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jeudi 21 novembre 2013

LB nit Paul Colize et sa "Camille"

Paul Colize est un écrivain belge qui est actuellement finaliste du prix Victor Rossel avec son roman "Un long moment de silence" (La manufacture de livres).
Il est en compétition avec quatre collègues:
Alain Berenboom, "Monsieur Optimiste" (Genèse éditions), Stéphane Lambert, "Mon corps mis à nu" (Les impressions nouvelles), Nathalie Skowronek, "Max, en apparence" (Arléa) et Isabelle Wéry, "Marilyn désossée" (MaelstrÖm ReEvolution).

Verdict le 3 décembre.


Paul Colize est un écrivain belge qui a été finaliste du prix Victor Rossel 2012 avec son roman "Back-up" (La manufacture de livres, repris cette année en Folio policier).
Il était en compétition avec quatre collègues:
Patrick Declerck, le lauréat 2012, pour "Démons me turlupinant" (Gallimard), Yun Sun Limet, "Joseph" (La Différence), Jacques Richard, "Petit Traître" (Albertine) et Giuseppe Santoliquido, "L’audition du Docteur Fernando Gasparri" (Renaissance du livre).



Le mur des photos trouvées chez Pêle-Mêle.
Paul Colize est un des écrivains à qui le "Focus Vif" a proposé de choisir une des centaines de photos anonymes, affichées sur les murs du célèbre magasin de livres de seconde main Pêle-Mêle du boulevard Lemonnier à Bruxelles. Affichées parce qu'oubliées dans les livres revendus là chaque jour, mais toujours à la disposition de leurs propriétaires.
La consigne pour les auteurs était de choisir une photo et d'inventer son histoire.
La série a été publiée dans le "Focus Vif" durant l'été 2013.
Cet hiver, ONLIT REVUE la reprend en ligne, dans sa nouvelle série "Pêle-Mêle".




Inauguration en  fanfare avec le très joli texte "Camille" de Paul Colize.
Ce dernier m'a très aimablement autorisée à reprendre l'intégralité de son texte sur mon blog. Je l'en remercie chaleureusement.


Camille
 


Cette année-là, un homme avait marché sur la lune et Jane Birkin n’en finissait pas de s’envoyer en l’air. Il suffisait d’allumer la radio pour l’entendre gémir de plaisir.

L’été touchait à sa fin, je venais d’avoir seize ans et je me préparais à faire une connerie.

Au départ, l’affaire se présentait pourtant bien. Une petite agence isolée dans un quartier calme, deux ou trois employées vieillissantes, le premier commissariat à plus de cinq kilomètres.

Nous l’avons braquée à moto, Max et moi. J’ai mis la honda sur sa béquille en laissant tourner le moteur et nous sommes entrés dans la banque, nos casques sur la tête, de fausses pétoires dans les mains. Tout s’est déroulé comme prévu, personne n’a moufté. Les femelles se sont allongées sur le sol pendant que le gérant nous remettait le magot. Nous avons tout mis dans un sac et sommes sortis en hâte.

Ils nous attendaient. Trois bagnoles, une douzaine de flics et des milliers de canons braqués sur nous.

J’ai chopé sept ans.

Pour mon malheur, ils m’ont envoyé dans le quartier des mineurs, à Saint-Gilles.

Quelques jours après mon incarcération, elle est venue me rendre visite et m’a offert ce bouquin, Papillon. C’était le best-seller du moment, mais d’autres critères avaient dicté son choix. Elle savait que je ne lisais pas, mais elle avait insisté. Le texte contenait un message d’espoir, une promesse de liberté, une leçon de courage.

Ce n’est que quelques jours plus tard que je l’ai ouvert et que j’ai trouvé la photo. Je me suis souvenu du moment et de l’endroit où je l’avais prise. Ses cheveux tombaient sur ses épaules. Elle affichait cette gravité dans le regard et ce sourire énigmatique qui m’avaient fait craquer. Soir après soir, le souffle court, j’ai imaginé les courbes que la photo ne dévoilait pas en me remémorant nos étreintes platoniques.

Au fil des semaines, ses visites se sont espacées. Au printemps de l’année suivante, elle a cessé de venir.

J’ai lu le bouquin, et bien d’autres à sa suite. Petit à petit, j’ai oublié l’histoire, mais je suis tombé amoureux des livres. Les mois passant, j’ai oublié la présence de la photo. En définitive, je l’ai oubliée, elle aussi.

Je suis sorti après quatre ans. J’ai arrêté de déconner et j’ai refait ma vie. Je suis devenu menuisier. Je me suis trouvé du boulot et une femme. Nous avons eu deux beaux enfants.

Plus de quarante ans ont passé. Ma femme s’en est allée, emportée par le crabe, mes enfants ont terminé leurs études et suivi leur chemin. À leur tour, ils se sont mariés et je suis resté seul, avec mes livres comme amis dévoués. J’en dévorais plusieurs par semaine, pour la plupart des pavés que je trouvais rangés pêle-mêle dans les rayons d’un magasin de seconde main.

C’est là que je l’ai retrouvé.

Sa couverture a accroché ma mémoire. Papillon. Je me suis souvenu de ce qu’il m’avait apporté, la naissance d’une passion et le sentiment de liberté qui me manquait entre mes quatre murs.

Je l’ai pris et mes mains ont commencé à trembler. Comme si elles étaient mues par une force propre, elles se sont mises à feuilleter les pages.

Elle était là, vers le milieu du bouquin. La photo.

Des fourmillements ont parcouru mon corps. Cela faisait bien longtemps que je ne croyais plus au hasard, mais je savais que la vie offrait parfois une dernière chance.

Je suis rentré chez moi et j’ai entamé mes recherches. Elle avait probablement changé de nom et d’adresse. Sans doute ne savait-elle plus qui j’étais. Peut-être la maladie l’avait-elle également emportée.

Il m’a fallu une bonne semaine de travail. Une semaine pour découvrir qu’elle habitait dans une maison à Ixelles, face aux Étangs.

J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai composé son numéro.

J’ai à peine reconnu sa voix.

Elle savait qui j’étais. Elle semblait embarrassée par ses souvenirs et la trahison qui avait mis un point final à notre histoire. Je l’ai rassurée, je ne lui en voulais pas, je comprenais, nous n’étions que des enfants, le temps avait accompli son œuvre.

Nous avons arrangé un rendez-vous.

C’était au mois de mai. L’été approchait. L’air était doux.

Nous nous sommes retrouvés à la terrasse de la Patinoire, au cœur du bois de la Cambre, là où nous allions quand nous avions seize ans.

Je suis arrivé bien à l’avance.

Elle était ponctuelle. Les années s’étaient écoulées, mais je l’ai reconnue au premier coup d’œil. Au-delà des rides, j’ai deviné les traits de sa jeunesse. J’ai revu la gravité dans son regard et le sourire énigmatique qui m’avaient fait craquer. J’avais devant moi la Camille de mes années d’insouciance.

Nous avons commandé des thés à la bergamote et nous nous sommes raconté nos vies. Son parcours ressemblait en de nombreux points au mien. Un mari au cœur fragile, deux enfants débrouillards, des centaines de livres dans la bibliothèque et un retour dans la maison familiale.

L’après-midi a passé en l’espace de quelques minutes.

Au moment où elle s’est levée pour s’en aller, je lui ai proposé de faire quelques pas avec elle. Nous avons longé le chemin et sommes arrivés à l’endroit que nous appelions le ravin, la grande pelouse en pente où nous nous étendions pour échanger des baisers et nous moquer des bien-pensants qui pique-niquaient.

Elle s’est arrêtée et a souri.

Elle m’a demandé si je me souvenais.

Je me souvenais.

Nous avons continué à marcher. J’ai pris sa main dans la mienne. Elle était douce. L’air était chargé d’un parfum léger. L’été renaissait.



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