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vendredi 9 septembre 2022

JeanLouis Tripp, lauréat du Prix Première du Roman graphique avec "Le petit frère"

Ce vendredi 9 septembre commence à Bruxelles le BD Comic Strip Festival 2022 (aka La Fête de la BD) qui se déroulera à Tour & Taxis jusqu'à dimanche soir. Parmi les prix Atomium qui seront dévoilés, le prix Première du Roman graphique. Le lauréat 2022 est le Français JeanLouis Tripp pour son imposante bande dessinée parue au printemps, "Le petit frère" (Casterman, 344 pages).

Dans la sélection de dix romans graphiques nommés pour ce 6e prix Première du Roman graphique, le jury d'auditeur·rice·s de La Première, présidé par Laurent Dehossay, a choisi de récompenser un livre intime, touchant et qui atteint l'universel.
"Le petit frère" est Gilles, onze ans, le petit frère de l'auteur alors âgé de dix-huit ans, tué par un chauffard dans un accident de la route en 1976, lors des vacances familiales en Bretagne. Pendant quarante-cinq ans, JeanLouis Tripp n'a rien dit. Et quand il a raconté sa vie sexuelle dans les deux volumes "Extases" (Casterman, 2017 et 2020), il n'a qu'effleuré ce douloureux sujet .

Aujourd'hui, il le prend de front dans un très épais album d'une sincérité absolue où le lecteur entre en communion avec lui. Un tombeau au sens littéraire. Il raconte ces lointaines vacances en Bretagne, en roulotte, en famille, les trois garçons et leur mère - le couple des parents s'est séparé peu avant - des oncles et des tantes. Cette route tranquille où rien ne devait arriver. Cette voiture qui a surgi, a happé le gamin et a filé, le laissant au sol. L'accident affreux, qui ne serait pas arrivé une minute plus tôt ou une minute plus tard. La culpabilité du frère aîné avec qui Gilles parlait l'instant précédent.

JeanLouis Tripp raconte les gendarmes, à une époque où les téléphones portables n'existaient pas, l'ambulance, l'hôpital, la mort du petit frère. A moins de douze ans. Il raconte le choc pour chacun des membres de la famille, la bascule de chacune de leurs vies, la panique, la détresse, le déni, la colère, l'impuissance, la négation, le deuil, le chagrin. Immense. Le procès qui ravive les douleurs. Le temps qui passe, les questions qui restent, obsédantes, les blessures, les plaies qui ne guérissent pas, les tentatives d'avancer. Partout, le souvenir de Gilles. Gilles. Gilles. Déchirant. Un jour, la décision de rendre une forme de vie à l'absent avec ce tombeau, de célébrer sa mémoire. D'affronter ce qui s'est passé. Sans pathos.

(c) Casterman.

"Le petit frère" est bouleversant de bout en bout. On y pleure régulièrement. Des larmes de compassion, de partage avec l'auteur. Si on a subi un décès, on s'y sent un peu moins seul. Les deuils ne s'apparentent-ils pas un peu? Ou les endeuillés? "Je ne suis pas dans une démarche analytique", prévient l'auteur. Il rassemble ses souvenirs, le temps vécu et le temps reconstitué, les sensations de la mémoire dont ces flashs répétitifs. Le drame terrible qui l'a marqué lui et les siens à jamais apparaît dès les premières pages. "Le livre s'est imposé à moi. C'est un livre sur le deuil, sur l'après, sur la vie qui continue." Tripp explique en postface les circonstances qui l'ont poussé à écrire et dessiner son histoire.

(c) Casterman.


Si l'album évoque le jeune Gilles, il scrute aussi les déflagrations qu'occasionne à plus ou moins long terme un drame aussi brutal. JeanLouis Tripp dit que la planche du choc fatal lui est venue toute seule. "Je n'ai eu aucune difficulté à la dessiner." Elle est extraordinaire. Comme de nombreuses autres où les dessins montrent mieux que les mots les épreuves endurées. Qu'écrire? Les regards parlent d'eux-mêmes. Ce que ressentent les personnages, nous pouvons le ressentir.

(c) Casterman.

Pour la première fois, JeanLouis Tripp a utilisé un iPad pour dessiner, à raison d'une page par jour environ. Ses cases organisées horizontalement passent parfois à la verticale ou à la page entière, à bords perdus ou pas, selon l'intensité du récit. Les pages en lavis gris tirant vers le rouge sont ponctuées de couleurs jusqu'à la séquence finale de l'apaisement. Ses sources sont les souvenirs des uns et des autres ainsi que les archives familiales consignées dans une valise gardée par sa mère. Les mots sont les siens et ceux qu'il a entendus chez ses proches. "Autant je peux témoigner de comment j'ai vécu les événements, autant je ne présuppose jamais des pensées des autres. Je leur fais dire des choses que j'ai entendues, dont je me souviens, mais je ne leur prête jamais de réflexion intérieure. La théorie de mon frère Dominique est que personne n'a les mêmes souvenirs du drame, je suis assez d'accord avec ça. Tout ce que je dis est vrai, mais cette vérité reste la mienne."


Les autres titres retenus pour le prix étaient:
  • "Le poids des héros", David Sala (Casterman)
  • "L'échelle de Richter", Raphaël Frydman & Luc Desportes (Gallimard)
  • "La bibliomule de Cordoue", Wilfrid Lupano (Dargaud)
  • "Amalia", Aude Picault (Dargaud)
  • "Le songe du corbeau", Atelier Sentô & Alberto M.C. (Delcourt)
  • "Lettres perdues", Jim Bishop (Glénat)
  • "L'étreinte", Jim & Laurent Bonneau (Grand Angle)
  • "La Dame Blanche", Quentin Zuttion (Le Lombard)
  • "Vivian Maier, à la surface d'un miroir", Paulina Spucches (Steinkis)


Pour feuilleter en ligne le début de l'album "Le petit frère", c'est ici.


Ce samedi 10 septembre à 13 heures, au BD Comic Strip Festival, JeanLouis Tripp et David Sala ("Le poids des héros", Casterman) échangeront sur le thème des "héritages familiaux". Modérateur Cédric Wautier (RTBF).



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