"Au tribunal des couples", première page. (c) Casterman. |
En moyen format presque carré (16 x 19 cm), en noir et blanc ou en couleurs, la collection "Sociorama" des éditions Casterman propose des récits sociologiques en BD. Elle est en quelque sorte la rencontre de sociologues amateurs de BD et d'auteurs de BD curieux de sociologie. Ensemble, ils proposent des fictions ancrées dans les réalités du terrain afin de décrypter les dessous de notre société. Foot, bled, religion, jungle de Calais, présidentielle, série télé, santé... Une quinzaine de titres ont déjà paru.
Un des derniers en date est "Au tribunal des couples", écrit par le Collectif Onze et illustré en noir et blanc avec expressivité et pudeur par Baptiste Virot (Casterman, "Sociorama", 168 pages). Magistral que ce témoignage du quotidien de la justice des affaires familiales en France mais au propos universel. Il est basé sur près de trois cents audiences, et autant de dossiers de séparation, et nous est proposé par le prisme de Malika Sherkat, greffière au tribunal d'Ici-les-Barinneaux, et de la juge Chantal Lantieri.
On est à la fois dans l'intimité de ces couples et de ces familles qui se défont et s'écharpent et dans le quotidien d'un rôle très encombré, parfois quinze audiences en une seule matinée, "Bonjour, installez-vous", parfois une après-midi entière de "rédaction de jugements". La juge fait du mieux qu'elle peut, humanité, empathie, compétence, et on sent tout de suite qu'elle est appréciée par sa greffière.
"Au tribunal des couples", suite. (c) Casterman. |
Les affaires se suivent à bon rythme, tunnel de mésententes, de revendications, de vengeances, de récupérations, de petits et de grands mensonges. Les situations sont présentées par les dialogues des parties, accompagnées ou non de leurs avocats. Parfois complétées d'une brève note de l'auteur. On réalise le niveau de non-communication entre ceux qui sont entendus, de guerre parfois, à juste titre ou non. Malgré le côté répétitif des situations, si pas violent, la juge se montre à l'écoute, constructive, attentive aux enfants et à leur avenir, la greffière colle ses célèbres post-it sur les dossiers à surveiller. Comme celui de cette gamine que son père a toujours ignorée et qui se souvient d'elle maintenant qu'elle a quinze ans.
"Au tribunal des couples", suite. (c) Casterman. |
En fin de journée, Chantal Lantieri pend du travail chez elle, "Je ramène des dossiers à la maison, c'est un peu comme ramener leur malheur avec moi", Malika Sherkat court chez la nounou récupérer sa petite Nina car son mari gendarme est une fois de plus parti en mission pour la semaine. Vie de maman solo à temps peu partiel avec tout ce que cela implique en plus de sa vie professionnelle.
"Au tribunal des couples", suite. (c) Casterman. |
Au quart de l'album, l'univers de travail de Malika s'écroule. Sa juge, fatiguée par sept ans aux affaires familiales, lui annonce sa mutation tout en saluant le travail qu'elles ont mené ensemble. S'il est beau gosse, le successeur sort tout droit de l'école et ne partage pas les mêmes méthodes de travail. Stéphane Morin ne semble pas savoir qu'il a besoin de sa greffière, qu'il doit connaître ses dossiers, interroger les plaignants plutôt que se montrer méprisant, suivre l'horaire... Brefs les débuts sont durs, surtout pour Malika qui se farcit les commentaires du nouveau juge en plus de sa méconnaissance des dossiers et de ses appréciations partisanes, entre hommes on se comprend. Comme il le dit à sa greffière qui est selon lui "dans l'affect", il est "là pour appliquer la loi". Alors que l'humain est tellement important dans les affaires familiales.
"Au tribunal des couples", suite. (c) Casterman. |
Oppositions inébranlables? Non, la justesse de la greffière Malika, assortie de son professionnalisme, auront finalement de l'effet sur le jeune juge. Mais que de chemin! Avec son dessin en noir et blanc qui cerne les situations et dit l'essentiel en quelques traits, "Au tribunal des couples" nous parle de façon incarnée de ce qu'est la société aujourd'hui.
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