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vendredi 16 décembre 2022

Henri Galeron en stéréo: album et expo

EDIT 03-01-23
L'exposition est prolongée jusqu'au 14 janvier (finissage le jeudi 12 de 18 à 21 heures, en présence de l'artiste).

Première page animée de l'album. (c) Les Grandes Personnes).

En réalité, on sait bien que Noé a construit une arche il y a bien longtemps. Alors, pourquoi Henri Galeron titre-t-il son nouvel album pour enfants, un cartonné animé de bonne taille, en format à l'italienne, "L'Arche que Noé a bâtie" (Les Grandes Personnes, 24 pages en carton avec découpes)? (*)

Tout simplement en hommage au prodigieux graphiste et auteur-illustrateur américain Seymour Chwast, cofondateur des Push Pin Studios, âgé aujourd'hui de 91 ans, et en clin d'œil à l'album jeunesse à surprises de ce dernier "The house that Jack built" ("La maison que Jack a bâtie", Random House, 1973). "Voici la maison que Jack a bâtie, Voici le malt qui était dans la maison que Jack a bâtie, Voici le rat qui a mangé le malt qui était dans la maison que Jack a bâtie...."
Chez Seymour Chwast, les dessins de la célèbre comptine britannique apparaissent au lecteur en dépliant des volets carrés de taille croissante, le texte étant imprimé au verso des rabats.

"The house that Jack built", par Seymour Chwast.


Adepte des procédés techniques surprenants (lire ici), Henri Galeron décline à sa manière l'idée de Seymour Chwast. En un procédé aussi simple qu'efficace, celui de la page qui grandit à chaque tourne. La première page animée montre l'arche découpée en languettes. Chaque fois qu'on tourne l'une d'elles, un nouveau personnage entre en scène, le texte ritournelle et le dessin s'agrandissant en conséquence. 

L'album s'ouvre, comme chez Chwast, sur deux doubles pages de présentation. D'abord, "Voici Noé" où un homme âgé et barbu, en salopette, se tient à côté de sa boîte à outils. Ensuite l'arche, toutes portes ouvertes et pont déployé, soutenue par des étais à côté desquels se trouve un gros sac: "Voici l'Arche Que Noé a bâtie" et "Voici le riz Qu'il faut embarquer sur l'Arche Que Noé a bâtie" (cfr image du haut).

Le calme apparent est perturbé quand "Voici le rat Qui a grignoté le riz Qu'il faut embarquer sur l'Arche Que Noé a bâtie". Inadmissible pour la survie de l'expédition en préparation! C'est alors que démarre une folle farandole animalière, chaque nouvel arrivant s'en prenant au précédent et le texte se compétant dans une formidable richesse de vocabulaire. Quant aux images, ce sont autant de tableaux où sont chaque fois mis en scène différemment les protagonistes. Peut-être pas des scènes de bagarre mais des scènes d'intimidation réjouissantes à observer. Comme est réjouissant à écouter, ou simplement entendre quand on est petit, le texte répétitif aux consonances un peu rauques.


Comment pacifier ces neuf animaux bagarreurs? C'est évidemment Noé qui a la solution. Une solution qui réconcilie tout le monde et invite une belle série d'animaux qu'on n'avait pas encore croisés. Prodigieuse scène finale que la fête enchanteresse qui clôt les prises de bec! Quel travail inouï pour dessiner tout cela et arriver à la quatrième de couverture, joyeuse et paisible. 
(*) A ne pas confondre avec l'album de John Goldthwaite qu'a illustré Henri Galeron "L'Oubli de Noé" paru chez Harlin Quist en 1978 et réédité chez le même éditeur en 1998 sous le titre "Ceux que Noé a oubliés".
Pour mieux comprendre le procédé technique utilisé dans l'album "L'arche que Noé a bâtie", regarder cette vidéo.


Pour entendre Henri Galeron se raconter, c'est ici.



Rare, une exposition d'originaux


Une partie des dessins d'Henri Galeron exposés au rez.

En parallèle à cette nouvelle sortie d'album en littérature de jeunesse, Henri Galeron est aussi au cœur d'une importante exposition de ses dessins originaux à la très belle librairie-galerie Métamorphoses, dans le sixième arrondissement à Paris, "Henri Galeron, dessinateur. Les planches originales 1974-2017".
1974, année de la sortie de l'album "Le kidnapping de la cafetière"
2017, année où a paru "ABCD".
Plus de cent cinquante dessins originaux balayant quarante-trois ans de création, remarquablement accrochés, figurent aux cimaises du rez et du sous-sol, ou encore en vitrine. Principalement des couvertures de Folio, mais aussi des couvertures de la défunte collection Mille Soleils de Gallimard Jeunesse ou du  Livre de poche. Des documents précieux comme des esquisses de dessin ou des courriers reçus, ou, rareté absolue, une couverture refusée. Egalement des affiches et des originaux de plusieurs albums jeunesse publiés aux Grandes Personnes, dont le récent abécédaire "ABCD" (lire ici). Et si toutes les lettres ne se trouvent pas dans les vitrines de la galerie, c'est que sept d'entre elles trônent en bon ordre dans la vitrine à front de rue.

En vitrine côté rue.

Quelle aubaine de découvrir de près tant originaux de ce maître de l'illustration qu'est Henri Galeron, mêlant hyperréalisme, imagination, humour en un talent fou. Une aubaine car l'homme expose peu, pour ne pas dire très peu. De près car Henri Galeron dessine toujours un sur un. L'original d'un Folio est donc à la taille du livre en format de poche.

Une des vitrines.
Toutes collections confondues, Henri Galeron pense avoir réalisé entre 400 et 450 couvertures de livres. Souvent tellement marquantes que même si Gallimard a décidé de recourir désormais à des photos pour les couvertures de sa collection de poche, on en a tous plusieurs fixées dans notre rétine. "Le pont de Londres", de Céline, "La peste", de Camus", "Comment fais-tu l'amour, Cerise?" de René Fallet, "Les mains sales" de Sartre, "La place" d'Annie Ernaux, "Les cerfs-volants", de Romain Gary, "La main coupée" de Cendrars, et tant d'autres...

Des dessins qui témoignent du travail de recherche du dessinateur qui a lu le livre avant d'en illustrer la couverture, tapis rouge pour le futur lecteur ou évocation subtile d'une lecture déjà faite. "Une couverture doit être comme une affiche", estime Henri Galeron. "Elle doit être appréhendée d'un coup."

L'original et son livre.

Comment le Provençal monté à Paris qui travaillait aux jeux éducatifs chez Nathan est-il arrivé à créer autant de couvertures? Par une succession de rencontres. En 1967, le numéro 131 du remarquable magazine "Graphis" s'intéressait à la littérature de jeunesse et consacrait un article à l'éditeur américain Harlin Quist; une publicité de ce dernier renseignait une adresse parisienne. Pas d'éditeur à l'adresse mais il se savait que le Français François Ruy-Vidal travaillait alors avec l'éditeur américain. Henri Galeron rencontre Ruy-Vidal qui lui propose de publier chez lui, chez Grasset-Jeunesse en réalité. Il y fera deux livres avant de passer chez Harlin Quist, abordé à la Foire du livre de Francfort et qui deviendra son éditeur de l'époque (huit livres en solo, six en collectif).


A la même époque, en 1972, Gallimard lance la collection Folio, rachetée au Livre de poche et dont la maquette est confiée au célèbre Massin. Le graphiste doit faire naître cinq cents couvertures en deux ans, c'est-à-dire entre vingt et vingt-cinq par mois. Henri Galeron en réalisera une à deux par semaine. Le voilà chez Gallimard. Du côté des adultes certes, mais Massin règne aussi sur les couvertures du département jeunesse fondé par Pierre Marchand et Jean-Olivier Héron qui publient Roald Dahl et Jacques Prévert notamment... Ainsi que les célères documentaires "Premières découvertes". On n'arrêtera plus Galeron.


De fil en aiguille, le dessinateur fera des livres avec Patrick Couratin, Jacques Binsztok et Brigitte Morel au Seuil Jeunesse et chez Panama puis avec la dernière aux Grandes Personnes, avec François David chez Motus, des couvertures de disques, des affiches, des décors d'opéra, des timbres. Et Galeron de préciser: "L'exposition ne montre qu'une des techniques que j'utilise, une de mes époques." Une précision qui ne doit pas faire hésiter à foncer admirer ces originaux qui ont marqué l'histoire de l'illustration française.

Sur le site de la librairie Métamorphoses (ici), quelques-uns des dessins exposés et une interview vidéo d'Henri Galeron. A noter qu'il sera présent à la librairie-galerie Métamorphoses ce samedi 17 décembre de 15 à 19 heures (17, rue Jacob, 75006 Paris). L'exposition se poursuit jusqu'au 7 janvier.





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