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jeudi 28 juillet 2016

DTPE 6: Robert Goolrick concentré et illustré

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.

Robert Goolrick.

Préparer le prochain festival America (du 8 au 11 septembre à Vincennes), c'est se souvenir du précédent, il y a deux ans. J'avais eu le plaisir d'y animer entre autres un débat dont l'un des intervenants était Robert Goolrick à propos de son roman "La chute des princes" (lire ici et ici). Cette rencontre ne m'avait donné qu'une idée, vite lire les romans précédents de l'Américain.

C'est dire si découvrir un nouveau roman de lui m'a enchantée. "L'enjoliveur" ("Hubcaps", traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie de Prémonville (sa traductrice attitrée), illustré par Jean-François Martin, Editions Anne Carrière, 68 pages) est un plaisant petit format sur beau papier qui tient dans la poche et se lit le temps d'un voyage en transports en commun ou d'une pause en salle d'attente. Bref mais concentré. Du Goolrick pur jus. Rafraîchissant de surcroît car il se déroule en plein hiver, un "matin givré de février", bribe d'enfance d'un auteur né en 1948.

"Robert Goolrick a développé un lien si fort avec ses lecteurs français", explique la maison d'édition Anne Carrière qui l'a révélé au public francophone en 2009, "qu'il a décidé d'écrire une nouvelle pour eux, rien que pour eux. Comme tout ce qu'écrit Goolrick, elle nous dit quelque chose de l’enfance. Et comme tout ce qu'il écrit, elle touchera chacun de vous au cœur. 
Nous l'avons trouvé si belle que nous avons décidé de lui offrir un écrin et d'en confier la couverture et les illustrations à l'artiste Jean-François Martin. La voici, grâce à lui, enjolivée."

Une allusion discrète au titre du roman de Goolrick qui, lui, fait référence à l'accessoire automobile d'hier. Il n'y a plus que le cinéma pour évoquer les séances hebdomadaires d'astiquage des roues des voitures. Et Robert Goolrick. S'il donne d'entrée de jeu autant de précisions, c'est que l'enjoliveur, qui ne se pratique gère plus, du moins dans sa version chromée étincelante, est au centre de ce récit plein de suspense et de surprises. Il expose comment les enfants d'hier avaient trouvé mille finalités aux enjoliveurs qu'ils récupéraient dans les fossés le long des routes. Un luxe de détails qui ferre le lecteur jusqu'à la phrase  "Mais toutes ces aventures d'enjoliveurs, aussi exaltantes fussent-elles, prirent fin le jour où l'un d'eux tenta de me tuer." Le narrateur avait cinq ans, la Buick de 107 chevaux de sa grand-mère le double.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Robert Goolrick a l'art de raconter et manie le teasing à la perfection. Il nous embarque dans son histoire, faisant des annonces qu'il noie dans d'exquis portraits de famille, dont principalement celui de sa grand-mère adorée. On le suit avec plaisir dans cette aventure familiale émaillée d'anecdotes savoureuses et complètement hors sujet ("Mais je m'égare", lit-on; "Permettez-moi une autre digression", un peu plus loin) que les illustrations de Jean-François Martin servent avec art.

L'écrivain finira bien entendu par aller au cœur de ce qu'il avait annoncé, comment un enjoliveur avait failli le tuer un matin tôt d'un jour d'hiver frisquet. Un accident qui ébranla chez lui des certitudes concernant sa mère qui ne trouveront confirmation que de très nombreuses années plus tard. Quel beau texte sur l'enfance et les vies d'adultes que cet "Enjoliveur", teinté d'amertume et d'humour, mené de main de maître!

Jean-François Martin a illustré le texte doux-amer de Goolrick. (c) A. Carrière.

Imprimé en France

Une dernière précision de l'éditeur, Stephen Carrière, sur le prix de ce livre: "L'objet et le prix: un certain nombre de libraires nous ont fait le reproche d'un prix trop élevé (12 euros) pour "L'Enjoliveur". Et ils ont par définition raison puisqu'ils soutiennent depuis longtemps l'auteur et que leur frustration est de ne pas mieux vendre l'objet. Le propos de ce message n'est donc pas débattre du prix mais juste de l'expliquer. "L'Enjoliveur" est une nouvelle originale réservée à la France, illustrée par un grand artiste français et surtout, imprimée en France. Je ne parlerai pas ici du coût d'un à-valoir, ni de la rémunération d'une traductrice et d'un illustrateur de grand talent. Ces investissements-là sont faciles à comprendre. Je voudrais insister sur autre chose. Parfois, nos livres seront un peu plus chers, d'un ou deux euros (en comparaison à d'autres de même format). Et toujours, toujours, nous choisirons d'imprimer en France. Parce que nous estimons que dans la chaîne du livre, les imprimeurs sont un maillon clé. Toute personne qui a visité une imprimerie, une fois dans sa vie, est repartie émerveillée comme un enfant après avoir vu les machines, mais surtout, avec un immense respect pour les artisans qui les conduisent. Peu savent à quel point l’imprimerie française est depuis de nombreuses années sous la pression de la concurrence internationale. S'il y a un travail qui mérite l'épithète "qualifié", c'est bien celui d'un homme ou d'une femme devant une roto, une cameron ou des polymères. "L'Enjoliveur" est donc, à notre plus grande fierté, comme tous nos livres, un objet "imprimé en France". De l'imagination de Robert Goolrick aux machines de l'imprimerie Clerc, c'est un objet qui a été élaboré avec beaucoup de soin. Son prix est d'un euro de moins que deux paquets de cigarettes, et même si Robert est un grand fumeur, il ne m'en voudra pas d'affirmer que son "Enjoliveur" est bien meilleur pour la santé."


Rappel
DTPE 1: "Le Roi René", René Urtreger par Agnès Desarthe (Odile Jacob).
DTPE 2: "Cœur Croisé", Pilar Pujadas (Mercure de France).
DTPE 3: "Sens dessus dessous", Milena Agus (Liana Levi).
DTPE 4: "La reine du tango", Akli Tadjer (JC Lattès).
DTPE 5: le lapin à toutes les sauces.


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