Yanick Lahens a remporté hier jeudi 30 octobre le Grand prix du Roman de l'Académie française (10.000 euros) pour "Passagères de nuit" (Sabine Wespieser Editeur). L'écrivaine haïtienne née en 1953 l'a emporté au troisième tour de scrutin, de justesse, par onze voix contre dix à Pauline Dreyfus pour "Un pont sur la Seine" (Grasset). Alfred de Montesquiou figurait aussi dans la sélection finale avec son roman "Le crépuscule des hommes" (Robert Laffont).
C'est une belle reconnaissance pour l'éditrice Sabine Wespieser qui publie peu - deux romans français et un récit étranger traduit en cette rentrée - mais bien - les deux romans français ont figuré dans les sélections de plusieurs prix littéraires -, souvent des femmes, et ce depuis vingt-trois ans.  
L'éditrice a exprimé sa "gratitude aux membres de la prestigieuse institution. Nous sommes contraints", a-t-elle ajouté, "de partager à distance notre joie, immense, avec Yanick Lahens: des difficultés administratives la retiennent hélas sur le continent américain."
C'est donc Sabine Wespieser qui a lu le discours de Yanick Lahens au quai Conti:
"Mesdames, messieurs les membres de l'Académie française,
Je vous remercie pour cette distinction dont votre prestigieuse institution a bien voulu m'honorer. Me voilà succédant à une longue liste d'écrivains illustres comme Pierre Michon, Antoine de Saint-Exupéry, Michel Tournier, Geneviève Dormann et Amélie Nothomb, pour ne citer que ceux-là.
Je reçois cette distinction avec d'autant plus de surprise qu'il s'agit d'un roman écrit à des milliers de kilomètres de Paris et qui évoque la Nouvelle-Orléans et Port-au-Prince au XIXe siècle. Cette distinction me conforte dans l'idée que la littérature est encore dotée d'un pouvoir immense, celui de transcender le temps et l'espace. De faire fi des frontières qui nous enferment pour nous faire grandir. La Nouvelle-Orléans fut une ville-monde qui préfigure notre "Tout-Monde" en devenir, pour reprendre la formule d'Édouard Glissant. Et Haïti au XIXe siècle présente en germe les crises des pays du Sud aujourd'hui.
J'ai aussi voulu rendre audibles les voix pourtant puissantes de femmes. La littérature nous enseigne qu'aucun lieu du monde ne saurait être une périphérie. Que la condition humaine se décline en tout lieu en obscurités abyssales et en lumières éclatantes.
Je suis une écrivaine qui, dans sa solitude et sa discrétion, interroge sans cesse et doute. Et avance par tâtonnements, en hésitations, dans un monde qui, s'il m'a toujours quotidiennement nourrie, bouscule aujourd'hui mes repères anciens.
Il me faut de la force pour avancer avec, pour seule boussole, l'idée d'une humanité partagée et, comme seule arme, des mots. Juste une poignée de lucioles lancée dans la nuit. Et, toujours, j'espère que la magie opérera, que les lucioles nous feront plier les genoux, rêver, sourire, rire, verser des larmes, danser. Aujourd'hui plus que jamais nous avons tant besoin de nous décentrer pour nous retrouver.
Merci.Yanick Lahens
jeudi 30 octobre 2025"
Une version audio du discours de Yanick Lahens par elle-même est disponible sur la page Facebook de la maison d'édition.
Dans "Passagères de nuit", Yanick Lahens compose le portrait en miroir de deux femmes, ses lointaines grands-mères, qui reconnaissent chacune en l'autre "une semblable, une sœur échappée à la rudesse des conventions". Magnifique hommage à toutes les "Passagères de nuit" (à commencer par celles des bateaux négriers), ces vaincues de l'histoire dont la ténacité et la connivence secrète opposent à la violence du monde une lumineuse vaillance. Comme si ses aïeules lui murmuraient de toujours avancer sans se retourner.
Pour en lire en ligne le début, c'est ici. 
 



 
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