âges, venues surtout d'Afghanistan mais aussi de Mauritanie, du Kosovo, d'Ethiopie, d'Arménie, d'Azerbaïdjan ou d'Irak, se révèlent à nous dans des pages fluides, ponctuées de poèmes sur les oies sauvages, ces autres voyageuses. Brutes, lumineuses. Récits de vie, articles de journaux, entretiens avec l'Office de protection, dictées, leçons de vocabulaire, exercices, lettres administratives, décisions de rejet, renvois, circulaires ministérielles, audiences, rencontres avec des avocats et des citoyens solidaires, composent une fresque littéraire d'une beauté absolue, rendant un rien de justice à ces héros d'aujourd'hui.

Uniquement les mots entendus était la contrainte que s'est imposée Violaine Schwartz. On devine les questions et leur violence derrière les réponses des demandeurs d'asile qu'elle a consignées. Une exception, les questions, cette fois sans les réponses, posées à un couple azéri, de la violence brute. On sourit cependant quand on est plongé dans un camion de kiwis et à d'autres moments. Ces monologues prenants sont une impeccable façon de dire des histoires particulières, terriblement fortes. Ils disent aussi l'exil, le parcours pour la demande de protection, les acceptations, les expulsions, le règlement de Dublin, les résistances et les désobéissances civiles. Avec "Papiers", dédié à Paul Otchakowsky-Laurens, le fondateur de P.O.L. décédé en janvier 2018, Violaine Schwartz donne une place sur le papier à ceux qui n'en ont pas. Une place de choix, celle de la littérature vraie et sincère.

Pour feuilleter le début de "Papiers", c'est ici.




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