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vendredi 14 février 2020

Un superbe recueil illustré collectif au bénéfice de SOS Méditerranée

Le dessin de couverture du recueil "Ce qui reste de nous". (c) Le port a jauni.


Chaque jour, chaque nuit, un ou des bateaux sillonnent la Méditerranée à la recherche de migrants en danger. Parmi ceux-ci, l'"Ocean Viking" des associations SOS Méditerranée et Médecins sans frontières. Il a pris la mer le 21 juillet 2019, reprenant la mission de recherche et de sauvetage en mer de l'"Aquarius", arrêté dans son élan en décembre 2018 par un harcèlement administratif et judiciaire sévère. L'"Ocean Viking" est un beau bateau tout rouge. Né en 1986 comme navire d'assistance en mer du Nord pour l'industrie pétrolière et gazière, il a été réaménagé spécialement afin d'améliorer sa capacité de recherche et de sauvetage et d'optimiser l'accueil des rescapés à son bord. Un rien plus petit que l'"Aquarius" qui a permis de secourir 29.523 personnes en 32 mois d'opérations, mais plus rapide et plus maniable. Equipé d'une embarcation rapide de sauvetage, de trois canots de secours rapides et d'un canot de sauvetage gonflable, il dispose d'une passerelle en hauteur permettant de repérer les embarcations en détresse à une plus grande distance et ce, à 360°. A son bord, des équipes professionnelles: 9 membres d'équipage pour la conduite du navire, 9 membres de Médecins Sans Frontières (personnel médical et logistique), 13 membres de SOS Méditerranée dédiés au sauvetage et deux journalistes.
Rappelons que SOS Méditerranée est une association civile de sauvetage en haute mer, créée en 2015 dans un élan de la société civile européenne, mobilisée face à l'urgence humanitaire en Méditerranée, par Klaus Vogel et Sophie Beau qui ne pouvaient plus "accepter que des milliers de personnes meurent en mer sous nos yeux, aux portes de l’Europe, sans rien faire. Notre action de sauvetage en mer répond à un impératif moral et légal, alors qu'il est possible de sauver des vies." 
La création de SOS Méditerranée s'inscrit dans le cadre légal de l'obligation d'assistance à toute personne en détresse en mer; elle se fonde sur les traditionnelles valeurs de solidarité des gens de mer. Face à la gravité de la situation en Méditerranée, elle répond à l’exigence morale d'une action humanitaire professionnelle.
Ses trois objectifs sont:
  • sauver des vies en mer
  • assurer la protection des rescapés jusqu'à leur arrivée dans un port sûr,
  • témoigner.

Evidemment, toutes ses opérations ont un coût: 14.000 euros pour une journée en mer.
Cette somme comprend toutes les dépenses liées à l'exploitation du navire: affrètement, fuel, équipage, logistique et équipement.
Appel aux donc est donc fait (ici).


Il y a aussi d'autres initiatives pour soutenir l'association, par exemple ce très beau et très intéressant recueil pour la jeunesse collectif, "Ce qui reste de nous et autres poèmes, nouvelles, récits d'exils" (Le port a jauni, Marseille, 120 pages, 15 euros, diffusion Les belles lettres). Fort élégant avec ses couvertures à rabats, sa tranche illustrée et son papier crème, il réunit comme l'indique son titre, poèmes, nouvelles, récits d'exil, mais aussi BD et illustrations. Le bénéfice de sa vente reviendra intégralement à l'association SOS Méditerranée pour soutenir son action en Méditerranée (hors frais de librairie, diffusion et distribution).

Dessin d'Axel Scheffler. (c) Le port a jauni.

"Ce qui reste de nous" est une œuvre bénévole et collective, née d'un financement participatif et réalisée par 23 auteurs.trices, 14 illustrateurs.trices, 1 éditrice, 1 libraire, des médiathécaires dont Agnès Defrance et deux bénévoles de SOS Méditerranée. Elle rassemble les contributions pour la jeunesse autour du thème de l'exil, l'errance, le déracinement de

Odile Fix, Marie Deschamps, Patricia Cartereau, Eric Pessan, Lena Merhej, 
François Place, Janine Teisson, Yohan Colombié-Vivès, 
Xavier-Laurent Petit, Edmond Baudouin,  Keltoum Deffous,
Gwenaëlle Tonnelier, Myriam Kendsi, Yasmine Chami, Christophe Besse, 
Ruben Del Ricon, JB Meybeck, Une blonde au bled, 
 Débit de Beau, Karim Brahim, Delambre, Gérard Saëz,
 Stéphane Servant, Sébastien Joanniez, Rabia, Clémentine Koenig,
Axel Scheffler, Lilian Bathelot,  Sandra Colombo, Nicole Ferroni, 
 Raphaël Julien, Anne Percin, Alfons Cervera, 
Viviane Moore, Mikaël Ollivier, Fanny Chiarello, Vincent Villeminot, 
Nathalie Benezet, Taï Marc Le Thanh, 


Dessin de Lena Merhej, texte de François Place. (c) Le port a jauni.

Les artistes présents dans le recueil avaient pour mission de dire l'exil, l'errance, le déracinement. D'exprimer la peur, la colère, le révolte, la douleur mais aussi l'espoir et la volonté de vivre.
Chacun l'a remplie à sa manière, offrant au lecteur (à partir de 10 ans sans limite d'âge) récit, fiction, poème, bande dessinée, illustration...

Illustration de Débit de beau. (c) Le port a jauni.

L'ensemble est de fort bonne tenue et consistant sans apitoiement inutile. Evidemment, chacun aura ses préférences dans ces quasi 40 contributions. Mais on ne peut qu'être happé par l'"Inventaire incomplet d'une traversée" d'Eric Pessan passant en revue une longue série de candidats à l'exil. Touché par la lettre de François Place à l'"Aquarius". Saisi par le récit de départ de Xavier-Laurent Petit, ou celui d'un repas en pleine tempête de Stéphane Servant, la rencontre avec Marhan et sa femme Mavret de Clémentine Koenig. Renversé par "Le chant des sirènes" d'Anne Percin. Convaincu par l'appel à regarder d'Alfons Cervera. Remué par la confrontation de deux mondes chez Viviane Moore et Mikaël Ollivier. Troublé par la fiction inversant les rôles de Fanny Chiarello. Admiratif devant l'hébergement de réfugiés raconté par Vincent Villeminot.

Ces récits sont entrecoupés de poèmes impressionnants, à laisser infuser lentement, et de dessins de divers types. Du coup de poing d'Edmond Baudouin, défenseur des migrants de longue date, aux dessins pleins de vie et d'espoir de Gwenaëlle Tonnelier qu'on découvre avec plaisir, en passant par les dessins d'actu de Lena Merhej, les terribles récits graphiques de Yohan Colombié-Vivès et d'Une blonde au bled et les divers dessins parcourant tout l'éventail de la réalité des migrants.



"Pas de frontière pour l'imaginaire", par Gwenaëlle Tonnelier. (c) Le port a jauni.

"Ce qui reste de nous" est un recueil qui ouvre les yeux, et fait du bien. A d'autant plus encourager qu'il a un effet domino sur le financement de cette aide civile aux migrants, indispensable vu le silence et l'absence des autorités étatiques.


Extrait


In "Inventaire incomplet d'une traversée" d'Eric Pessan

Un qui n'a connu que quelques rivières avant de voir la mer pour la première fois.
Un, cupide, qui sait que l'espoir se vend et s'achète bien plus cher que n'importe quel objet fabriqué de main d'homme.
Une qui chante, ce n'est pas la peur qui l'empêchera de chanter.
Un qui reçoit ses conseillers et parle statistique pour refuser de voir que des vies humaines sont enterrées dans des chiffres.
Un qui partout cherche un code Wi-Fi parce qu’il n'a plus de forfait et que c'est son seul moyen d'avoir des nouvelles de sa mère, de ses frères.
Une qui ne savait pas que la mer était aussi large, aussi profonde; là d'où elle vient, on ne le lui a jamais appris.
Plusieurs qui se heurtent à l'obstination bornée d'un règlement abstrait et ignorent comment le combattre. Ils savent escalader un mur, lutter contre un homme, faire un feu, mais pas comment faire fléchir une réglementation.
Une qui fuit la guerre.
Deux qui fuient la guerre.
Trois qui fuient la guerre.
Quatre qui fuient la guerre.
Des multitudes qui préfèrent la probabilité d’un espoir à la certitude de la mort.
Un qui montre où la balle est entrée, où elle est ressortie sans toucher d'organes vitaux, qui raconte que ses compagnons ont été battus à mort avec des barres de fer, et qui sourit en concluant qu'il a beaucoup de chance.
Une qui se tait, elle n'a plus parlé depuis des semaines, et ceux qui doucement tentent de l'aider ont tout à la fois espérance qu'elle reparle et peur de ce qu'elle dira.

"Humanité", par Karim Brahim. (c) Le port a jauni.

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