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mercredi 3 février 2021

Clara de 2006 à 2018

Gaëlle Josse. (c) Louise Oligny.

A 35 ans, Clara a tout pour elle. Un boulot bien rémunéré dans une société de crédit, qui lui plaît et où elle est appréciée pour ses compétences et sa personnalité. Un amoureux attentif. Des amis et des amies, parfois de longue  date. Des parents avec lesquels elle s'entend, un frère qui se soucie d'elle. Un appartement où elle se sent bien. Des activités sociales, d'autres culturelles, du sport.  A 35 ans, Clara croque la vie à pleines dents. Et pourtant, "Ce matin-là", titre du nouveau roman de Gaëlle Josse, d'une douceur lumineuse, ce matin d'octobre, Clara craque. Bêtement. A cause de sa voiture qui ne veut pas démarrer.

Ce qui devrait n'être qu'un incident minime va se transformer en tsunami et emporter Clara dans un profond burn-out. La jeune femme ne veut plus, ne peut plus. Elle glisse. Elle tombe. La romancière chemine à ses côtés avec précaution, sans jamais la juger, en consignant en petites phrases courtes cette descente en solo. Personne ne peut aider Clara en ces instants, ni Thomas, l'amoureux, ni les amis, ni la famille, ni les collègues.

Un entourage plein de bonnes intentions mais qui ne comprend pas ce qui se passe chez Clara. Le comprend-elle elle-même? Insomnies, pertes de repères, interrogations sans réponse. Quel est ce profond malaise qui tout d'un coup a renversé Clara? A-t-elle un secret enfoui?
"Il [Thomas] tente, puis il se lasse. Il découvre un continent inconnu, des recoins, des angles morts, des grottes, des effondrements, et il ne veut pas entrer là."
Gaëlle Josse montre avec précision ce qu'est un burn-out. Cette espèce de ouate asphyxiante  qui vous tombe dessus, vous étouffe, vous mange jusqu'à ce que, un jour, les forces s'inversent et que vous repreniez le contrôle de votre existence.
"C'est un maillage invisible d'ondes et de réseaux qui l'enserre chaque jour un peu plus, comme cette torture qui consiste à ligoter la victime d'une manière telle qu'à chaque effort pour se libérer, elle resserre un peu les liens, jusqu'à l'étranglement final."
Ce que Clara fera, quand elle en sera capable, quand elle se souviendra de ce qui s'est passé douze ans plus tôt, ce qu'elle a mis de côté parce qu'elle pensait que c'était ce qu'elle devait faire alors. Ce que Clara fera quand, grâce à son amie Cécile, elle reprendra pied dans sa vie, se relèvera et pourra envisager son avenir.
"Retrouver sa vie. Oui, mais pas celle-ci, une autre, une neuve, régénérée, une nouvelle, une qui sortirait d'une chrysalide, dans une mue éclatante."
Avec une douceur lumineuse, la romancière consigne cette existence qui s'effrite et dont les pièces vont ensuite se réassembler autrement. Aucun pathos mais une bienveillance qui autorise la chute, la reconnaît et accompagne le tournant pris. En cinq mouvements et un avant-propos, elle accompagne Clara. "Ce matin-là" est celui où la petite goutte d'eau qui glissait peu à peu dans la fissure de la pierre a fait éclater celle-ci. Roman sensible, le huitième, en phrases courtes, précises et justes, qui sonnent agréablement à l'oreille, qu'on lit et quitte, remué par ce destin qui pourrait être celui de chacun. Gaëlle Josse est arrivée au roman par la poésie, et ceci explique peut-être le choix merveilleux de ses mots.





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