Nombre total de pages vues

vendredi 22 juin 2018

Catel, la Schtroumpfette 2.0

(c) CBBD.

Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges, Joséphine Baker
Lucie
Lucrèce, Marion, Linotte, Loulou, Philomène

Quel est le point commun entre ces héroïnes féminines, dont on découvre les destins ou les aventures dans des bandes dessinées ou des albums jeunesse?
C'est simple, elles sont toutes sorties des pinceaux et des crayons de Catel, parfois en duo avec un(e) scénariste.
Ah booooon? Ben oui, selon qu'on se situe BD ou jeunesse, on connaît plutôt l'une ou l'autre Catel. Alors qu'il s'agit d'une seule et même personne, volubile et dynamique, brassant à merveille les genres littéraires, et réjouissant d'autant plus de lecteurs. Avec toujours l'idée de militer, à sa manière, pour les droits des femmes.

Un des atouts de la magnifique exposition "Catel, héroïnes au bout du crayon" qui vient de s'ouvrir au Centre Belge de la Bande Dessinée est d'ailleurs de montrer l'ensemble du travail graphique de Catel et d'en faire percevoir la cohérence. Installée à l'étage, extrêmement riche, elle présente dans son mini-labyrinthe les différentes facettes de l'artiste née à Strasbourg le 27 août 1964.

Une scénographie réussie. (c) Daniel Fouss/CBBD.

"Des héroïnes féminines dégourdies, plutôt impertinentes, qui ont du caractère, dans lesquelles j'ai envie de me retrouver et que mes lectrices se retrouvent"
, en dit-elle.
L'expo est immense et remarquablement scénographiée dans l'ordre chronologique du travail de Catel. On y trouve évidemment des planches complètes en noir et blanc et en couleurs de la plupart de ses albums en bande dessinée et en littérature de jeunesse, des croquis de ses repérages au crayon ou à l'aquarelle extraits de ses célèbres carnets, de somptueux portraits (féminins en général), la manière dont elle travaille par étapes, ses projets en cours et même un mini-atelier (table, documentation, crayon noir (porte-mine), pinceaux, encre de Chine, boîte d'aquarelles, crayons de couleurs, carnets). Un écran proposant seize sujets en projection complète cette riche visite que Catel nous a commentée.


Aquarelle de Kiki de Montparnasse sur scène. (c) CBBD.

Bécassine revue. (c) CBBD.
Il est touchant de découvrir ses premières aquarelles. Et frappant de voir comme son style s'est immédiatement défini, avec sa force qui frappe alors que le dessin est épuré, ce noir qui a de la souplesse, cette organisation de la page qui séduit le regard. En suivant les cimaises, on découvre son travail, "rangé" par chapitres évidents: premiers pas, la BD affaire d'hommes, droits des femmes, l'épisode Benoîte Groult, dans ses maisons Beg Roudou à Doëlan et à Hyères, dont le "Libé" y consacré, un dessin rendant sa bouche à Bécassine, un hommage à Claire Brétecher, le Prix Artemisia de la bande dessinée féminine en 2014, les albums "RoseValland" et "Adieu Kharkov", nés de rencontres, les projets collectifs dont "Quatuor" et les dessins de presse dont celui pour Florence Aubenas et Hussein Hanoun, à propos de Tomi Ungerer, sur l'actualité, pourfendant la bêtise humaine, sans oublier ceux qui illustrent les "Chroniques Burlesques d'une journaliste".

Carnet de repérage de la maison de Doëlan composant la planche 25
de "Ainsi soit Benoîte Groult" (Grasset, 2013). (c) CBBD.


Catel dans son expo. (c) Daniel Fouss/CBBD.
"J'ai adoré mon exposition", déclare tout de go Catel, à peine revenue d'une première visite rapide. "Redécouvrir aux cimaises ce que j'ai fait indique ma cohérence, synthétise mon travail et en fait ressortir l’essentiel." En effet, trente ans de travail sont exposés et Catel a raison d'être fière et contente: "Il s'agit de ma première exposition rétrospective, en plus en un lieu aussi prestigieux que le CBBD!" Visite surprise pour l'artiste qui ne savait rien de ce qui allait être montré, même si les deux commissaires de l'exposition,  Mélanie Andrieu et Jean-Claude De la Royère, sont allés plusieurs fois chez elle pour emporter des originaux. Ensuite ils ont dû choisir, puis scénographier avec Jean Serneels les éléments exposés. Une réussite que leur aventure au pays de Catel qui en dit: "Cette exposition reflète ma personnalité et l'ouverture de mon travail."

Philomène chez Epigones. (c) CBBD.
En pratique, on commence par les premiers pas, quand Catel (Muller de son vrai nom), dont le talent a été décelé dès l'école, termine les Arts Décos à Strasbourg et est sélectionnée à l'exposition des illustrateurs de Bologne en 1989. Cette sélection lui permet de travailler avec les maisons d'édition jeunesse, Bayard, Dupuis, Casterman, Nathan, Epigones, Hachette, Gallimard... Elle crée Bob et son ami Blop l'extraterrestre, les petits Papooses, les jumeaux Léo et Léa, Lune, Philomène la sorcière, Linotte, Loulou, Marion et cette année, Lucrèce.


Lucie, chez Casterman. (c) CBBD.
Catel travaille avec Blutch avec qui elle était à l’école à Strasbourg. Elle découvre que la BD est un monde d'hommes: "Mon modèle a été Claire Brétécher avec qui j’ai une super relation." Elle se réfugie dans le monde de la jeunesse puis rencontre Véronique Grisseaux avec qui elle créera la trentenaire "Lucie" dont elle racontera les aventures. Désormais elle a mis le pied à l'étrier de la BD. "Mais après trois tomes de Lucie, j’avais fait le tour du sujet", dit-elle. "Je me suis tournée vers l'histoire. J’ai eu envie de parler d'héroïnes de la vie, de les faire sortir de l’ombre et de revisiter l'histoire. Ce sont des femmes qui ont laissé une trace indélébile dans l'histoire mais que l’histoire n'a pas retenues."



Catel, ce sont évidemment les biographies graphiques, les formidables "biographiques" "Kiki de Montparnasse",  "Olympe de Gouges" et "Joséphine Baker" (Casterman, collection "Ecritures", 2007, 2012 et 2016), en duo avec José-Louis Bocquet. Des romans graphiques passionnants, documentés et terriblement agréables à lire. Son "Liberté (Kiki), Egalité (Olympe), Fraternité (Joséphine)" à elle.

"Après "Kiki de Montparnasse", mon premier grand succès, j'ai subi beaucoup d'agressivité de la part des hommes. Mon deuxième succès a été "Quatuor". Olympe m'a donné mes galons ainsi que le livre avec Benoîte Groult qui a été très bien reçu. Aujourd'hui, cela va tout seul. Je suis présidente de la commission BD du CNL."

Catel, c'est aussi une petite entreprise familiale qui tourne bien. "Mes enfants sont présents dans mes livres. Ma fille Line m’a servi pour le personnage de Linotte, ma seconde fille Julie pour celui de Juliette dans "Quatuor". Par contre, c'est Salomé, la fille d’Anne Goscinny, qui a inspiré le personnage de Lucrèce." Cette "matière première en direct!" et un appétit féroce pour le travail ("J'accepte plus de travail que je ne peux en faire et je le répartis") ont conduit à la création d'un "studio Catel". "Je suis boulimique. C'est merveilleux de pouvoir choisir. Je suis dans un entonnoir où le temps m'est compté. Ainsi, Lucrèce, c'est 120 dessins par livre. Du coup, j'ai des stagiaires, dont une a fait mon blog et avec qui je travaille toujours, une qui refait mes "bulles" dans les planches, des coloristes. J'ai un atelier à Fécamp, au bord de la mer, où travaille mon équipe, 80 % de filles, 20 % de gars, tous payés au mieux que je peux."

Lucrèce chez Gallimard. (c) CBBD.
Catel, ce sont encore des projets qui commencent mal (*). "Quand Anne Goscinny m'a demandé de faire le portrait de son père, j'ai dit: non, je ne fais que des portraits de femmes. Ça commençait mal! Puis le projet a évolué vers le portrait de la fille et du père, le roman des Goscinny en quelque sorte (à paraître chez Grasset en 2019) et nous sommes devenues très amies, Anne et moi. Dans la vie, elle me fait rire, même si ses livres sont plutôt sombres. Je lui ai demandé si elle n’avait pas songé à écrire pour la jeunesse. Elle m'a dit non. Trois mois après, elle m'apportait Lucrèce dont il y aura trois tomes. Le premier est sorti il y a trois mois et est en tête des ventes. Anne avait peur d'être dans les pieds de son père et moi dans ceux de Sempé."

(*) Quand Catel a abordé Benoîte Groult pour faire son portrait, cette dernière lui a répondu qu'elle détestait la bande dessinée (lire ici).

Catel, c'est évidemment la mise en valeur d'héroïnes féminines qui manquaient à la bande dessinée. Combien de temps n'a-t-elle pas attendu que Peyo crée une Schtroumpfette? "La Schtroumpfette est LE personnage que j’ai attendu en tant que femme." Un personnage qui l'a réjouie, "inspiré de Mylène Demongeot et non de Brigitte Bardot comme on le croit souvent." Mylène Demongeot avec qui elle a abordé la relation mère-fille. 

Catel, ce sont enfin des projets à la pelle. "Je ne fais pas de livre sans rencontre. Je choisis toujours des choses intimes et personnelles. J'ai toujours au moins cinq chantiers en même temps. Pour le moment, Lucrèce, Goscinny, la cinéaste Alice Guy sans oublier les dessins de presse et un projet en animation. Les choses n'arrivent pas forcément les unes après les autres."

En projet, le roman des Goscinny. (c) CBBD.

En projet, la cinéaste Alice Guy. (c) CBBD.

Pratique
"Héroïnes au bout du crayon": Centre belge de la Bande dessinée, 20, rue des Sables, 1000 Bruxelles, tous les jours de 10 à 18 heures, jusqu'au 25 novembre.


Devinettes
Différents livres de Catel sont réunis dans ces montages. Saurez-vous les reconnaître?


















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire