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dimanche 13 février 2022

Les lauréats 2021 de l'ARLLFB (Académie belge)

L'œuvre de Francis Joiris qui dote le prix Découverte 2021.


Séance de nuit à l'Académie,
en marge de Bright Brussels 2022.
Et voilà, les différents jurys ont tranché, déterminant le palmarès 2021 des prix littéraires de l'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique, qui a été proclamé ce samedi 12 février, alors que se tenait en trois lieux de Bruxelles le festival de lumières Bright Brussels 2022. Les différents finalistes se trouvent ici. Une cérémonie en public, ce qui a rendu "triplement heureux" Yves Namur, le secrétaire perpétuel (lire ici) après deux éditions confinées à cause du covid. Une remise de prix ponctuée de la lecture d'extraits des ouvrages primés par Stéphanie Moriau.
Six lauréats ont été fêtés, deux femmes et quatre hommes. A noter aussi, deux trentenaires figurent au palmarès. L'Académie belge a toujours aimé récompenser les jeunes, à raison au vu de leur parcours ultérieur. Et le théâtre, puisque trois pièces figurent au palmarès 2021.
Un peu moins de prix que précédemment, on s'y perdait et les dotations étaient parfois épuisées.

Palmarès

Grand prix du Roman

annuel, doté de 1.500 euros.
        

Emmanuelle Dourson, pour "Si les dieux incendiaient le monde" (Grasset, 248 pages, 2021).
Née à Bruxelles en 1976, études de langues et littératures romanes, pianiste amateur.
"Ce premier roman est mon premier texte de fiction. Avant j'écrivais mon journal intime. Il a été comme un atelier pour moi. Je tentais d'y restituer mes impressions, mes pensées, des faits minuscules. je prenais beaucoup de libertés avec la réalité. En fait, je tendais vers la fiction. Avant ce texte, j'ai écrit une nouvelle pour franchir le pas de la fiction. Il devait être une autre nouvelle, il est devenu un roman!"
L'avis du jury (Jean Claude Bologne, Gérard de Cortanze, François Emmanuel, Sylvie Germain, Jean Klein, Pierre Mertens, Jean-Luc Outers).
"Si les dieux incendiaient le monde", premier roman d’Emmanuelle Dourson, a enthousiasmé, sinon incendié, plusieurs membres du jury du roman.
Grand texte choral en six longs chapitres, le roman explore un moment particulier d'une famille grande bourgeoise où la transmission se fait par les femmes, fusionnelles ou rivales.
Traversant les mondes du père Jean, d'abord, de sa fille aînée, Clélia, du mari de celle-ci, Yvan, de leur fille aînée, Katia, tout le roman se dirige vers son lieu d'apothéose au Palau de la Musica de Barcelone, où Albane, la fille cadette, pianiste prodige, va jouer l'opus 111 de Beethoven.
Il faut dire que tous les fils familiaux vont à ce moment-là se renouer. Car Albane a claqué la porte de la famille quinze ans auparavant, elle s'est exilée à New York et elle revient pour la première fois en Europe pour ce concert unique dans ce décor somptueux, sous le regard des Walkyries du Palau de la Musica.
Ajoutons que Mona, la mère morte, s'invite dans l'univers intérieur des membres de la famille, son mari, ses filles, sa petite-fille… Elle seule parle à la première personne et depuis l’ombre où elle se trouve, depuis l'espace invisible qu'elle a rejoint, elle semble tirer tous les fils des monologues et acheminer tout le roman vers son point d'embrasement.
C'est cette qualité de sur-sensibilité, d'ardeur de la langue, ces accents cosmiques, "woolfiens", bribes d'un réel à la fois très concret et pourtant vibratoire, qui a emporté l'adhésion de la majorité des membres du jury. 
C'est sans doute encore la tâche de la littérature de convier les dieux dans le monde et de l'incendier quelquefois. Ici, pour ce roman d’Emmanuelle Dourson, magnifiquement construit, orchestré, d'une maturité étonnante pour une primo-romancière, d'un style, d'une palette — musicale — qui promet une grande écrivaine.
                                                                   François Emmanuel


Grand prix de Poésie

annuel, doté de 1.500 euros.


Francesco Pittau, pour "Épissures" (L'arbre à paroles, 260 pages, 2020)
Né en 1956 en Sardaigne, écrivain toujours, poète souvent et de plus en plus illustrateur, auteur de romans, de quatre recueils de poésie actuellement et d'une bonne centaine d'albums pour la jeunesse (Seuil, Gallimard, Les Grandes Personnes, Albin Michel, L'École des Loisirs, Memo, etc.).
"Je fais avec ce que j'ai. J'essaie de regarder mon quotidien. Je suis content de vivre - pas toujours satisfait - contrairement à beaucoup de poètes torturés. Je suis assez triste qu'on évacue toujours l'humour de la poésie. Dans ce recueil, tout est mélangé."
L'avis du jury (Eric Brogniet, Corinne Hoex, Philippe Lekeuche, Yves Namur, Gabriel Ringlet).
Francesco Pittau est un auteur reconnu dans ce qu'on appelle, à tort ou à raison, "la littérature jeunesse". (...) Il n'en était cependant pas à son premier recueil de poésie: "Un crabe sur l'épaule" était paru au Seuil et les Carnets du dessert de Lune avaient publié "Une maison vide dans l'estomac" et "La Quincaille des jours". Aujourd’hui, notre Académie salue la publication d'"Épissures" à l’Arbre à paroles.
Rappelons simplement que le nom épissure est féminin, provient du verbe épisser et que le Robert en donne deux définitions: une réunion de deux bouts de corde, de câble ou de fil électrique par l'entrelacement des torons et d'autre part, un motif ou garniture fait de lanières de cuir entrecroisées.
Ce recueil de plus de 250 pages entend nous balader dans le quotidien d'un homme, dans ce qu'il y a de plus banal, au cœur même de la réalité. Si ce n'est que cette réalité est ici sublimée. Le poète, et son sens aigu de l'observation, nous donnant à voir ce qu'il faudrait peut-être regarder au-delà des simples réalités: qu'il s'agisse d'un supermarché et "le froid de la solitude", de figues qu'on mange "dans l'éblouissement du petit matin", d'une tondeuse et une pelouse, représentation d'un monde sans pitié pour le pauvre escargot écrasé, etc.
Un livre, donc, où foisonne la banalité repensée. Qui ose parler de sa machine à laver? Pittau! Qui parle d'une assiette creuse, métaphore de l'absence dont il est souvent ici question, et nous propose d'y "mettre autant de vie qu'elle peut en contenir"? Pittau! Qui fleurte avec la métamorphose comme Gregor Samsa et se verrait bien en fourmi? Pittau, je vous l'assure!
"Épissures" est un livre d'émotion, peut-être aussi un bréviaire de la mélancolie, où pointent l'étonnement mais aussi un certain fatalisme. Un livre qui, transposé dans la peinture, serait probablement un tableau d'Edouard Hopper… Reste à demander à l'auteur: lequel? 
Yves Namur

Grand prix des Arts du spectacle

annuel, doté de 1.500 euros.


Noémie Carcaud, pour "Take care" (Les oiseaux de nuit, 124 pages, 2020)
Comédienne, auteure et metteure en scène française, Noémie Carcaud est installée depuis longtemps à Bruxelles.
"Rappelons que je pratique l'écriture de plateau. Je soumets un thème aux acteurs. Je les filme. Je les écoute. Je retranscris alors les morceaux de leur texte qui m'intéressent, je les modifie, je les rerythme. Comme un montage cinématographique. J'écris plutôt des spectacles que des pièces de théâtre."
L'avis du jury (Anne Carlier, François Emmanuel, Paul Emond, Xavier Hanotte, Caroline Lamarche).
Comédienne de formation, Noémie Carcaud est aussi metteuse en scène. Avec sa compagnie franco-belge Le Corps Crie, elle construit ses spectacles en développant un travail d'écriture à partir du plateau, où les émotions sont portées par le corps autant que par la voix. Comme formatrice, elle a dirigé de nombreux stages et ateliers, et depuis 2019 elle enseigne au cours Florent à Bruxelles.
Dans "Take care" (Editions  Les Oiseaux de Nuit), il s'agit de la fin d'un monde. Dans une famille composée de jeunes adultes de la même génération, l'heure est au partage, chacun disposant de ressources inégales et de motivations divergentes. Les sept protagonistes se retrouvent pour un week-end dans la maison familiale, isolée et vétuste, avec un trou, à reboucher ou non. Ensemble, ils doivent décider de la destination de cette maison, préoccupation aggravée par la présence parmi eux d'une jeune fille fragile, Mona, dont l'avenir les préoccupe et polarise leur désarroi. Autour de leurs tentatives maladroites de prendre soin d'elle, surgissent des discussions, des dissensions, des angoisses communes ou non. Des souvenirs refont surface, tout se rejoue comme en un kaléidoscope dont les dessins successifs se révèlent par brisures. Mona semble échapper aux assignations et vivre dans sa bulle bien qu'elle dépende en partie, physiquement, de ses proches. En attendant, la question se pose: qui, dans notre monde déstructuré, va veiller sur les fragiles? Qu'est-ce que cela veut dire "prendre soin" (take care)? Quels intérêts sont en jeux? Quelles attentes? Quelles compensations idéologiques, altruistes, égoïstes, quel masque posé sur l'angoisse? Et comment est-il possible d'être à ce point "à côté de quelqu'un et ne rien voir de ce qui se passe à l'intérieur"?
En découvrant "Take care", on est frappé par la simplicité et la force des dialogues. C'est leur montage qui donne le rythme, provoque chez le spectateur, compassion, rire ou inquiétude. Leur attribution aux sept personnages révèle les différents caractères avec leurs désaccords, leurs vacillements, leur ambivalence à l'heure de la fin, sinon du monde, du moins d'un certain monde. Il y a quelque chose de tchékhovien dans cette vitalité mélancolique et drôle. (...)
Caroline Lamarche


Grand prix d'Histoire de la littérature

biennal, doté de 1.500 euros.



Benoît Denis, pour "Michel Audiard – Georges Simenon", Scénarios présentés et édités par Benoît Denis (Institut Lumière et Actes Sud, 924 pages 2020).
Directeur du Centre d'études Georges Simenon de l'Université de Liège, professeur de littérature à la même université, auteur d'essais marquants sur Sartre, la littérature belge dont Georges Simenon (coéditeur du volume en Pléiade) et Pierre Mertens.
"Ce livre est une commande de Jacques Audiard qui voulait un livre différent sur son père, Michel Audiard. C'est en travaillant que je me suis rendu compte qu'il avait croisé Georges Simenon à plusieurs reprises."
L'avis du jury (Sophie Basch, Danielle Bajomée, Michel Brix, André Guyaux, Jacques Charles Lemaire).
À l’occasion du centenaire de la naissance de Michel Audiard, Benoît Denis a voulu interroger trois films scénarisés et dialogués par celui-ci et adaptés de romans de Simenon:
- "Le sang à la tête", de Gilles Grangier, 1956 (le roman: "Le Fils Cardinaud", 1942);
- "Maigret tend un piège", de Jean Delannoy, 1958 (adapté du roman éponyme, 1955);
- "Le Président", d'Henri Verneuil, 1961 (adapté du roman éponyme, 1958).
Ce fort volume de 914 pages impressionne tout d’abord par le travail de bénédictin qui a dû présider à son élaboration: nous nous trouvons ici, en effet, devant une recherche qui associe édition critique des scénarios d'Audiard, genèse de la collaboration entre Simenon, Audiard et les réalisateurs parfois. Il s'agit d'une enquête serrée dans les correspondances échangées, dans des livres de souvenirs, d'une enquête qui recourt à des témoignages et en passe par l'examen des contrats passés (...)
Les présentations rigoureuses et érudites de Benoît Denis en portent la trace et permettent de commencer à entrevoir pourquoi ces réalisateurs ont choisi ces romans-là dans l'œuvre de Simenon. Pourquoi ils ont sollicité Audiard, quand ce n’est pas l'inverse.
Non content d’établir la genèse — et les étapes — de la collaboration entre Simenon et Audiard, Benoît Denis examine scrupuleusement les remaniements intervenus, du roman au scénario, et du scénario au film. Ainsi, l’édition des textes d'Audiard s'accompagne d'analyses solides qui manifestent l'adoption (selon les mots de Jean-Claude Carrière, "adapter, c'est d’abord adopter") par Audiard d'un univers romanesque qui n'est pas le sien, lui qui est une sorte de dialoguiste-écrivain-caméléon. (...)
Tout ceci est essentiel. Et la masse des données offertes par cette étude est étourdissante.
Mais ce qui est proprement éblouissant — et relevé partout par la critique — est l'importance qu'accorde Benoît Denis à la figure d'un très grand acteur: Jean Gabin. Denis ose en effet l'hypothèse (qui sera vérifiée) selon laquelle celui-ci serait en quelque sorte — partiellement — un co-scripteur des scénarios et des films, sa notoriété et son talent pesant fortement sur des modifications de l'intrigue (par exemple, lorsqu’il refuse de jouer le mari trompé). Benoît Denis démontre, par ailleurs, qu'Audiard devient, dans les années qui l'occupent, une sorte de "gestionnaire" de l'image de Gabin, celui-ci ne s'exprimant plus que selon les bons mots du dialoguiste-star et ce, jusqu'à la caricature. (...)
Danielle Bajomée

Prix Verdickt-Rijdams

biennal, doté de 3.000 euros.


Pierre Schoentjes, pour "Littérature et écologie. Le mur des abeilles" (José Corti, 464 pages, 2020).
Professeur en littérature française à l'Université de Gand, fondateur et directeur de la formidable "Revue critique de fixxion française contemporaine" (ici), le lauréat était malheureusement absent car retenu par un colloque à l'étranger.

L'avis du jury (Véronique Bergen, Lydia Flem, Jean Klein, Philippe Lekeuche, Yves Namur).
(...) Ce prix 2021 est attribué à Pierre Schoentjes pour son essai, "Littérature et écologie, Le mur des abeilles", paru dans la collection "Les essais", aux éditions Corti, un volume de plus de 450 pages. Pierre Schoentjes est professeur de littérature française à l’Université de Gand, auteur de plusieurs essais dont "Poétique de l'ironie" et "Fictions de la Grande Guerre". 
Cet essai entend répondre à la question suivante: "Comment la littérature s'empare-t-elle des questions environnementales, pour penser notre présent et notre futur?" Ce travail circonscrit à la littérature contemporaine et à des auteurs belges, suisses et français, tente, selon l’expression d'Anne Pitteloud, d'en "tracer les lignes de force et les questionnements, tout en éclairant sa quête de formes nouvelles".
Cette réflexion apparaît récente dans la littérature française alors qu’elle s'est développée aux États-Unis depuis 1970. On pense là à Henry David Thoreau. Et si la France avait son Giono, il faut évoquer aujourd'hui Alice Ferney et "Le Règne du vivant" ou Sylvain Tesson.
Ce volume (et les autrices et auteurs auxquels Pierre Schoentjes s'attache) est de ceux qui nous mènent à cette réflexion qu'il faut tenir aujourd'hui, et c'est une urgence: comment un livre et son écriture peuvent-ils rendre compte "des problèmes et des défis en matière d'écologie"?
S'il est impossible de résumer cet ouvrage, sachez simplement qu'il est, parmi d'autres points, question de littérature verte qui "implique un partage avec la nature et inclut le principe de solidarité"; de littérature marron, liée aux différentes formes de pollution; et d'écriture postapocalyptique et ses scénarios de fin de monde.
Si Maeterlinck ne fait pas partie du corpus étudié, j'en terminerai par ce mot de notre illustre Gantois: "On dirait que la nature ne sait pas ce qu'elle veut, ou plutôt, ne fait pas ce qu'elle veut, que quelqu'un lui retient le bras pour l'empêcher de trop bien faire."
Yves Namur

Prix Découverte

annuel, regroupant plusieurs prix antérieurs, doté d'une œuvre d'art de Francis Joiris.


Florian Pâque, pour ses deux pièces "Avec le paradis au bout" (Les cygnes, 92 pages, 2021) et "Etienne A." (Lansman, 56 pages, 2021).
"Je suis comédien au départ. Les actrices du "Paradis" sont des amies que je connais très bien. Je parle beaucoup, si une phrase émerge, je la garde. Le "Bataclan" s'est déroulé quand j'étais à Paris. Qu'en faire, en parler? Dans ma pièce, chaque histoire est différente. C'est la somme de tous les événements, établissant une sorte de cartographie des souvenirs. La pièce a été créée il y a un certain temps et est transformée au fur et à mesure que le temps avance. Elle a toujours la même durée, certaines scènes sont ajoutées, d'autres sont enlevées."
L'avis du jury (Éric Brogniet, Paul Emond, Corinne Hoex, Philippe Lekeuche, Gabriel Ringlet).
Né en 1992, Florian Pâque est également metteur en scène et acteur. Après une première formation théâtrale à l'Académie César Franck de Visé et des études de philologie romane à l'ULiège, il suit à Paris le cours Florent, dans le cadre duquel il monte ses premiers spectacles. Il anime aujourd’hui la compagnie Le Théâtre de l'Éclat. Le Prix Découverte lui est décerné pour ses deux premières pièces publiées, "Avec le paradis au bout" (Éditions Les Cygnes) et "Étienne A." (Lansman Editeur). Le Prix entend mettre en évidence le talent d'un jeune auteur maniant avec une égale maîtrise deux registres très différents: d'une part une œuvre chorale qui reparcourt l'histoire du monde depuis la chute du Mur de Berlin, le moment où sont nés les acteurs pour lequel elle est rédigée; de l'autre, une pièce intimiste où se trouve décrite l'existence sans horizon d'un manutentionnaire de la firme Amazon.
En une grande fresque chatoyante composée de scènes rapides, "Avec le paradis au bout" (ce titre est emprunté à un vers de Verlaine) évoque une série d'événements dramatiques ou de problèmes majeurs qui ont marqué le début de ce siècle; de Berlin en liesse en 1989, on passe entre autres à l'écroulement des Twin Towers, la mise à feu du Moyen-Orient, la crise financière, l'incessante tragédie de la migration, la poubellisation de la planète ou le début de l'actuelle pandémie. Des personnages en tout genre, tantôt émouvants, tantôt drôles et inattendus, à moins que n'apparaisse telle ou telle personnalité connue ou que les acteurs s'expriment en leur propre nom, se succèdent pour faire entendre le point de vue d'une génération sur "ce nouveau monde sans boussole", comme l’écrit Amin Maalouf. "J'ai mal au monde", dira un des interprètes; et un autre: "Voilà vingt ans que nos enfances ont disparu." D'où la question posée dans un dernier tableau consacré au nettoyage de toilettes communes: "Mais quel matin possible pour une nuit sans fin?"
Fourmi parmi les fourmis, soumis à une cadence épuisante, alors même que son chef lui reproche sa baisse de rendement (un siècle plus tard, "Les Temps modernes" de Chaplin sont toujours d'actualité), "Étienne A." n'arrête pas, jusque dans ses rêves, d'expédier des cartons. Même en ce soir du 24 décembre où se passe la pièce, il est obligé de prester, puisqu'il est travailleur de nuit. Dans les heures qui précèdent, il a porté les cadeaux de circonstance à un père plutôt indifférent; son ex-femme a exigé inopinément qu'il garde leur fils de sept ans pendant l'après-midi; manager dans la même "grande famille" Amazon — le hasard veille à tout —, le nouveau mari lui en a remis une couche sur ses mauvaises prestations. Quand il arrive au travail, la collègue qui est l'objet de ses pensées constantes, lui annonce qu'elle va se marier. Cette vie de grisaille, de misère morale et de contraintes permanentes, Florian Pâque la décrit sans pathos mais avec empathie, voire avec tendresse, allant jusqu'à offrir à son protagoniste, en guise de dénouement, une échappatoire de l'ordre de la fable poétique. Une description accomplie avec une grande justesse d'écriture qui, la plupart du temps, évite le dialogue et juxtapose des tirades s'apparentant bien davantage au monologue, sinon au soliloque.
Paul Emond


*       *


Francis Joiris dans son atelier.

La pièce "Etienne A." de Florian Pâque se termine dans une boîte en carton. Est-ce une blague du destin car l'œuvre qu'il reçoit a été créée par l'artiste cartonniste (pas cartooniste) liégeois Francis Joiris. Il parvient à transformer le carton banal en objet artistique.

Né à Namur en 1955, mais vivant à Liège où il a fait des études de photographie à Saint-Luc et donné cours, Liège où il a son atelier rempli de cartons, "un véritable foutoir", Francis Joiris n'utilise que le carton pour ses œuvres. "Quand je travaillais dans une agence de publicité comme chef de produit, j'ai rencontré un artiste qui faisant des meubles en carton. Un jour, bêtement, un copain a mis un de ces meubles au mur, comme un tableau. Cela m'a fait un déclic. Le carton n'offre aucune contrainte technique. Il est ma matière première et ma source d'inspiration".

S'il dessinait avant, depuis 2011 et des problèmes de santé, Francis Joiris apprécie le carton qu'il utilise en l'arrachant de diverses manières. Il compose alors ses tableaux, "plutôt des petits formats car les gens n'ont pas de grands espaces à leurs cimaises", en relief où les cartons sont disposés sur le champ, en planos à la façon de puzzles, en mixtes se rapprochant davantage de la sculpture.

En harmonie de couleurs ou en opposition frontale, ses tableaux sont autant de paysages où chacun peut faire son histoire.







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