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Le jeu commence. (c) l'école des loisirs. |
Audrey Poussier travaille depuis longtemps et on s'en réjouit tant son œuvre pour les enfants est de qualité. Ses premiers lecteurs sont aujourd'hui de jeunes adultes. Ils n'ont sûrement pas oublié leurs lectures d'hier, portées par un graphisme de qualité, un ton simple, joyeux, vécu. "Mon pull", "La bagarre", "La piscine", "Le bain d'Abel", les récits avec "Castor-têtu", etc., toutes publiées à l'école des loisirs. Des histoires du quotidien souvent, dont l'auteure-illustratrice française née en 1978 a fait autant d'aventures tendres et drôles. A la tête d'une bibliographie forte d'une quinzaine d'albums en tant qu'illustratrice de textes et d'une vingtaine en solo en vingt ans, Audrey Poussier peut être fière!
Elle peut être encore plus fière de son dernier en date,
"Le jeu du plus qu'un jour" (l'école des
loisirs, 48 pages), remarquable à tout point de vue. Le texte, simple et évocateur, convoque le réel et à l'imaginaire et touche au cœur. Les illustrations peintes à l'huile sont de toute beauté. Elles débordent de vie même si elles représentant souvent des natures mortes. Le rapport texte-images est excellent. Voilà un album éblouissant qui touche à la grâce. Les enfants d'aujourd'hui ont bien de la chance.
Si le titre de ce format quasiment carré peut sembler un peu étrange au premier abord, il s'explique très vite. Et donnera peut-être des idées à ses lecteurs. Deux enfants sont assis dans l'herbe devant une maison bleue, celle de leurs grands-parents (illustration ci-dessus). Ils dialoguent en deux tons:
- Plus qu'un jour... Plus qu'un jour et on s'en va.- On fait le jeu du plus-qu'un-jour?
Un jeu qui s'explique par lui-même:
- Si on revient l'année prochaine, je dormirai dans la chambre verte.- Moi dans la violette, celle du coffre à jouets.
En face des textes, la vue colorée des lieux choisis.
Le dialogue se poursuit au fil des pages, parcourant la maison de pièce en objet, de jouet en vaisselle, d'escalier en chaise. De question en question. Les réponses ne sont pas toujours faciles. D'abord parce qu'elles sont obligatoires, ensuite parce que les choix doivent être différents. Quoique, des exceptions sont permises. On suit le duo, curieux de savoir ce qui sera interrogé ensuite, tout en imaginant ses propres réponses.
Ce dialogue à hauteur d'enfant est porté par les superbes natures mortes des sujets évoqués. Réalisées à la peinture à l'huile, elles vibrent ici, brillent là, reflétant une lumière. Disposées selon un rythme agréable de couleurs et de formats, elles créent une ambiance tendre et juste. Elles établissent une belle complicité avec le lecteur qui reconnaît ceci ou découvre cela. Les objets présentés sont souvent un peu rétros, parfois universels comme le verre à moutarde décoré. Que ce soit l'ancienne ferme jouet, la petite chaise ou l'assiette cassée et recollée, le vieil outil ou la perceuse sur batterie, ils tous à haute valeur sentimentale. Et invitent donc à l'échange.
Le dialogue entre la sœur et le frère se poursuit longuement, jamais ennuyeux. Au contraire, on attend avec impatience la question suivante. Les pérégrinations mènent les enfants au jardin, lieu où ils vont réaliser avec simplicité et évidence que le temps passe, que tout ce qui est vivant change tout le temps, même eux. Passé cet instant philo, le jeu reprend avec la certitude alors, et non plus la possibilité initiale, de revenir l'année suivante. "Le jeu du plus qu'un jour" est un grand album à ne pas manquer.
De passage à Bruxelles, Audrey Poussier a généreusement évoqué son travail.
- Sa manière de faire en général et en particulier pour cet album qu'elle a mis deux ans à finaliser: "J'essaie d'aller du personnel à l'universel. Ma manière de faire des livres est de raconter des histoires qui soient logiques pour moi. Dans le cas de cet album, j'ai mis des choses intimes, personnelles. Mais on n'est pas obligé de tout comprendre. Par exemple, l'arbre vaisseau (illustration ci-dessus). Il y a un petit côté nostalgique mais très vivant. Les objets parlent de la maison des grands-parents, ils appartiennent à des personnes âgées."
- Son choix de la peinture: "C'est mon deuxième album peint, tous les précédents sont à l'aquarelle. Le premier est "Trois chatons dans la nuit" (même éditeur, 2023). Il y a quatre ans que je peins. Quand j'avais seize ans, je recopiais Van Gogh. J'ai arrêté. Après, j'ai observé et dessiné. Je n'ai pas appris la peinture à l'école. J'ai regardé beaucoup de natures mortes, la quiétude avec laquelle elles ont été faites. J'ai eu envie de faire un imagier en trois dimensions, comme un musée. J'ai mis du temps à faire ces peintures en espérant qu'on passe du temps à les regarder. J'ai créé des atmosphères, on ne fait pas que des couleurs, il y a les contre-jours, les reflets."
- Les objets: "J'ai eu ici l'opportunité de donner aux enfants des objets à regarder longtemps, comme les natures mortes dans les musées. J'ai fait le choix d'objets qui peuvent parler à des enfants, des objets qui n’ont pas été jetés. Je présente des choses intimes mais que tout le monde voit. Je propose d'entrer dans l'intimité d'objets, de passer du temps avec les objets, de réussir à faire parler les objets chez les lecteurs, qu'ils soient des portes ouvertes vers les lecteurs."
- La maison: "La maison est un peu ma maison, qui a une histoire. J'ai eu envie de peindre ce que je voyais. Mais pour l'intérieur, j'ai composé. Pépé et Mémé sont la manière dont sont appelés mes parents par mes enfants."
- Le déclic: "Au départ, j'avais la maison, la fin de l'été et l'idée d'un dialogue. Je voulais que ce soit comme ces catalogues de jouets qu'on regarde et regarde. Mais j'ai exploré plusieurs autres pistes, comme celle des outils. J'ai d'abord fait les peintures des objets, beaucoup d'objets, beaucoup de peintures, puis les autres pages. L'histoire s'est construite petit à petit. Au début, c'était des choses de ma vie, après, cela a été les souvenirs comme un jeu, les portes, les verres... Tout s'est assemblé comme un puzzle."
- L'aspect philo: "Je voulais aussi aborder le temps qui passe, le vertige du temps dans la logique d'un enfant, et la pousser jusqu'au bout. Que les lecteurs se confrontent au fini et à l'infini."
- Les natures mortes: "Je voulais que le dialogue entre les enfants permette des échanges et du jeu. J'ai choisi de représenter deux enfants d'âges différents mais proches. Le jeu peut chaque fois reprendre le dessus. La question du début "si?" devient une affirmation à la fin: "quand". La confiance est là."
- Conclusion? "L'acte créatif est satisfaisant quand on a raconté des choses et qu'on y a mis plus qu'on ne pensait."
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La quatrième de couverture. (c) l'école des loisirs. |
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