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mardi 9 avril 2019

Poursuivi, l'écrivain Alaa El Aswany saisit l'ONU

L'écrivain égyptien Alaa El Aswany.

Etre poursuivi pour des articles et aussi pour un roman, c'est ce qui arrive à Alaa El Aswany qui, sans tarder, a saisi l'ONU pour faire valoir sa liberté d'expression.

Alaa El Aswany est bien entendu cet écrivain égyptien né en 1957 dans la vallée du Nil qui a écrit "L'Immeuble Yacoubian" (traduit de l'arabe (Egypte) par Gilles Gauthier, Actes Sud,  336 pages, janvier 2006 pour cette traduction, 2002 à l'origine). Un livre qui est devenu un véritable phénomène d'édition. Des millions d'exemplaires se sont répandus partout dans le monde arabe et ailleurs via ses traductions en trente-sept  langues. Il a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 2006. Dans ce premier roman, l'écrivain, dentiste de profession, décrit la vie d'un immeuble du Caire, en y concentrant la société égyptienne et ses travers. Il y attaque les islamistes, mais aussi les causes sociales et politiques qui permettent leur développement.

Alaa El Aswany est aussi cet écrivain égyptien qui, enseignant aujourd'hui la littérature aux Etats-Unis où il vit, est poursuivi depuis le 14 mars par le parquet général militaire égyptien pour "insultes envers le président, les forces armées et les institutions judiciaires égyptiens" en Egypte. Les accusations portées contre lui s'appuient sur les chroniques qu'il a publiées dans "Deutsche Welle Arabic" et sur son dernier roman "J'ai couru vers le Nil" (Actes Sud, traduit de l'arabe (Egypte) par Gilles Gauthier, 432 pages, septembre 2018) qui raconte les événements de la révolution de 2011, entre autres place Tahrir au Caire. Ce livre est interdit en Egypte et dans tous les pays arabes à l'exception du Liban, du Maroc et de la Tunisie. Chroniqueur engagé, le romancier, nouvelliste, essayiste, défend ardemment les valeurs de la démocratie dans de nombreux articles qui ont paru dans la presse égyptienne et internationale.
Pour en savoir plus, voici l'interview d'Alaa El Aswany publiée par "Les Nouveaux Dissidents" le 17 mars 2019. 
Vous venez d'apprendre que vous êtes poursuivi par un tribunal militaire pour insulte contre le président, les forces armées et judiciaires ainsi que l'État égyptiens. Quels sont les faits qui vous sont reprochés?
D'avoir dit ce que je pense. De m'être exprimé et d'avoir donné mon opinion. Je suis un écrivain et ce que j'écris déplaît à ce régime. Outre mes articles dans un journal allemand, c'est aussi mon dernier roman "La République comme si" (publié en français sous le titre "J'ai couru vers le Nil") qui est inclus dans cette procédure judiciaire parce qu'il dénonce les exactions du régime et de l'armée commises pendant la révolution de 2011. Par ailleurs, il faut savoir qu'en Egypte, la justice militaire n'est pas indépendante. Un officier supérieur de l'armée peut faire ce qu'il veut d'un jugement rendu par un tribunal militaire. Il peut annuler la peine ou au contraire la durcir, il peut amnistier ou au contraire infliger une condamnation beaucoup plus lourde. On me poursuit parce que je témoigne de ce que j'ai vu et de ce j'ai vécu, on me poursuit à cause de mes textes, ce qui est contraire à toutes les conventions internationales, à l'article 65 de la Constitution égyptienne qui garantit la liberté de pensée et d'opinion à tous les citoyens, ou à l'article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme dont l'Egypte est signataire.                                                                                                                       
Vous ne vivez plus en Egypte. Il vous est impossible de vous exprimer dans les médias égyptiens. Vos livres, vos romans ne peuvent plus y être publiés.  Pourquoi le pouvoir s'acharne-t-il contre vous?
Dès que le maréchal al-Sissi est devenu président de la République, il m'a été interdit d’écrire dans la presse égyptienne alors que je le faisais de façon hebdomadaire auparavant. Depuis maintenant cinq ans, je ne peux plus publier une ligne dans mon pays. Cependant, je continue de m'exprimer dans les médias internationaux. Et j'écris en arabe sur le site de la radio allemande "Deutsche Welle" ainsi que sur les réseaux sociaux. Mon compte Twitter est suivi par trois millions deux-cent trente mille personnes (ce qui est certainement un chiffre plus important que les tirages de tous les quotidiens égyptiens réunis). Et puis, mon dernier roman est traduit et publié en Europe, aux États-Unis, en Amérique du Sud… Ils savent que j'ai encore une influence. Bien qu'ils aient fait tout pour l'empêcher, je continue à écrire et à être lu.
Quels sont les risques que vous encourez? 
Tout est permis contre les opposants au régime! Une procédure judiciaire via un tribunal militaire peut autoriser qu'on saisisse les biens, qu'on bloque les comptes bancaires, etc. Je suis inquiet pour ma famille, pour mes proches qui sont en Egypte. On peut imaginer des scénarios effrayants, qu'ils soient enlevés, qu'ils disparaissent. C'est arrivé à plusieurs de mes amis, des amis révolutionnaires dont les proches ont été kidnappés ou qui, du jour au lendemain, ont disparu. Ce régime est terrifiant. Récemment, un libraire a été condamné à cinq ans de prison parce qu'il avait vendu un (seul!) exemplaire d'un livre interdit par la censure.
Comment peut-on vous aider?
Le soutien moral est très important pour moi. Je sens que je ne suis pas seul. Mes amis, mes éditeurs, mes camarades écrivains sont là et cela m'apporte du réconfort. Faire savoir ce qui m'arrive peut aussi m'aider. Un écrivain n'est pas un terroriste, il n'est pas un criminel. Je me suis exprimé et je n'ai fait que mon devoir, qu'obéir à ma conscience. Qu'un écrivain soit jugé par un tribunal militaire, c'est quelque chose d'extrêmement grave. Mais j'ajoute que c'est aussi grave quand il s'agit d'un simple individu qui défend les valeurs de la démocratie.

Alaa El Aswany est enfin cet écrivain égyptien qui a saisi hier, 8 avril, via ses avocats, François Zimeray, Matthias Fekl et Jessica Finelle, le Rapporteur Spécial sur la promotion et la protection de la liberté d'expression de l'ONU afin de dire "non" à la censure dont il est victime.

Alaa El Aswany ne peut plus se rendre en Egypte sans être arrêté et déféré devant la justice militaire égyptienne pour avoir exercé sa liberté d'expression et d'opinion. Il craint également pour le sort qui sera réservé aux membres de sa famille, tous vivant en Egypte.

En saisissant le Rapporteur Spécial sur la promotion et la protection de la liberté d'expression de l'ONU à Genève, Maîtres Zimeray, Fekl et Finelle, entendent dénoncer la violation flagrante d'un droit fondamental, celui de penser, de dire et d'écrire, de sa liberté d'expression et d'opinion par les autorités égyptiennes.
Pour François Zimeray, "les espoirs levés lors du printemps égyptien sont morts, ces poursuites sont comme un sarcophage des libertés". Les poursuites judiciaires engagées à l'encontre d'Alaa al-Aswany ne sont "qu'un moyen déguisé pour intimider l'écrivain et priver le peuple égyptien de cette fenêtre de liberté et de modernité sous la plume d'Alaa al-Aswany".
Pour Matthias Fekl, "la liberté d'expression est un droit consacré par de nombreuses conventions internationales ratifiées par l'Egypte. Alaa al-Aswany est un écrivain de renommée mondiale et un intellectuel engagé au service des idéaux universels portés lors du printemps égyptien".

Alaa El Aswany est également cet écrivain égyptien qui participera à une rencontre publique le 27 avril à 19 heures à La Grande Halle de La Villette à Paris avec Jeanne Cherhal, Cyril Dion, Nicolas Mathieu. Thème? "Changer d'histoires pour changer l'Histoire". On ne peut pas mieux faire.



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