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dimanche 3 novembre 2013

LD couvre encore et encore Benoîte Groult

Olympe de Gouges fut guillotinée à Paris
le 3 novembre 1793, il y a pile 220 ans.
Tout(e) qui a approché de près ou de loin Benoîte Groult, née à Paris le 31 janvier 1920, sait l'admiration, la passion même, que voue la féministe française à celle qu'elle considère comme la première à avoir défendu les droits des femmes. La "Déclaration des droits de la femme", c'était déjà  une proposition d'Olympe de Gouges, en 1791!


Cet avant-propos parce que quand Catel Muller, dite  Catel, publie "Ainsi soit Benoîte Groult" (Grasset, 332 p.), un formidable roman graphique biographique de la dame, filigrané de leur amitié, c'est encore Olympe de Gouges qu'on retrouve. Dans le texte, dans les conversations entre les deux femmes, et parce que Catel lui a également consacré une biographie dessinée, avec son compagnon ("Olympe de Gouges", Catel Muller et José-Louis Bocquet, Casterman/Ecritures, 487 p.).



Autre parenthèse. Le titre "Ainsi soit Benoîte Groult" est bien sûr une allusion au livre "Ainsi soit-elle" que Benoîte Groult écrivit en 1975 (Grasset), un an après le "Journal à quatre mains" qu'elle publia avec sa sœur Flora chez le même éditeur. Précision pour ceux et celles qui n'étaient pas nés - et ils sont de plus en plus nombreux. Ce fut un livre-choc à propos duquel l'auteur dit: "Il faut que les femmes crient aujourd'hui. Et que les autres femmes - et les hommes - aient envie d'entendre ce cri. Qui n'est pas un cri de haine, à peine un cri de colère, car alors il devrait se retourner contre elles-mêmes. Mais un cri de vie. Il faut enfin guérir d'être femme. Non pas d'être née femme mais d'avoir été élevée femme dans un univers d'hommes, d'avoir vécu chaque étape et chaque acte de notre vie avec les yeux des hommes et les critères des hommes. Et ce n'est pas en continuant à écouter ce qu'ils disent, eux, en notre nom ou pour notre bien, que nous pourrons guérir."

Un livre que Benoîte Groult republia en 2000, complété et à nouveau commenté: "A toutes celles qui vivent dans l'illusion que l'égalité est acquise et que l'Histoire ne revient pas en arrière, je voudrais dire que rien n'est plus précaire que les droits des femmes. A celles qui ne regardent ni derrière elles ni autour, je voudrais rappeler que les Allemandes de l'Est par exemple ont perdu, à la chute du mur de Berlin, des droits qu'elles croyaient acquis pour toujours. Que les Algériennes, les Iraniennes, les Afghanes et tant d'autres, qui avaient goûté aux premiers fruits de la liberté, ont disparu, du jour au lendemain, sous un voile de silence. Aux Françaises je rappelle que l'on déplore encore 220.000 avortements en 1999. A celles enfin qui font confiance aux hommes au pouvoir pour que les choses s'arrangent peu à peu, je voudrais citer une phrase de Virginia Woolf : "L'histoire de la résistance des hommes à l'émancipation des femmes est encore plus instructive que l'histoire de l'émancipation des femmes." Si elles ne défendent pas elles-mêmes les droits conquis par leurs mères, personne ne le fera pour elles. La condition des femmes ne va pas en s'améliorant dans le monde, contrairement à ce qu'il est reposant de croire. Les hommes sont des analphabètes du féminisme, on le sait. Mais les femmes le sont à peine moins. C'est pourquoi il n'est jamais trop tard pour lire un livre féministe. Ni trop tôt. Ils n'ont hélas pas pris une ride depuis 25 ans." 





"Je n'aime pas la bande dessinée." Tel a été le point de départ de Catel: convaincre de l'intérêt de ce travail une obstinée, fièrement campée devant les meubles dessinés par son père, qui réduisait la bande dessinée à Bécassine et aux Pieds Nickelés... Mais la dessinatrice s'est obstinée également. Et cela donne un récit en images, ancré dans le temps, du 28 mai 2008 au 15 juin 2013. On y découvre la vie de Benoîte Groult que l'écrivaine a déjà beaucoup utilisée dans ses propres livres mais aussi une autre Benoîte, celle que Catel a vue, croquée, racontée. Une Benoîtine, qui pourrait rejoindre les Agrippine et autre Seccotine qui ont fait de la BD un art à part entière. Comme quoi, il y a toujours à apprendre sur Benoîte Groult.

Blandine, la fille de Benoîte Groult, la sujette et Catel. (c) Grasset.

Le livre est la prolongation d'une commande de "Libé" à Catel: faire un reportage dessiné sur une personne de son choix. Elle a choisi Benoîte Groult, sans trop savoir à quoi s'attendre. Les deux femmes, de générations différentes, se rencontrent, se hument, se testent et tombent très vite en amitié. Derrière les mots parfois ironiques de la romancière, pionnière du féminisme, on sent l'affection pour l'autre. Sous les dessins innombrables de la dessinatrice,  pionnière de ce qu'elle nomme la "bio-graphique", on perçoit la même affection immédiate. Ce que confirme l'aînée: "J’avais ressenti le coup de foudre de l’amitié dès ma première rencontre avec Catel. J’ai vraiment eu l’impression, en la voyant s’emparer de ma vie, d’entrer dans un univers de liberté, de vérité et d’humour." Au point qu'elle a pu lui dire: "Bravo, Catel, tu as du génie!".

Doélan (c) Grasset.


Le roman graphique nous promène dans tous les lieux chers à Benoîte Groult, formidablement croqués, Hyères, la Bretagne, Paris, l'Irlande. La romancière les raconte avec sa force habituelle en même temps qu'elle commente des épisodes de sa vie: enfance d'une petite fille pas assez belle aux yeux de sa maman, études classiques, la guerre, profession de professeure alors qu'elle n'avait pas le droit de voter, arrivée tardive dans le féminisme, romancière et auteure d'essais, animatrice radio, mère de trois filles, grand-mère de petites-filles, arrière grand-mère de Zélie. Entre tout cela, ses amours, ses joies et ses chagrins, son veuvage, l'énergie à la fin de la guerre, son divorce d'avec Georges de Caunes, sa réinvention quotidienne de l'amour avec Paul Guimard, sans oublier le drame des femmes de son époque: l'absence de contraception impliquant le recours à des avortements.

Le long chemin vers l'émancipation. (c) Grasset.

"Ainsi soit Benoîte Groult" raconte bien entendu une vie en dessins, mais, surtout, le livre brosse le portrait d'une époque où la femme tentait de prendre sa place et dépeint à petites touches une femme qui est entrée dans l'histoire des lettres et du féminisme tout en cherchant à devenir elle-même malgré les embarras placés sur son chemin.
Benoîte Groult n'a jamais eu sa langue en poche même pas à la fête célébrant ses  90 ans où elle piquait son éditeur et se réjouissait d'avoir retrouvé la petite-fille avec qui elle était en froid.

L'anniversaire des 90 ans de Benoîte Groult. (c) Grasset.

Alternant cases classiques de bande dessinée, extraits des carnets Moleskine de la dessinatrice, lettres manuscrites de Benoîte Groult - elle n'a jamais utilisé de machine à écrire, ne lui parlons pas d'ordinateur - l'ensemble est réjouissant, passionnant, tendre, drôle et surtout, tout plein d'amour.

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