Le voyage à Jérusalem en 2000. |
Lire un livre sur le pape Jean-Paul II, quelle drôle d'idée, m'étais-je dit. Et puis, lecture faite de l'essai de Christine Pedotti et Anthony Favier "Jean Paul II, l'ombre du saint" (Albin Michel, 330 pages), l'idée était bonne. C'était d'abord une manière originale de revoir le cours du monde durant trois décennies du siècle dernier. Karol Józef Wojtyła a été pape de 1978 à 2005. Un pontificat de 9.673 jours, le deuxième plus long de l'histoire de l'Eglise. Une période proche mais parfois un peu oubliée à redécouvrir par ce prisme. C'était, pour moi, un coup de projecteur sur un homme au destin hors du commun, à la stature politique indiscutable. C'était enfin trouver des réponses, vu ses choix et ses décisions, à la crise que traverse aujourd'hui l'église catholique.
Les auteurs ne font pas de procès à ce pape au charisme exceptionnel. Mais ils ouvrent un "droit d'inventaire" en étudiant de près les grands axes de son pontificat. Ils signent un ouvrage facile d'accès, extrêmement documenté et qui se laisse lire sans difficulté. Ecrivaine, journaliste et éditrice, Christine Pedotti sait y faire. Elle a publié plus d'une trentaine de livres, des romans et des essais, principalement sur l'Église catholique. Elle se présente comme catholique et féministe et donc a toujours eu quelques œufs à peler avec Jean-Paul II. Anthony Favier, lui, est plus jeune. Professeur agrégé d'histoire et docteur en histoire contemporaine, il a beaucoup travaillé sur les questions du genre et du corps dans le catholicisme.
Confinée en Normandie, Christine Pedotti a fait un saut à Bruxelles pour présenter son nouveau livre. L'occasion de lui poser quelques questions. Et aussi d'apprendre que l'idée lui en était venue lors de la canonisation de Jean-Paul II par le pape François le 27 avril 2014: "S'agissait-il d'une canonisation pour le protéger? Je me suis posé la question comme beaucoup d'autres. Elle est la genèse du livre. Que s'est-il passé dans la tête du pape François le jour de la canonisation de Jean-Paul II? J'étais à Rome ce jour-là, pas du tout loin de lui, et je voyais son visage fermé. Il est redevenu lui-même juste après, lorsqu'il s'est mêlé à la foule. C'est à ce moment que l'idée du livre m'est venue."
L'idée: "Nous avons voulu regarder les grands thèmes de ce pontificat en rapport avec la crise que vit l'église aujourd'hui. Un pontificat plein de superlatifs et quinze ans plus tard, une crise avec encore plus de superlatifs."
La forme: "Pour que le livre soit agréable à lire, il a fallu trouver une forme narrative et une trame chronologique. Il a été décidé de raconter l'histoire à travers dix-neuf dates saillantes de la vie de Jean-Paul II."
Le propos: "Le livre n'a pas été compliqué à faire. C'est beaucoup de travail mais tout est connu. Il a la forme d'un inventaire, critique et lucide mais pas acide. Jean-Paul II est canonisé, on ne peut plus rien dire. Comme s'il était dans une vitrine et qu'on en a jeté la clé. L'homme avait un charisme incroyable. Il en imposait alors qu'il ne mesurait que 1,74 m. on a essayé de le comprendre."
La situation de départ: "Quand Jean-Paul II arrive, le catholicisme est en crise. Il mène une politique de reconquête. Il devient le général en chef de cette reconquête. Il décide de tout, veut un réarmement doctrinal et ses bons soldats sont les prêtres. Pour lui, être une mère est la mission de la femme, être une mère de prêtre est encore mieux et il place la vierge Marie au-dessus de tout. Il instrumentalise les femmes. La raison d'Eglise est comme la raison d'Etat. Il met sous le tapis tout ce qui est gênant. Les abus et les personnes abusées seront des vérités qui vont causer de nombreux dégâts collatéraux."
Les femmes: "En faisant de la Sainte Vierge une mère de substitution, Jean-Paul II va se mettre à dos les femmes. Or ce sont elles qui font la transmission de la foi aux enfants. Il parle des femmes de façon dithyrambique, mais il ne connaît que LA femme. Il perd aussi les pauvres en Amérique latine, les femmes modernes. Les évangélistes s'engouffrent dans les brèches. Sans oublier la question des abus qui scandalise le monde., celle de la contraception."
Bilan: "Son point le plus positif est l'avancée vers le judaïsme plutôt que l'œcuménisme. Son point le plus négatif est la poussée de l'Opus Dei et des Nouveaux légionnaires. Jean-Paul II n'est pas glauque, ses choix sont francs, nets. Mas sa modernité (son rapport à son corps notamment) est trop moderne, trop libre pour les vrais traditionalistes."
Les cinq dates les plus importantes sur les dix-neuf du livre:
- 2000 le voyage à Jérusalem. "Il a désarmé l'antijudaïsme chrétien, indemne d'antisémitisme. Jean-Paul II s'est vraiment battu parce que ce n'était pas simple."
- 1983 le voyage au Nicaragua. "Il commet sa plus grave erreur quand il tance le père Ernesto Cardenal car il passe complètement à côté des plus pauvres, des plus faibles, en Amérique latine."
- 1979 le voyage aux Etats-Unis. "Quand la religieuse américaine Theresa Kane lui demande d'ouvrir l'ordination aux femmes, son visage se ferme et il donne une mauvaise réponse, démontrant son fond autoritaire."
- 2004 le jubilé de Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ. "Une scène exemplaire de l'aveuglement de Jean-Paul II qui adoube un monstre, un pervers, un abuseur parce qu'il veut avoir une armée de prêtres et que le prêtre est un homme du sacré. Les conséquences aujourd'hui sont extrêmement graves. La baisse de la crédibilité de l'église catholique tient à la négation de ces abus."
- 1959 la messe de Noël à Nowa Huta quand il est encore évêque de Cracovie. "En opposition avec le régime communiste, il célèbre une messe de minuit dans ce quartier nouveau prévu sans lieu de culte. Cet événement dit ce qui va suivre, le sens de la dramaturgie de Jean-Paul II qui aurait, dit-on, voulu être acteur. Plus tard ce seront les JMJ, la rencontre d'Assise, le mur des Lamentations, l'ouverture de la Porte sainte. Jean-Paul II a le sens du moment et du spectacle."
"Jean-Paul II, l'ombre du saint" examine toutes les facettes des décisions d'un homme et leurs conséquences aujourd'hui. On lit avec plaisir cet essai agréablement écrit, en regrettant l'absence d'un cahier photos qu'on peut trouver ici, et celle d'un index permettant d'y circuler facilement, "un choix de l'éditeur", me dit Christine Pedotti.
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