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mardi 25 novembre 2025

Trois amis au paradis des illustrateurs

Les trois amis de Helme Heine.

En quelques semaines
se sont éteints les magnifiques auteurs-illustrateurs jeunesse Helme Heine, Jutta Bauer et Harrie Geelen. Des bibliographies superbes dont peu de titres sont encore réédités aujourd'hui. Hélas. 
 
Helme Heine et ses délicates aquarelles, oscillant entre tendresse et humour. Helme Heine, l'auteur-illustrateur allemand voyageur. Il naît le 4 avril 1941 à Berlin, y fait ses études, déménage en Afrique du Sud de 1966 à 1977 où il est metteur en scène, décorateur, comédien, animateur d'un cabaret politico-littéraire et corédacteur d'un journal satirique. C'est là qu'il publie son premier album pour enfants, "Elefanteneinmaleins" ("Un éléphant ça compte énormément", Gallimard, 1981) qui remporte un grand succès. Il revient en Allemagne en 1977 et se consacre à la littérature de jeunesse. Il publiera une trentaine d'albums, qui seront traduits en 35 langues dont le français, recevront de nombreux prix (tirage mondial d'environ 25 millions d'exemplaires). En 1990, il part pour l'Irlande, puis la Nouvelle-Zélande, où il s'est installé avec son épouse, Gisela von Radowitz et où il est décédé le 20 novembre 2025. Il avait 84 ans.
 
Son site internet annonce son décès. En voici la traduction.  
"Bonjour les amis,

Je suis assis dans mon jardin et je fais mes adieux.
Un peu chancelant, un peu fatigué, mais curieux de ce que demain apportera.
Mes proches et tous mes petits locataires sont venus pour me dire au revoir.

Je me sens comme Gregor Samsa dans la nouvelle La Métamorphose de Franz Kafka.
Un matin, il s'est réveillé et a réalisé qu'il s'était transformé en un cancer maléfique qui avait pris possession de lui.
Pour moi, c'est maintenant l'ami Hein, la mort, qui a mis fin à ce cauchemar. J'en suis reconnaissant. C'est terminé.

Mes chers amis, j'aurais aimé vivre encore quelques années avec vous.
Ne soyez pas tristes, mais pensez au beau temps que nous avons pu partager ensemble.

Votre Helme en voyage."
 
On y trouve aussi le Credo de Helme Heine, dont voici la traduction.
"Je sais que tout travail destiné à gagner mon pain me rend non libre; c'est pourquoi j'ai choisi le plus libre de tous les métiers: celui d'artiste de la vie.

Je sais que mon temps de vie est limité, et j'en suis reconnaissant, car cela me permet de vivre plus consciemment.

Je sais qu'un porte-monnaie bien rempli me rend heureux, mais deux ne me rendent pas plus heureux.

Je sais que Goethe a dit de notre Terre qu'elle est une pépinière pour un monde d'esprits. Je crois qu'il a raison.

Je sais que les arbres sont de merveilleux amis fidèles, c'est pourquoi je leur offre un foyer dans mon jardin.

Je sais que l'art n'est pas nécessaire à la survie de l'être humain, pourtant je ne pourrais pas vivre sans elle.

Je sais que le sexe nous emprisonne, mais que l'amour nous libère.

Je sais que toute vie est née de la poussière d'étoiles.
La mort ne mettra pas fin à ce processus."



Il faut avoir un certain âge mais lire la bibliographie de Helme Heine va susciter des souvenirs et des sourires chez les amateurs de littérature de jeunesse de qualité. 
  • "Fier de l'aile", texte et illustrations de Helme Heine (traduction de Patrick Jusserand, Gallimard jeunesse, 1976)
  • "Fantadou", texte et illustrations de Helme Heine (traduction de Gilberte Lambrichs, Gallimard jeunesse, 1979)
  • "Le Mariage de Cochonnet", texte et illustrations de Helme Heine (traduction de Rémi Laureillard,  Gallimard jeunesse, 1979)
  • "Un Éléphant, ça compte énormément", texte et illustrations de Helme Heine (Gallimard jeunesse, 1981)
  • "Trois amis", texte et illustrations de Helme Heine (traduction d'Yves-Marie Maquet, Gallimard Jeunesse, 1981), soit le trio Jean Campagnol, le bon gros William et François Lecoq
  • "Le plus bel œuf du monde", texte et illustration de Helme Heine (traduction de Marie Lallouet, Gallimard jeunesse, 1983)
  • "La Promenade des trois amis", texte et illustrations de Helme Heine (traduction de Pierre Beck et Betty Léonard, Gallimard jeunesse, 1983)
  • "L'invitée des trois amis", texte et illustrations de Helme Heine (traduction d'Yves-Marie Paquet, Gallimard Jeunesse, 1984)
  • "Sept cochons sauvages", texte et illustrations de Helme Heine (traduction de Jean Launay, Gallimard Jeunesse, 1986)
  • "La Perle", texte et illustration de Helme Heine (traduction d'Yves-Marie Paquet, Gallimard jeunesse, 1989)
  • "Le Merveilleux voyage à travers la nuit" , texte et illustrations de Helme Heine (l'école des loisirs, 1989)
  • "L'exposition des trois amis", texte et illustrations de Helme Heine (Gallimard Jeunesse, 1991) 
  •  "Drôle de nuit pour les trois amis", texte et illustration de Helme Heine (traduction d'Yves-Marie Paquet, Gallimard jeunesse, 1997)
  •  "Prince Ours", texte et illustrations de Helme Heine (Gallimard Jeunesse, 1999) 
  • "Je suis un ours", texte et illustrations de Helme Heine (traduction d'Éric Pierrat, Gallimard Jeunesse, 2001)
  • "Le lièvre au nez rouge", texte et illustrations de Helme Heine (traduction d'Éric Pierrat, Gallimard Jeunesse, 2001)
  • "Dans le vaste monde", texte et illustrations de Helme Heine (traduction d'Éric Pierrat, Gallimard Jeunesse, 2001)
  • "Foxtrott", texte et illustrations de Helme Heine (Kaleidoscope, 2005) 

* *
 
L'ange de grand-père de Jutta Bauer. (c) Gallimard Jeunesse.
 
On avait appris précédemment le décès de l'auteure-illustratrice allemande Jutta Bauer. Née le 9 janvier 1955 à Hambourg, elle a succombé à un choc allergique le 10 septembre 2025 à Schwerin, dans la même région. Elle avait reçu le prix Hans Christian Andersen de l'IBBY en 2010 dans la catégorie Illustration, pour l'ensemble de son œuvre. Le jury avait aimé la puissance de sa narration qui "mélange vraie vie et fiction". Un peu comme sa vie à elle. Si, mauvaise élève à l'école, Jutta Bauer a toujours été attirée par le dessin où elle excellait, elle a aussi exercé divers métiers avant de se consacrer à la littérature de jeunesse, aide-soignante dans une maison de retraite, nounou... "Je pense que si l'on ne travaille qu'avec des livres, on finit par perdre tout contact avec le monde réel", expliquait-elle.
 
Elle l'a bien gardé dans son œuvre partagée entre illustrations de texte et albums en solo, dans son trait minimaliste captant l'essentiel, des expériences de vie transposées en images. Plusieurs de ses albums ont été traduits en français.
 


  • "La reine des couleurs" (Autrement Jeunesse, 1999), un maximum d'effet pour un minimum de mots, splendide réflexion sur les couleurs et le monde, magnifiquement traitée par des croquis vifs et précis où l'encre de Chine se marie subtilement aux crayons de couleurs. 
  • "Mamancolère" (Autrement Jeunesse, 2010), belle variation sur le thème de la colère avec ce petit pingouin qui explose au sens littéral lors d'une colère maternelle. Une scène de la vie ordinaire qui est l'occasion de mieux se dire et se comprendre.
  • "L'ange de Grand-Père" (traduit de l'allemand par Dominique Miermont, Gallimard Jeunesse, 2002) où un grand-père raconte sa vie à son petit-fils venu lui rendre visite, sans savoir qu'un ange a toujours veillé à le protéger, ange qui va désormais s'attacher aux pas de l'enfant.
  • "Selma" (La joie de lire, 2003), variations philosophico-humoristiques sur la question du bonheur, l'héroïne étant une vache!
  • "Alors on a déménagé", texte de Peter Stamm (traduit de l'allemand par Genia Català, La Joie de lire, 2006), qui dit où peut se trouver le bonheur de vivre.
  • "Tu te souviens...", texte de Zoran Drvenkar (traduction de Marion Graf, La Joie de lire, 2007), les souvenirs d'enfance d'un homme et d'une femme adultes.
  • "Dans sa maison, un grand cerf" (l'école des loisirs, 2012), version originale de la célèbre comptine.
  • "Facile à trouver facile à manquer", texte de Jürg Schubiger (traduction de Marion Graf, La Joie de lire, 2014), les réflexions philo d'une petite fille, d'un taureau, d'un loup et d'une grande femme.
  • "Albie sur son chemin" (Les Arènes, 2025), pas facile d'aller délivre l'important message au roi quand on croise tant de monde en chemin! 

* *

Un peu plus tôt, on apprenait le décès, le 30 août 2025 à Hilversum, sa ville natale, de l'auteur-illustrateur hollandais Harrie Geelen, à l'âge de 86 ans, l'époux depuis 1963 d'Imme Dros. Merveilleux duo créatif, ils étaient les auteurs d'un album pour enfants, traduit il y a plus de trente ans, que j'ai encore en mémoire et qui est toujours disponible. Dès l'annonce de son décès, son titre a surgi dans ma mémoire. "Les chaussures rouges" (traduit du néerlandais par Paul Beyle, l'école des loisirs, Pastel, 1992)! Le livre avait frappé à sa sortie. Par son graphisme inhabituel pour l'époque, avec des gouaches très colorées, peu détaillées mais rendant parfaitement compte des états de son héroïne. Par son approche positive d'une expérience dont l'adulte mesure immédiatement l'échec.
 
L'histoire est celle d'Hélène qui se rend au magasin acheter des chaussures avec sa maman, les siennes étant usées. Elle repère immédiatement la paire de rouges, la dernière de ce modèle en magasin. Trop petites pour elle, mais ce sont celles qu'elle veut ("Ik wil die!" est le titre original). Elles les enfile: "Elles me vont parfaitement bien." Sa maman les paie. Au début, tout va bien, tant qu'elle ne doit pas marcher. Mais après une journée passée à souffrir sans oser le dire, la pauvre Hélène n'en peut plus. Ses pieds sont tout abîmés.
 
Le point positif de cet album est que la maman laisse sa fille se rendre compte par elle-même de son erreur. Et quand cette dernière éclate en sanglots après une journée de souffrance tue, pas une seule fois elle ne lui fait la morale. Au contraire, elle accepte de garder les chaussures pour un autre enfant.
 
"En tant qu'auteur-illustrateur d'albums, j'aime utiliser un minimum d'effets pour expliquer des idées plutôt difficiles aux jeunes enfants. Malgré les Crayons et les Pinceaux [NDLR: des récompenses aux Pays-Bas], et tous les autres prix, je me considère toujours comme un cinéaste, qui crée aussi des livres pour enfants", disait Harrie Geelen lors de l'exposition des illustrateurs de Bologne en 2001.
 
Harrie Geelen se reconnaît de loin par son trait épais et sobre, ses couleurs flamboyantes et très texturées, son sens de la lumière et de la mise en page.
  • "Les chaussures rouges", texte d'Imme Dros, illustrations de Harrie Geelen (l'école des loisirs/Pastel, 1992)
  • "Gros-Papy", texte d'Imme Dros, illustrations de Harrie Geelen  (l'école des loisirs/Pastel, 1993), abordant la mort sans la diaboliser et décrivant avec justesse les sentiments de jeunes enfant, illustré de façon réaliste par des tableaux lumineux et joyeux. 
  • "Le fauteuil bleu",  texte d'Imme Dros, illustrations de Harrie Geelen (l'école des loisirs, Pastel, 1994), un vieux siège dans le grenier où se réfugie Jenny-Julie chaque fois qu'on se dispute à la maison."Les comptines de Robinson", texte d'Annie M. G. Schmidt, illustrations de Harrie Geelen (traduction d'Anne-Marie de Both, Albin Michel Jeunesse, 1997), comptines rythmées qui ont pour thèmes la vie quotidienne des petits.
  • "Le livre de Yann", Harrie Geelen (traduction d'Anne-Marie de Both, Autrement Jeunesse, 2002), un titre en solo, épatant petit format carré, intimiste et philosophique où un petit garçon occupé à écrire "son" livre, est interrompu à la troisième page par sa voisine Ursule Charpentier.
  • "L'ombre de Yann", Harrie Geelen (traduction d'Anne-Marie de Both, Autrement Jeunesse, 2003), le dialogue de Yann et de son ombre, qui se découvrent mutuellement.
  • "Victor au zoo", Harrie Geelen (traduction d'Emmanuèle Sandron, Albin Michel-Jeunesse, 2021), les échanges de Victor avec les animaux du zoo le rendent méconnaissable pour sa maman.
 
 







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